Fyctia
Mon oripeau
Si aujourd’hui Danny Boon a fait du Nord ce que Pagnol a fait à la Provence, cela n’a pas toujours été le cas.
J’ai vu le jour en 1975, un 29 octobre. Cette année-là, les chaînes de télévision prenaient naissance. Denise Fabre présentait pour la première fois TF1. Charlie Chaplin était fait chevalier par la reine d’Angleterre. Les Américains Bill Gates et Paul Allen créaient la société informatique Microsoft. Jamel Debbouze, Angelina Jolie et Marion Cotillard poussaient leur premier cri, eux aussi. Une année qui devait me prédestinait à un grand avenir ?
Pas du tout.
Fille d’un père ouvrier et d’une mère au foyer, née sous les flots intempestifs de l’alcool, les plaintes, les dettes et les coups, la vie creusa autant de trous dans ma tête qu’elle logea de doux souvenirs.
En 1985, j’avais dix ans. Laissez-moi croire que j’ai encore dix ans comme le fredonne Souchon ! Non. Vraiment. Je n’y tiens pas.
Je pense que c’est à cet âge que les premiers vers se sont cousus dans mon cœur. À travers la serrure de ma chambre, je contemplais le désarroi de ma mère suffoquant sous les coups de mon père. Je ne servais à rien. Trop jeune et surtout pas assez chevaleresque pour la sauver, je tremblais jusqu’à me pisser dessus. Alors il a fallu que je devienne quelqu’un d’autre. Je ne pouvais plus me regarder en face. Je ne pouvais plus voir en peinture les lambris vernis de mon dortoir. Je n’aimais plus mon prénom. Je le haïssais.
Mourir pour mieux renaître.
Dans ma chambre que je fermais à clé, derrière mon bureau et face à la fenêtre qui donnait sur la rue, il m’était permis de rêver. Dire qu’une seule seconde de mon existence avait tout changé…
J’avais pris un cahier de brouillon dans le tiroir. Un de ceux dont les feuilles étaient si fines qu’on devinait le pauvre prix. Tout le monde ne pouvait pas s’offrir un Chevignon !
Il fallait que je me raconte mes chimères. J’étais mon tout. À la fois ma mère, ma sœur, ma meilleure amie et mon frère, je m’inventais une deuxième famille, une seconde vie, une bulle d’oxygène où je respirais enfin. Un lieu rien qu’à moi où petit à petit, des êtres imaginaires envahissaient ma chambre. Je devenais alors celle qui leur octroyait le pouvoir de vivre des aventures plus rocambolesques les unes que les autres. D’un coup de crayon de bois leurs visages s’imprégnaient sur les feuilles blanches et les bulles poussaient comme des champignons. Ils parlaient, combattaient, aimaient et mouraient une épée à la main. Parfois une princesse pleurait à chaudes larmes tandis un vaillant chevalier accourait et l’emmenait loin de moi…
En dedans, j'étais seule. Pourtant je jouais avec mes frères. Parfois. On s'aimait tellement. Si fort. Collés les uns aux autres on formait un bouclier face à la violence qui nous entourait. C'est peut-être d'eux que j'ai puisé une certaine force.
Ma mère me répétait sans cesse d'être différente d'elle. Mais alors qui copier ? Un professeur ? Une voisine ? Une amie ? Une tante ?
Je ne savais pas qui j'étais, qui je devais être, qui je pouvais devenir...
À chaque fois que j’ouvrais la bouche, que ce fût pour parler, rire, voire hurler ma peur, j’entendais ces murmures qui me blessaient : avec tes hein, toi on sait que tu viens du Nord !
Je ne comprenais pas pourquoi ces gens qui possédaient la même origine que moi trouvaient que le ton de ma voix était plus prononcé que le leur. N’avions-nous pas des racines semblables ? C’est bien des années plus tard que je me fis la réflexion que l’accent du Nord était perçu comme un assemblage de mauvaises notes par les autres régions. Et que, plutôt que de s’en défendre, les nordistes, honteux, se cachaient derrière une identité qui n’était pas la leur.
En 1990, j'avais 15 ans.
J'avais enfin les tétons qui pointaient. Je laissais pousser mes cheveux. Les pointes atteignaient mes épaules. Mon objectif était atteint, une vraie victoire ! Les garçons me regardaient. Souvent. Est-ce vrai que je suis belle ? Maman me le répétait tous les jours et papa aussi. Mon cœur bâtait aussi fort que mon père la cognait. Mon aorte se gelait, glaçant ainsi le sang qui circulait.
C'était l'année où ma professeur de français joua un rôle dans mon existence. Elle nous faisait aussi cours d'éducation civique, étant la femme du maire, elle avait officiellement les qualités requises pour nous enseigner cette matière. Et j'avoue qu'elle transmettait avec passion son savoir.
Ce matin là, fût différent des autres. Je ne l'avais jamais avoué à personne, même pas à moi-même, du moins à cette période.
D'abord terrorisée, au fond tout aussi lasse d'entendre toujours les mêmes piques sur mon lamentable niveau en orthographe, je fus bouleversée de ce qu'elle entreprit.
Il faut dire que nous étions en septembre, notre professeur, que je nommerais Mme X, nous rendait pour la première fois nos rédactions...
Alors que tous avaient récupéré leur écrit, nous étions deux filles à pianoter des doigts sur notre bureau. Entre ses mains, Mme X aux cheveux sel et poivre gardait deux copies...
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