Rose Lb Les sottises de Valenciennes Les autres

Les autres

À la fin du cours, Mme X me conviait à rester un peu. Elle me demanda si réellement je me rappelais de la naissance de mon jeune frère, et honteusement je lui avouai que j’avais inventé une partie de l’histoire.


— J’ai peu de souvenirs, il n’y a que trois ans et demi qui nous séparent.

— Alors c’est encore mieux, tu as su imager et me transmettre toutes tes émotions. J’ai vraiment été touchée… Il faut que tu travailles ton orthographe et ta grammaire et des devoirs seront parfaits.


Sans voix, je rentrais chez moi. Ma mère épluchait des pommes de terre sur la table formica. Un meuble qui d’ailleurs désignait un signe de pauvreté, alors qu’aujourd’hui, il revient en force dans les cuisines. Je trépignais de tout lui raconter. Une fois mon blouson en jean accroché au portemanteau, je jetai mon cartable au pied d’un mur, peu importe lequel tant que le lourd sac en imitation de peau de croco n’était plus sur mon dos !


Plus je m’avançais vers maman et plus son visage tuméfié effondrait le décor qui nous entourait. Comme une statue je restais à la fixer, tentant de comprendre ce que ses lèvres pouvaient exprimer. Maman parlait seule, souvent, beaucoup trop. Elle leva la tête et m’adressa un sourire forcé, rempli de peine. Ce n’était pas le moment de venter mon exploit. J’avais remis mon sac sur le dos, et telle une tortue je cheminais avec lenteur vers ma chambre.


La violence entre mes parents ne cesserait donc jamais. Le cœur serré, je rangeais mon bureau pour me vider l’esprit des pensées toxiques. Au fond du tiroir, mes doigts dénichaient un carnet où quelques poèmes figuraient. Les yeux embués, je les relisais, et l’inspiration vint. Les larmes rebroussaient chemin. Je commençais à aligner quelques mots, et de fil en aiguille, je tissais un texte. Derrière le rideau de la fenêtre, mes yeux se perdaient dans le ciel humide du Nord. Ce soir-là, l’encre coula à flots.


Cette année-là, je rencontrais Verlaine. Dans la bibliothèque du collège, assise parterre sur la moquette verte, je répétais inlassablement les mots du poème : « il pleut dans mon cœur », si bien que j’apprenais par cœur les vers. Étais-je née à la mauvaise époque ? Absolument !

Je venais de comprendre que la poésie permettait aux hommes de relier leurs émotions d’une terre à une autre, d’un passé au futur. Elle était intemporelle et éternelle. Ce qui était écrit resterait à jamais dans l’univers. Mes yeux se levèrent et contemplèrent toutes les reliures qui tapissaient les murs. Il y avait là un trésor du monde, et je tenais entre mes doigts un lingot.

Je devenais riche de cette trouvaille. Personne ne devait savoir ce que je venais de vivre. Ni ma famille ni les copains de classe ne comprendraient de toute façon. Seule la solitude serait mon alliée dans ma conquête de l’écriture.


Au lycée, mes jours furent plus noirs que le ciel gris du Valenciennois. J’ai arrêté d’écrire, mais pas de raconter. Dans mon cerveau, je ne cessais de remplir des pages blanches. Inutile de faire tomber des arbres, dans la réserve de mon inconscient, il pleuvait des feuilles de papier.

Tout était source d’inspiration. Du haut du pont Jacob, j’observais les péniches passer creusant des sillons dans l’eau. Plus loin, sur une autre partie du pont, je comptais les trains qui entraient en gare. Leurs cris ne ressemblaient en rien au ronronnement que faisaient ceux qui passaient à quelques mètres de la maison. Les machines berçaient mes nuits et veillaient sur mon sommeil.


Mes amours pleuvaient. Je n’avais que le choix de l’embarras, mais en silence mon palpitant ne soupirait qu’un seul amour. À sens interdit je l’aimais, et ma main se perdait dans d’autres doigts réconfortants. Les douces blessures faisaient place à des cicatrices qui ne cessèrent de m’inspirer.

Dans un parc où l’automne posa ses couleurs de rouge orangé, je commençais à murmurer les mots qui tournoyaient dans ma tête. Mon monde me manquait alors qu’il était là sous mes pieds et autour de moi. Qui étais-je ?


À la fin du lycée, la guerre à la maison annonça son ultime bataille. Comme des animaux nous mirent les points sur les i. Dans un rugissement à faire pâlir tous les Dieux, père décida que je pouvais partir si je n’étais pas heureuse, j’acquiesçais avec orgueil que la solitude m’apporterait plus grand bonheur que de rester sous son toit.

Avec un sac contenant quelques vêtements, je me retrouvais à dormir à la belle étoile sur le banc du parc de la Rhonelle. Cet été-là, le ciel du Nord n’a jamais était aussi bleu. Ses oiseaux chantaient à l’unisson, et l’herbe verdissait même sous le soleil brûlant de juillet.


Cette année-là marqua mon existence à jamais. Mon regard croisa ceux d’autres indigents. Il n’y avait plus que moi et mes chimères, mais de nouvelles vies à apprendre. Je partageais la soupe populaire, attablée, d’abord seule. Puis un groupe de trois garçons m’invitèrent à leur établi. Je refusai immédiatement. Ils prirent leur couvèrent et s’installèrent sur les chaises inoccupées qui m’entouraient. J’affichais une mine rassurée. Au fond de moi, j’étais terrorisée. Celui en face de moi, un mec plutôt typé se présentait en premier. Il avait une locution éduquée. Cela ne faisait pas longtemps qu’il vivait sans domicile fixe comme les deux autres d’ailleurs, plus âgé que nous deux. L’avaient-ils pris sous en aile ? Je le croyais.


J’ai intégré à cette période la structure du foyer des jeunes travailleurs. Ce que je traversais me paraissait hors-norme. Tout me semblait figé et en même temps je rencontrais des personnalités si opposées entre elles que leur passage dans ma vie ne fût pas sans laisser une empreinte indélébile. Dans ce bâtiment situé rue de Paris, une ville dans une autre, un monde méconnu et pourtant si réel, je me faisais une place singulière entre tous ces adultes pubères venus de diverses cultures.


Chacun et chacune détenait sa propre histoire qui méritait d’être entendue. J’écoutais. Dans ce chaos de ma vie, moi, je trouvais un ordre où je me confortais. Je n’avais ni envie de travailler ni d’étudier. Je ne voulais ni aimer ni détester. Je ne marchais pas, je flottais. Suspendue à un fil j’observais les autres plus que je ne parlais de moi. Si je m’oubliais dans l’addiction de tabac, d’herbes folles et des vapeurs des cafés, je ne m’étais jamais sentie aussi vivante. Je connaissais enfin les faces cachées de ma région. La pauvreté comme les livres m’apportait plus de savoir que je ne l’aurais imaginé.


Mon cerveau ne restait pas inerte et ne mourait pas de faim. Je me cultivais autrement.


Et j’entends encore la voix de ce garçon qui tenant le coran dans ses mains me récitait « La vache ». Je vois toujours ses draps suspendus dans la cour. Il fallait se lever tôt pour étendre son linge le premier. Je souris invariablement du souvenir des cris d’espoirs quand l’un d’entre nous décrochait un stage, un diplôme et possédait dans sa paume la première clé de son appartement. Pour un nouveau départ…


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10 commentaires

Gabriele VICTOIRE

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Il y a 4 ans

les images sont superbes, elle s'enchainent et nous balladent d'émotions en émotions. tu tisses tes mots avec grâce, merci pour nous !

Valentina H

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Il y a 4 ans

Super histoire 😊

Michbonj

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Il y a 4 ans

C'est super émouvant et bien écrit, Bravo

Sissy Batzy

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Il y a 4 ans

Incroyable ce chapitre encore. Quel talent Roseline !

Princilia Daci

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Il y a 4 ans

Ton histoire me bouleverse. D'abord parce que c'est toi, c'est la tienne. Et ensuite pour cette réalité que tu exposes, dénonces. C'est criant de vérité et tellement bouleversant, dans le bon sens du terme bien sûr ❤️❤️

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Terrible réalité, ton récit est poignant.
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