Rose Lb Les sottises de Valenciennes Mon ciel gris

Mon ciel gris

Se promener le long de l’Escaut, se poser sur un banc au parc de la Rhonelle, je prenais plaisir à observer ce qui m’entourait. Un vol d’oiseau immigrant vers une terre plus chaude. Un escargot qui grimpe ses monts d’Everest. J’aimais les visages. Surtout eux. Reproduire au crayon de bois un portrait à partir d’une photo était l’un de mes passe-temps favoris. Plus il y de rides et plus les esquisses demandent un travail minutieux.


Mon ciel est gris. Ni noir ni blanc. Ni parfait ni chaotique. Il a toutes ses nuances qu’il faut entendre. Et pour l’apprendre, je l’ai observé.


Une vieille dame dans un coron jeta sur son trottoir un seau savonneux. J'arrêtai ma marche émerveillée du tableau qui m'inspirait des vers. Avec courage, ses bras de quatre-vingts ans frottèrent le bitume avec un balai aux poils rigides. Peu importe qui la regardait, son beau visage creusé par l’histoire resta concentré à ses besognes. Mais d’une oreille tendue, elle entendit le chien de la maison collée à la sienne gémir, presque implorer. Elle arrêta les sillons mousseux sur le trottoir, posa son balai au mur rouge et frappa à la porte d’à côté.

Il lui est arrivé quelque chose, peut-être ? pouvais-je lire dans ses pupilles.


L’étrange silence que laissa la voisine, inquiéta la vieille dame qui entra chez elle appeler les urgences. Dix minutes plus tard, après un fracas qui alerta le voisinage et rassembla tous les yeux autour du logis, la voisine sortit sur un brancard. La vieille dame soupira.

Il s’en était fallu de peu cette fois, songe-t-elle. Si seulement ses enfants passaient plus souvent la voir…

La bienveillance de la vieille femme n’étonna personne dans le quartier, d’ailleurs nul ne songea à la remercier, elle veillait sur les autres congénères depuis si longtemps...

Un jour, alors que le bouleau d’en face lâcha sa dernière feuille un mois novembre gelé, la vieille dame ferma les yeux une fois pour toutes. L’année s’acheva, et les derniers témoins de la Seconde Guerre mondiale s’éteignirent à leur tour.

« Ouais, mais ça, c’est depuis que la pauvre Henriette est partie, ils sont tous tombés. À croire qu’ils l’ont suivi ! » s’exclama la boulangère à une cliente qui, chez elle, fermait ses derniers cartons avant de quitter le coin.

Les maisons furent abandonnées les unes après les autres, et le coin désert avait la réputation d’être traversé par des loups affamés de luxures. Il ne fallait pas traîner là tard le soir. Pour améliorer les conditions sanitaires on bâtit de nouvelles cages à lapin. Petit à petit les familles s’installèrent. On se débarrassa du bouleau pour faire place aux emplacements de parking. On remplaça les balais par les aspirateurs, et l’eau savonneuse ne coula plus que dans les bacs des douches.


J’étais jeune, mais j’entends encore le rythme régulier du balai sur les trottoirs. Il y a bien quinze ans que je ne compte plus les bulles. J’ai bien trop à faire entre mes quatre murs interchangeables. De la Maison, de la voiture, et du travail.

Mon cœur est celui de ma région. Il possède la palette des gris. Ni noire ni blanche. Ni fausse ni tout à fait honnête. Ma vie n’est pas un tunnel sans lumière, mais une kyrielle de couleurs en noir et blanc.



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7 commentaires

Valentina H

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Il y a 4 ans

En dirait de la poésie

Michbonj

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Il y a 4 ans

Très belle phrase de fin. Pleine de poésie.

Jo Mack

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Il y a 4 ans

Un beau récit de façon générale, comme dans ton histoire tu sais transmettre les émotions à travers ta plume magnifique! bravo!

Gaïane MILLER

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Il y a 4 ans

Je trouve ce dernier chapitre très poétique. Bravo !
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