Eli_joy Les pupilles déformées Leur haine trop grande

Leur haine trop grande

Ayza


- Alors peut-être que je devrais parler un peu moi aussi.

Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse se confier comme ça à une inconnue. J’ai la sensation qu'il m’a donné un trésor.

Je n’aurais jamais pensé non plus que ce trésor ferait vibrer en moi ce besoin de libérer mes maux à mon tour. J’ai senti le soulagement dans sa si belle voix. J’ai remarqué la façon dont les mots se précipitaient hors de sa bouche, comme s’ils attendaient d’être prononcés depuis si longtemps. C’est comme si ses paroles avaient titillé mes silences. Alors je me lance :

- J’avais 18 ans, j’étais amoureuse . De la mauvaise fille. Au mauvais moment. C'était tout sauf sain. Comme toutes les premières histoires non? Je ne sais pas trop comment j'en suis arrivé à m'aveugler sur qui elle était vraiment avec moi mais...

Je me coupe toute seule dans mon récit,n'ayant pas songé au fait qu’il puisse être homophobe. Si oui, ce serait une vraie déception. Un nœud se forme dans mon ventre mais se dénoue aussitôt lorsqu’il m’incite doucement à poursuivre.

À l'entente de la voix grave d'Erios, j'ai le sentiment que pour moi aussi, c'est le moment. Mes souvenirs sont enfermés dans la boite de mon coeur, et la voix d'Erios est venue doucement, l'ouvrir à coup de mots traversant. Alors, parce que cette boite mérite d'être ouverte, je me lance le coeur battant :

- J’ai voulu l’annoncer à mes parents. Je n’avais jamais abordé le sujet de la bisexualité avec eux. Je les avais donc réunis dans le salon. J’étais terrifiée mais le besoin de partager cette joie avec eux était plus fort. J’ai commencé par leur dire que j’avais rencontré quelqu’un. Ils étaient contents, souriaient même. Puis j’ai inspiré, rassemblé mes mots tremblants, mon courage et leur ai dit que c’était une fille, que j’étais bisexuelle. Et comme ça, en quelques mots, leurs sourires se sont effacés. Mon père, sans surprise, s'est mit à crier. Ma mère me regardait avec un tel dégoût, Erios. J’ai essayé de leur faire comprendre mais ils m’ont mise à la porte. Comme ça, un soir de printemps. Ils ont laissé leur fille au pas de la porte. Je me rappelle m’être assise devant le portail de ma maison avec mes quelques affaires, m’être remémorée leurs sourires se brisant peu à peu. Et avoir pris conscience que mon cœur s’était brisé avec eux.

Ma voix tremble de nouveau, je n’étais pas censée lui raconter de façon si lyrique. Mais ces souvenirs sont de ceux qui vous emportent qu'importe combien vous tente de les maitriser. Pourtant je ne regrette pas.

- Ayza, je suis désolé. Vous ne méritiez pas ça. C’est eux le problème. Comment… Comment avez-vous fait ensuite ?

Sa voix éraillée laisse percevoir son intérêt et la compassion qu’il ressent. Ce sont des mots simples pourtant...Cette émotion dans sa voix...C’est comme s’il partageait ma peine sans même me connaître.

Non, je ne regrette pas du tout.

Alors je continue, mon souffle apaisé, en répondant :

- En fait, ils m’ont simplement laissé passer la nuit dehors. Je n’ai pas réussi à bouger. C’est ridicule, n’est-ce pas ? J’aurais dû partir, trouver un hôtel ou je ne sais quoi. Mais j’étais pétrifiée. Je n’aurais jamais cru que leur réaction pourrait être si forte. Je suis restée clouée au sol avec mes larmes, devant le portail. Et le lendemain, ils m’ont fait rentrer. Comme si de rien n’était, sans dire un mot. Ce soir-là, j’avais pourtant cru que je ne remettrais jamais les pieds à côté d’eux ou dans cette maison. Depuis, tout est différent. Ils ne m’adressent la parole que pour les choses nécessaires ou pour me faire des reproches. Pas seulement sur mon orientation sexuelle, mais sur tout. Rien de ce que je fais n’est assez bien pour eux depuis ce jour-là. Ils se disputaient souvent avant mon coming-out, mais je crois que la haine qu’ils avaient pour moi les a réunis. Je ne les avais jamais vus aussi proches. J'aurais au moins réussi en tant que leurs fille non?

-Ayza...

Je souris presque à l'entente de mon prénom embellie par sa voix grave. Je continue:

-Je n’ai jamais su s’ils m’avaient fait rentrer par amour pour moi ou par peur des services sociaux. On nous incite souvent à faire notre coming-out en nous disant que l’amour prendra le dessus. Que c’est plus fort que tout. Ce ne fut pas mon cas. Je ne sais pas si notre amour n’était pas assez puissant ou leur haine trop grande.

- Je ne sais pas. Mais ce n’est pas de votre faute. C’est leur comportement qui est complètement déviant. Êtes-vous restée avec eux ?

Entendre ses mots répare un bout de mon cœur. Simplement parce qu’il n’a aucun devoir de me les adresser. Nous ne sommes liés en rien, il pourrait ne rien dire. Je ne suis rien pour lui, et pourtant…

Ce n’est pas de votre faute.

Peut-être que sa voix grave a raison : ce n’est pas de ma faute.

Êtes-vous resté comme je suis resté ?semble resonner sa question, réalisais-je soudain.

- Non, quelques semaines plus tard, je suis partie de la maison. Ils étaient deux, ils n'avaient pas besoin de moi comme elle avait besoin de vous, Erios. A votre place je serais surement resté aussi. Aujourd'hui j'ai la chance qu'ils me payent mon appartement.Ils le paye comme ils paieraient mon amour. Je sais combien je suis chanceuse d’avoir un toit et de l’argent.Mais parfois, j’aurais seulement préféré qu’ils essaient de me garder d’une autre façon. J’aurais aimé qu’ils m’acceptent comme je suis.

- Je comprends. Nous aimer comme on est… pourquoi ça semble si compliqué pour nos parents ?

Le silence nous réponds. Qu'importe la raison, nous serons toujours déçus.

-Merci pour tes mots, Ayza. reprend-il ses paroles à mes oreilles mais aussi un peu dans mon âme.

- Au moins, ils nous ont dotés de beaux prénoms ! tentais-je de plaisanter.

- Oui, au moins ça… rit-il avec moi. On vous doit vous dire souvent que vous avez une belle voix non? Vous avez une si belle voix...murmure-t-il comme pour lui même et des frissons se répande sur ma peau.

-Vous êtes le premier.

-Honoré.

-Charmée, je réplique souriante. Le coeur qui bat un eu plus fort.

-Me confier votre histoire… Je ne pense pas que vous puissiez savoir à quel point c’est précieux. On ne m’avait encore jamais rien confié de tel. Merci pour ce cadeau et celui de votre écoute.

Une douce chaleur emplit ma poitrine en entendant ces mots. Comme c’est doux, et beau.

Une drôle de légèreté m’envahit depuis que sa voix a résonné dans mes oreilles. Je suis étonnée qu’elle ne m’ait pas encore quittée. Même en remuant tout ce passé, je me sens bien, alors qu’un peu plus tôt je croyais mourir. Les émotions sont si étranges. Sa voix grave et mélodieuse semble guérir des choses en moi qu’elle n’a pas cassées.

Je n’aurais jamais imaginé que les choses tournent ainsi. Me voilà bien loin de ma crise d’angoisse, apaisée par la voix d’un homme que je ne connais que depuis une vingtaine de minutes.

Un sentiment chaud et nouveau plane en moi.

Oui, après ce que nous nous sommes racontés, j’ai l’impression d’assister à la rencontre, ou peut-être aux retrouvailles, de deux âmes un peu cassées.


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8

8 commentaires

robinonepiece

-

Il y a 5 mois

mes vies je les aime trop

Aline Puricelli

-

Il y a 5 mois

Une superbe plume, et une fin qui réchauffe le coeur, j'adore

Eli_joy

-

Il y a 5 mois

Merci beaucoup!!

Krystale

-

Il y a 5 mois

Toujours aussi bien écrit 🤠🩵

Samantha Beltrami

-

Il y a 5 mois

je suis passée me mettre à jour ☺️

Eli_joy

-

Il y a 5 mois

Merci beaucoup ☺️
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