Fyctia
III
Accoudé à son balcon princier qui dominait la terrasse où des adultes s'accordaient bien plus de temps et d'importance qu'ils n'en méritaient, le jeune homme fixait l'écran aussi sombre que son regard sur lequel s'affichait, narquoise, la provocation dont il était la cible.
Un cliché du lac, avant qu'il n'y fasse irruption venait d'être posté sur le profil d'Echo et, il ne l'aurait jamais su si elle n'avait pas eu l'audace de l'identifier dans sa description accompagnée d'une phrase qui précisait qu'après une conversation très enrichissante, il avait accepté d'apporter son soutien financier à l'association dont elle faisait souvent mention, pour la protection des animaux marins face à la pollution, sujet qui selon cette militante dont la stupidité était à présent un fait établi, tenait particulièrement à cœur à l'héritier de l'industrie Amaryllidace.
Depuis cette publication, son traître de meilleur ami ne faisait qu'accepter de l'avertir des nombreux débats engendrés par cette annonce. Il ne s'intéressait pas aux réactions des autres, tant que réactions il y avait, mais rester passif alors que cette Echo s'attaquait à la seule chose qui comptait pour lui, lui, était impossible. Bien évidemment, on parlait à son sujet et cela ne le dérangeait pas plus que ça, car il savait que derrière tous ces commentaires se cachait de l'intérêt pour son existence. La haine, l'admiration, au fond il s'agissait de sentiments qui rendaient aveugle et lui permettait de montrer à tous qu'il était un sujet de discussion plus que passionnant.
Or, dans ce cas, Echo ne ressentait rien de tout ça. En réalité, bien qu'elle ait démontré une certaine attirance pour lui, il n'avait aucun contrôle sur ses émotions, et cela le dérangeait plus qu'il n'avait osé se l'avouer. Elle l'utilisait pour parvenir à ses fins, indifférente à sa vie, à son existence, à sa richesse, à lui !
Un courant d'air frôla sa peau, provoquant un léger frisson qui remonta le long de sa nuque jusqu'à la pointe de ses cheveux qui se hérissèrent. Normalement, il ne faisait pas grand cas de la météo et ses sens étaient presque aussi ankylosés que ses émotions mais la situation était exceptionnelle et même quelqu'un d'aussi narcissique que lui ne pouvait nier qu'il fallait, pour une fois, se détourner de sa vie parfaite et de soi-même. Peut-être ne rechigna-t-il pas à agir parce qu'il savait au fond de lui que ses actions n'étaient motivées que par la survie du reflet qu'il renvoyait à travers le prisme des réseaux, sa propre survie. Il ne fallait pas oublier après tout que le centre de son univers, en vérité l'intégralité de sa galaxie, avait pour seuls habitants lui-même et son image.
Son index appuya sur la touche d'envoi du message qu'il venait de rédiger en sachant pertinemment qu'elle viendrait. Il connaissait le regard qu'elle lui avait lancé juste avant de fuir ses propos beaucoup trop vrais pour sa délicate oreille; Echo Monta ne mettrait pas bien longtemps à l'admirer.
Une publication, deux verres, et trop de poignées de main pour son propre bien plus tard, elle fit son apparition, d'une banalité presque aussi écœurante que les faux sourires des convives. Son appareil photo à la main, comme si elle avait besoin de son réconfort en permanence, les yeux d'un gris orageux, Echo s'élança à grands pas vers le jeune homme à présent nonchalamment allongé sur l'un des transats bordant la majestueuse piscine, dont l'eau d'un bleu électrique heurtait les bords suivant l'ondoiement des vagues artificielles. Les coins de ses lèvres esquissèrent un rictus moqueur et il ne lui vint pas à l'esprit que se lever ou lui proposer à boire pût être d'usage dans ce genre de situation, surtout après le message hautain dans lequel il lui avait littéralement ordonné d'accourir dans son jardin. Ce qu'elle avait fait, et qui semblait la surprendre, les pieds fermement ancré dans le sol, dissimulant son visage des regards interloqués derrière un épais mur de flammes.
"Tu es enfin arrivée, fit remarquer le jeune homme en ignorant les murmures des convives, accoutumés à son silence hautain.
-Je suis là, réalisa Echo en blanchissant les articulations de son poing agrippé à la lanière de son appareil. J'ai pensé que tu voulais peut-être discuter des conditions de ton ... généreux don."
Un rictus sardonique étira ses traits de statue alors qu'elle continuait de pérorer comme si le fait qu'il l'admette chez lui signifiait qu'elle pouvait dépenser leur temps, son précieux temps, pour une quelconque association.
"Tu m'écoutes ? le questionna, incrédule la jeune femme, manquant de briser la lanière qui scindait en deux son buste.
-Non.
-Très bien, alors pourquoi m'as-tu demandé de venir dans ce temple célébrant sans vergogne la destruction de la planète et l'exploitation des plus pauvres ?
-L'architecte appréciera...
-Réponds ! Tu as déjà accepté mon offre car tu ne veux pas risquer de perdre la face en annonçant que tu ne feras pas le don promis devant tes abonnés. Et puis, on sait tous que cette publicité de toi en généreux héros de la faune marine est un bonus pour ton image."
La voix acquiesça dans sa tête, élaborant déjà la meilleure mise en page pour l'annoncer, peut-être un compte à rebours ? Bien qu'agacé par l'assurance qui transpirait d'Echo, le jeune homme ne put réfuter les arguments avantageux que lui avançaient les deux partis. Sans afficher la moindre émotion, encore aurait-il fallu qu'il en ressente une, il prit la parole, laissant sa voix suave et charmeuse résonner jusqu'à l'oreille de la presque jolie obstinée.
"Es-tu certaine de ne faire ça que pour l'argent ?
-Exprimé de cette façon, on pourrait croire que je suis une femme vénale ! s'insurgea-t-elle attirant l'attention des invités jusqu'alors retournés à leurs poignées de main et discussions fastidieuses. Ce que je ne suis en aucun cas, ajouta-t-elle en observant le silence éloquent et ennuyé de son interlocuteur, ainsi que les yeux sournois dardés sur elle.
-Ah, explique-moi donc quel terme est appliqué à quelqu'un qui agit comme tu l'as fait pour obtenir de l'argent ?
-Quelqu'un qui utilise toutes les armes à sa disposition pour sauver notre planète, car, au cas où cela soit sorti de ta jolie tête, tu vis aussi sur cette Terre, respire le même air que nous. Enfin... jusqu'à ce que tu t'en achètes un plus pur que celui que tes semblables et toi avez pollué. Quant à nous, nous serons contraints de le respirer, n'ayant pas d'échappatoire.
-"Jolie" ? C'est le seul adjectif qui te vienne à l'esprit lorsque tes yeux se posent sur moi ?
-Oh, j'en ai d'autres mais possédant les fondamentaux de la politesse, je les tairai. Alors quel nombre vas-tu inscrire sur le chèque ?
-...Vois-tu, je trouve divertissante ta tirade engagée, séparant distinctement les riches, le Mal incarné, des pauvres, les chérubins maltraités. Sauf que ma mère a gagné son argent de ses mains, tout ce qui lui appartient est mérité, Echo.
-Et toi, que mérites-tu ?"
2 commentaires
MiXado
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Il y a 5 ans
Nellie
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Il y a 5 ans