Fyctia
II
Un tapis de graviers blancs et gris reliait la vaste demeure à un lac bordé d'une végétation sauvage. Les meilleurs jardiniers n'avaient réussi à le dompter, au grand dam de Madame Amaryllidace, qui, après ces nombreuses tentatives infructueuses, avait abandonné l'idée de construire un ponton pour y arrimer une barque qui aurait fait tellement plus naturelle, en harmonie avec le paysage si pittoresque. La rive opposée n'était pas la propriété de cette éminente famille, le lac était perçu comme le lien entre ces deux mondes diamétralement opposés. La contrariété provoquée par cette demande en ami, comme si lui avait besoin de soutien pour acquérir toujours plus d'admiration, avait hantée le jeune homme toute la nuit lors de sa tournée des soirées où, après une brève apparition dans l'une, le temps d'être identifié sur quelques clichés et de prouver ainsi à tous qu'il était invité à plus de fêtes en une nuit qu'eux dans toute leur misérable année, il s'empressait de se montrer dans une autre.
A présent, longeant le chemin, le jeune homme sentait la voix siffler un air joyeux à son oreille, après lui avoir rappelé qu'il était temps de définir une nouvelle fois la limite infranchissable entre lui et eux. Tenant son meilleur ami par la main, il s'approcha du lac en prenant garde à ne pas glisser sur le bord gluant d'algues. Il se pencha et observa le reflet renvoyé par le miroir naturel, se délectant de la vision qui s'offrait à lui. Il était beau, personne ne pouvait le nier même ces soi-disant critiques qui gaspillaient son temps en postant des commentaires dont la jalousie sous-jacente l'aveuglait. Une aura se dégageait de tout son être, sombre et terriblement captivante, et il en était parfaitement conscient. L'ondoiement d'un feu se profila au coin de son œil et sa tête pivota vers la source de cette lumière, oubliant un instant son double.
Ce qu'il avait tout d'abord pris pour des flammes, cascadait sur le sommet du crâne d'une jeune femme, à quelques mètres de lui, dans la zone des autres. La contemplation de son reflet associée avec l'indifférence pour l'extérieur qui le caractérisait avait relégué au dernier plan une présence humaine dans les environs et, une fois la surprise passée, le jeune homme balaya l'inconnue du regard. Elle n'était pas d'une beauté à couper le souffle et il se serait sûrement détourné s'il n'avait pas croisé ses yeux emplis d'un mépris qui lui semblait destiné. La voix lui souffla d'ignorer cette expression qui se peignait sur le visage de l'intruse, de ne pas faire grand cas de la présence de cette jalouse qui faisait sans doute partie des fameuses critiques, mais, le jeune homme ne put s'empêcher de sentir sa bouche se courber en une moue dédaigneuse, atteint dans son égo. Habituellement, ces envieux affichaient un air méprisant mais il arrivait à lire au fond de leurs prunelles cette envie de lui ressembler, d'être lui, dont découlait cette haine. Or, en dévisageant la jeune femme, il ne remarquait aucune once de convoitise.
"Que fais-tu là ? sa voix s'éleva dans les airs, orgueilleuse et exténuée pour lui faire comprendre que sa question n'était que de la pure politesse sans qu'il ne s'embarrasse de sa réponse.
-Je photographie le lac qui subit de plus en plus les répercussions de votre surconsommation.
-J'en reste pantois, ironisa-t-il, allons sauver les trois poissons globuleux qui s'étouffent là-dessous !
-Tu es bien tel qu'on te décrit, soupira la jeune femme en ajustant le cache sur son appareil photographique.
-Ah...on parle beaucoup de moi c'est vrai. Par contre, toi, tu m'es totalement inconnue. Comme ta vie a été effacée de ma mémoire, je ne peux pas savoir si tu es telle qu'on te décrit, si on a un jour pris la peine de parler de toi.
-Il faut vraiment s'aimer pour ne se souvenir que des choses se concernant. J'ai été dans ta classe d'anglais pendant une année entière, s'offusqua la jeune femme en croisant les bras sur sa poitrine faisant tanguer son appareil.
-Tu ne m'as pas fait forte impression alors. Bon, je vais..."
Il s'interrompit au milieu de sa phrase, abasourdi. Alors c'était cette donneuse de leçon ! Un petit rire moqueur brûla ses lèvres tandis qu'il fixait toujours l'inscription sur le côté de l'objectif, qu'il venait à peine de remarquer. Echo Monta. La jeune femme qui le fusillait du regard comme s'il venait de tordre le cou à ces animaux aux yeux morts devant elle, était le mystérieux Echo, féru de vert, et d'arbres qui collectionnait un grand nombre d'abonnés, presque plus important que le sien.
"Je comprends... Je ne me souvenais pas de toi mais par contre, hier j'ai reçu une demande en ami d'une certaine Echo. Es-tu à ce point désespérée d'attirer l'attention sur toi que tu me supplies de t'ajouter ?
-A ce propos...j'ai fait une fausse manipulation, j'étais énervée contre mon téléphone et à force d'appuyer sur l'écran, je t'ai envoyé une demande que je n'aurais jamais eu l'envie de formuler. Quand je t'ai aperçu, je me suis dit que je pourrais clarifier la situation pour que tu ne t'imagines pas que je souhaite suivre ta vie de destructeur de la planète."
Malgré lui, le jeune homme se sentit vexé, les mots sortaient trop fluidement de cette bouche nacrée pour que ce soit une excuse derrière laquelle dissimuler sa honte, Echo n'avait aucune admiration pour lui et n'aurait jamais envisagé d'être son amie. Non que lui tienne à la compter dans ses abonnés, il en avait suffisamment pour se passer d'une fanatique verte.
"Es-tu informée que l'utilisation des réseaux sociaux via un téléphone est polluant aussi ?
-Pour quelqu'un qui n'en a que faire de la nature tu sembles calé sur le sujet.
-C'est parfois utile de poster un commentaire respectueux de l'environnement et ça peut être un bon moyen de retenir l'attention des gens. Tu n'as pas répondu.
-Tu es ...cynique. Et pour ta gouverne, je le sais, mais il faut bien communiquer et, si tu ne polluais pas tant, que ce soit par ton comportement ou par tes contenus absolument nocifs pour la santé mentale de tous, cela pourrait permettre de limiter d'autres formes de pollution.
-Limiter. Pourquoi gâcher sa vie à essayer de minimiser des résultantes qui seront quand même désastreuses ? Enfin, je t'avoue que c'est ta vie, dépense le temps qu'il te reste comme tu l'entends.
-Trop aimable, mais je me serais passée de ta permission.
-Pour quelqu'un qui ne souhaite pas suivre ma vie de...qu'as-tu dit déjà ? Ah oui, destructeur de la planète, tu parais bien informée sur mon sujet alors que je ne me souvenais même pas avoir déjà croisé ton chemin."
Il ricana en l'observant tourner les talons, sa chevelure de feu et sa fierté blessée se balançant misérablement. Durant l'échange, il n'avait pas pu s'empêcher de s'admirer du coin de l’œil, contemplant ses lèvres charnues former des phrases dans un mouvement mesuré et hypnotique. Et, bien qu'il ne soit pas très observateur, il avait remarqué que les yeux incandescents d'Echo avaient eux aussi profité du spectacle.
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