Fyctia
Le Graal
Je ne savais plus comment me tenir. Un stylo, vite ! Je triturais mon Bic en le roulant entre mes doigts. J’ôtais le capuchon puis le remettais en place. Un souffle sur ma franche, et je rangeais une mèche qui ne gênait personne. Il fallait que je me donne un genre. J’agonisais derrière ma carapace de faux marbre. L’atmosphère m’oppressait. Les secondes devenaient des heures. Je me persuadais que tous songeaient à la même chose que moi. Il ne pouvait avoir d’autre issue qu’une comparaison malsaine entre deux copies. La meilleure et la pire. La parfaite et la mienne.
À ma gauche, mon premier petit ami, que je pensais unique pour la vie, glissa ses doigts sur ma cuisse pour me rassurer. Je logeais les miens entre ses phalanges. Il me fallait un mur sur lequel m’appuyer, ne pas me morfondre sous la honte et rester digne malgré ce que Mme X s’apprêtait à annoncer.
Notre professeur jeta un œil dessous notre table et d’un sourire nous avions compris de nous lâcher les paumes. Ainsi mes deux mains frêles se rabattaient une nouvelle fois sur le pauvre Bic.
Mon regard ne chercha pas longtemps avant de trouver à qui appartenait l’autre copie. C’était celle de Séverine, l’une des meilleures en rédaction. Jamais une note en dessous de 18 sur 20. La jolie blonde aux yeux clairs, une fille si douce, gentille et bienveillante, tenait son rôle d’habituée à l’excellence. Déjà l’an dernier, elle se détachait du reste de la classe. Je l’enviais d’avoir l’honneur de réciter son devoir à tous. Et notre ancien professeur clôturait sa lecture en nous encourageant à écrire du même acabit.
Alors, là, irréfutablement, je déglutissais dans l’attente d’une sentence affligeante.
— J’ai avec moi deux rédactions, annonça Mme X de sorte que le moindre chuchotement s’évapora.
Mes joues s’empourpraient, et j’essuyais tant bien que mal la sueur de mes paumes. Je me mise à penser en regardant la fenêtre qu’il faisait trop chaud dans la classe. Peut-être devions-nous l’ouvrir ?
— Ça va ? murmura le plus discrètement possible David.
J’opinais du menton pour lui répondre, mais…
Non ! ça ne va pas du tout !
— Ce sont les meilleures copies, nous déclara-t-elle fièrement.
Les ? Elle avait prononcé ce mot. Avais-je correctement entendu ? Mes pupilles ont viré à gauche, d’abord vers David qui avait envie de pouffer. Il ne pouvait y croire, lui qui était plus doué que moi en tout. Puis ma tête tourna vers la droite, je cherchais des yeux étonnés, des regards qui me dévisageraient, mais tous avaient la même tête que d’habitude. Savaient-ils à ce moment-là que l’on parlait de la mienne aussi ?
Je devais attendre que Mme X en dise davantage, peut-être que j’avais mal compris.
— Toutes les deux méritent un 18 sur 20, mais…
18 ! Je respirais par la bouche. J’ai dû oublier d’aspirer de l’air un laps de temps si bien que David me tapota le bras pour me faire réagir.
Il devait y avoir une erreur. Ma main se leva et Mme X interrompit son discours.
— Oui ?
— Je n’ai pas eu ma copie, lui disais-je toute sonnée.
— Je l’ai, me souriait-elle.
Elle recommença à parler et moi je me mordais l’intérieur de la joue.
Le sujet semblait simple à la première lecture, mais il demandait à creuser dans nos entrailles afin de sortir le meilleur de nous même.
« Aujourd’hui, quel est l’évènement qui a véritablement changé votre vie ? »
Cela supposait d’être mûr avant l’âge. Il fallait être capable de prendre du recul sur notre existence, nous qui en somme venions presque de naître, qu’avions nous réellement vécu jusqu’à ce jour ?
La classe se divisait en deux niveaux sociaux bien distincts : les marques et les non étiquetés, les minitels et les genoux écorchés, les privatisés et les poches trouées. Le quart avait des parents alcooliques. Alors qu’est ce qui avait pu nous arriver de si sensationnel dans cette petite existence que nous menions ?
J’avais pourtant déniché ce qui troubla mon professeur.
— T’avais pas compris ? me demanda David avec étonnement.
Mes deux autres amis assis en face de nous se retournèrent et je pouvais lire le fameux « Waouh, tu t’es alignée à l'intello ! »
Je ne savais s’il me fallait sourire ou pas. Incapable de leur répondre je fixais le regard flouté de ma professeur. Mon cœur battait à tout rompre et mes oreilles sifflaient les vapeurs de mes émotions. Je n’avais qu’une envie, me dresser sur ma chaise et danser avec moi-même la Lambada !
Elle a mis 18 à mon devoir ! Oh, year !
D’abord elle débuta à expliquer ce pour quoi la rédaction de ma camarade méritait une excellente note. Il y avait du vocabulaire, une trame logique, et la narration était fluide sans aucune coquille qui tachait son texte. Elle eut droit à quelques applaudissements dont le mien.
Ensuite, elle se tourna vers moi, et là, quelque chose brillait dans ses yeux. Une émotion que je reconnaissais ancrait dans mon âme.
— J’ai retiré deux points à ta copie à cause des fautes. Mais… c’est la tienne que je vais lire. Elle m’a tellement touchée. J’en suis encore bouleversée.
La claque que je me prenais ! Je n’en revenais pas et pourtant, elle se mit à conter mon devoir et au-delà de mes rêves pas un chuchotement ne perturba le récit. Pas une mouche n’osa voler restant immobile comme tous mes camarades. Discrètement mes yeux voyageaient sur leur face et je pus entrevoir des sourires, des regards éblouis, et même une main qui se posa sur une bouche de peur que son soupir ne venait à déranger l’ordre des mots.
Une larme roula sur ma joue. Elle glissa le long de mon cou et fila vite se cacher sous mon pull. Mon estomac trémulait. Je vivais mon heure de gloire. J’obtenais le Graal !
Elle referma ma copie et des murmures déchirèrent le silence. Mme X avait la voix qui tremblait encore sous l’émotion. C’était une sensation inouïe de s’apercevoir que je pouvais transmettre mon ressenti chez quelqu’un d’autre à travers les mots. Les pupilles des élèves se tournèrent vers moi, elles brillaient comme les étoiles qui tapissent la nuit.
À cet instant j’étais devenue une héroïne. Je connaissais le pouvoir des mots. Ceux qui transperçaient les oripeaux et transformaient les gens à jamais.
Je n’étais plus rien ni personne. Au fond de moi, je m’inclinais face à ma réalité. Plus jamais je ne serais perdue. Je savais où me trouver.
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Gabriele VICTOIRE
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