Fyctia
Mes héros
Aussi loin que je me souvienne plusieurs artistes avaient marqué ma vie. D'abord, ce chanteur qui au premier abord ne me plaisait guère. Je n'avais que douze ans lorsque mes yeux gris ont croisé les siens. Ma cousine de cinq ans mon aîné était tombée amoureuse de lui. Il paraissait que c'était normal à cet âge là. Moi, je ne comprenais pas comment on pouvait craquer pour une image sur un papier. J'avais ri la première fois qu'elle me fit entendre sa voix, ce refrain qui aujourd'hui rythme les battements de mon cœur.
Papa c'est quand qu'on va où ?
Je m'suis chopé 500 lignes
"Je n'dois pas parler en classe"
Ras l'bol de la discipline
Y'en a marre c'est digoulasse
C'est même pas moi qui parlais
Moi j'répondais à Arthur
Qui m'demandait, en anglais,
Comment s'écrit "No Future"
Si on est punis pour ça, alors j'dis "Halte à tout"
Explique-moi, Papa, c'est quand qu'on va où?
C'est quand même un peu galère d'aller chaque jour au chagrin
Quand t'as tell'ment d'gens sur Terre qui vont pointer chez "fout rien"
'Vec les d'voirs à la maison
J'fais ma s'maine de 60 heures
Non seul'ment pour pas un rond
Mais en plus pour finir chômeur
Veulent me gaver comme une oie
'Vec des matières indigestes
J'aurais oublié tout ça
Quand j'aurai appris tout l'reste
Soulève un peu mon cartable
L'est lourd comme un cheval mort
Dix kilos d'indispensable
Théorèmes de Pythagore
Si j'dois m'avaler tout ça, alors j'dis "Halte à tout"
Explique-moi, Papa, c'est quand qu'on va où?
L'essentiel à nous apprendre, c'est l'amour des livres qui fait
Qu'tu peux voyager d'ta chambre autour de l'humanité
C'est l'amour de ton prochain, même si c'est un beau salaud
La haine ça n'apporte rien, pis elle viendra bien assez tôt
Si on nous apprend pas ça, alors j'dis "Halte à tout"
Explique-moi, Papa, c'est quand qu'on va où?
Quand j's'rais grande j'veux être heureuse, savoir dessiner un peu
Savoir m'servir d'une perceuse, savoir allumer un feu
Jouer peut-être du violoncelle, avoir une belle écriture
Pour écrire des mots rebelles à faire tomber tous les murs
Si l'école permet pas ça, alors j'dis "Halte à tout"
Explique-moi, Papa, c'est quand qu'on va où?
Tu dis qu'si les élections ça changeait vraiment la vie
Y'a un bout d'temps, mon colon, qu'voter ça s'rait interdit
Ben si l'école ça rendait les hommes libres et égaux
L'gouvernement décid'rait qu'c'est pas bon pour les marmots
Si tu pense un peu comme moi, alors dis "Halte à tout"
Maintenant, Papa, c'est quand qu'on va où?
Si tu pense un peu comme moi, alors dis "Halte à tout"
Maintenant, Papa, c'est quand qu'on va où?
Avec sa casquette de gavroche et son foulard rouge, je trouvais qu'il ressemblait à ma cousine ou quelque chose dans ce genre-là... Elle me parlait de lui en boucle, prête à défiler dans les rues de Paris afin de le suivre dans la conquête des hommes égaux. Des tissus à l’effigie du chanteur tapissaient sa chambre alors que dans la mienne Madonna faisait son cirque jusqu'au plafond de ma chambre. Elle, l'unique, la seule, revendiquais-je, avec ferveur, était la voie que je voulais vivre intérieurement. Elle osait ce que je taisais et n'aurais jamais le courage d'avouer. Forte, libre et indépendante, l’icône de la féminité et de la provocation. Je m'amusais à partir d'une photo de moi à modifier ma coupe de cheveux. Ainsi je me projetais en blonde, rousse, les tiffs courts ou frisés. L'essentiel étant dans cet exercice que je m'émancipais...
À vingt ans je croisais de nouveau le regard ingénu et insolent de Renaud. La lecture de ses textes me rendit dingue. Un poète drôle et tendre. Des mots écorchés et saisissants. Oser coudre des vers avec les maux des autres. Les mineurs charbonnés, patrimoine de mon sang.
Les HLM quadrillés comme des cages à lapin. L'imposteur. La muse. La catin. Le bleu. Des sujets qui flottaient dans mon esprit et que je couchais sur mes carnets. Autant de révolte et d'amour débordant que je possédais. Voilà que je compris ce que me comptait ma cousine... À mon tour je ressentais cette troublante ressemblance du cœur. Et je commençais par entrevoir mes racines.
Incontestablement, un homme bousculait les mentalités et rassemblait les cœurs. Sa notoriété posait sa lumière sur le Nord, les clichés, un accent avec les voyelles nasalisées, en autre. Mon accent. À la différence de celui de Paris choisi comme modèle pour tous les dialectes français, l'intonation du Nord était la moins enviée. Mon accent choquait, effrayait, surprenait, faisait rire ( et encore aujourd'hui, quel bonheur ! )
Moi, alors que j'en avais toujours eu honte, lorsque Danny Boon crevait les écrans, j'entendais dans mon sang le martèlement des pics et des pioches fracasser les parois des conduits souterrains. Le sifflement du train chantonnait comme un oiseau qui annonçait une heureuse moisson. Sous mon oripeau, la louve hélait sa meute de venir la délivrer.
Et soudain, la porte de mon âme s'ouvra...
Chaque jour suffisait sa peine... Et je me mise à écrire. Vraiment. Mes vers n'étaient plus bancals. J'osais. Tous ces visages croisés un jour se rassemblèrent sur mes pages. Un sourire, une ride, un regard, voire une insulte... peu m'importait, j'écrivais. Je savais qui j'étais.
Et l'ébauche d'un premier roman pris forme.
Je suis née à Valenciennes. Dans ce Nord qui m'a vu grandir, cumuler sottise après sottise. Chaque jour qui est passé, possède désormais un goût sucré, fruité. Et lorsque l'acide revient, mon ciel bleu gris me sourit. Je suis armée de mes mots pour y faire face. Je possède le pouvoir de changer mon monde à défaut de changer notre monde.
Et j'abreuve la soif de mes racines à l'encre grise.
À tous ceux qui me lisent, merci.
À tous les gens du Nord, je vous reconnais, qui que vous soyez ou pensez être.
À toutes nos émotions qui sous le même ciel nous font grandir.
À vous
À moi
À mes enfants...
9 commentaires
Gabriele VICTOIRE
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Il y a 4 ans
Rose Lb
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Il y a 4 ans
Isabelle-Marie d'Angèle
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Il y a 4 ans
Valentina H
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans