Eli_joy Les pupilles déformées Intuition

Intuition

Erios

Mon âme cassée frétille. Cette femme m’a confié une chose terriblement importante. Je le sais à la force et la faiblesse dont sa voix a fait preuve dans son récit.

En l'écoutant je me suis senti comme quelqu'un de confiance. Personne ne fait confiance à un monstre. Et la façon dont elle a déposé son histoire au creux de mon ceur m'a donné le sentiment d'être quelqu’un de bien.

Pour la première fois, je me suis senti comme tout le contraire d’un monstre. J’ai envie de la remercier pour ça, je ne le ferais pas. Parce que la remercier c'est rendre cet échange réel, c'est m'y attacher. Et je ne veux plus jamais de tout ça. Même si cette voix pourrait être celle qui change la musique de ma vie, je ne peux pas. Elle ne sait même pas que je suis un monstre.

- Merci de m’avoir écouté et entendu en tout cas.

Son remerciement est un reflet du mien, silencieux. J'en ai mal. Se retenir de s'accrocher à ce genre de lumière est semblable à une torture. J'arrache les brins d'herbe comme s'ils étaient mes pensées. Mais ça ne fonctionne pas. Malgré moi la sincerité prend le dessus:

- Vous savez, je n’ai… jamais vraiment discuté ainsi avec quelqu’un. Encore moins avec une inconnue, c’est assez étrange pourtant…

Pourtant je me suis rarement sentie aussi normal, pensais-je.

- Pourtant nos mots se précipitent, complète-t-elle.

Elle complète mes pensées puis mes phrases. J'aime cette voix. Malgré moi. Je rêve, au fond, qu'elle caresse mes oreille ainsi pour toujours. Que je puisse à jamais me lover dans cet douceur.

- Exactement. Dites, n’êtes-vous donc pas fatiguée ?

Je n’ai aucune envie de couper court à cette conversation, mais une peur qu’elle se force à rester plane en moi. J'arrache les brins d'herbes à nouveau.

- Non, je n’ai jamais eu si peu sommeil, et vous ?

- Non, jamais eu aussi peu envie de retourner me coucher. découlent les mots de ma bouche sans même y penser.

Et alors nous continuons à nous poser des questions, à nous découvrir, en abordant des sujets plus légers. J’apprends qu’elle fait des études d’art, que son hamster s’appelle Croûton (j’ai rarement autant ri d’un prénom).

J’apprends aussi qu’un homme occupe une place très importante dans sa vie. “Dorian”, prononce-t-elle avec joie. Et je me fais la réflexion, jamais mon nom n’a dû être prononcé ainsi. Toutes mes barrières tombées ressurgissent.

N'aime pas. Ce n'est que de la souffrance.

Elle parle souvent de lui, de ce meilleur ami de longue date. Il se répand dans ses anecdotes aussi facilement que de l’eau sur le sol. Ça me laisse en moi une jalousie étrangère que quelqu’un occupe déjà cette place dans sa vie.

Le temps défile, encore et encore, accompagné de mes émotions coincées entre curiosité et peur d'aimer, au point où je finis par m’endormir au fil de nos mots qui tarrisent. Sur cette colline calme, éclairée chaleuresement par les lumières de la ville au loin.

Le Je suis réveillé par la douleur poignante des rayons du soleil tapant sur mes pauvres paupières. J’ouvre difficilement les yeux, ébloui par toute cette lumière. Je me redresse et regarde autour de moi, mes pensées brumeuses contrastant avec le temps parfait.

Et la soirée d’hier me revient. Ma mère, le bus, cette colline et surtout cette femme. Cette rencontre complètement irréelle semblait hors du temps. Je me précipite vers mon portable, ayant un ridicule espoir qu’elle n’ait pas raccroché. Espoir d'entendre sa voix à nouveau, découvrant ses nuances matinales.

Mais l’écran d’accueil s’affiche, et il n’en est rien. Peut-être n’entendrais-je plus jamais sa voix.

Et c'est mieux comme ça. Cette pensée peureuse et triste me serre le cœur. Elle ne devrait pas.

N'aime plus jamais Erios.

Son numéro est inscrit dans mes appels récents, le mien dans les siens, mais pour quelle raison voudrait-elle rappeler ? Et moi, où est-ce que je trouverais le courage de résister à cliquer sur suite de chiffre. Non...

Ce moment ne sera qu’une anecdote, un simple et chaleureux souvenir. Il ne débouchera jamais sur quelque chose de plus. Un simple pic de joie dans mon quotidien avant de reprendre le plat de cette vie.

Puis, je me réveille pour de vrai. Ayza a décroché. Je me l’étais promis, je vais donc quitter ma mère. Je vais le faire, je vais me libérer.

Je m’en vais, je m’en vais. Je m’en vais !

Puis la raison tente de me frapper. Où vais-je dormir ? Je n’ai ni amis, ni famille. Comment je vais me nourrir ? Me doucher ? Mais je refuse de me laisser abattre. Je refuse de me soumettre une fois de plus. Je prendrai la vieille tente du jardin, j’utiliserai cette plaque chauffante de camping et je… Qu’importe. Dans quelques semaines, j’aurai assez d’argent pour trouver un appartement, c’est provisoire. Je me suis promis. J’ai toujours eu la sensation que tenir mes promesses me rendait un peu moins monstrueux. Alors je le ferai. Je m’en vais, vivre autre chose que la maltraitance de cette femme. Même si je l’aime et même si elle est malade.

Mais je dois y retourner une dernière fois. Prendre mes affaires et lui dire au revoir. L’anxiété et la boule au ventre apparaissent rien qu’à l’idée de revoir ma mère. Mon souffle s'écourte. Je sais déjà comment elle va agir. Elle se confondra en excuses en rejetant la faute sur sa maladie ou sur ses médicaments, peut-être même sur moi, puis me dira qu’elle m’aime. Son schéma est toujours le même, le plus douloureux sera de changer le mien. Moi aussi je réagis de la même manière à chaque fois. Je la pardonne et lui souris, la prends même parfois dans mes bras, car je suis faible et je n’ai qu’elle. Je visualise ce qui va arriver et je sais que cette scène va passer en boucle dans mon esprit avant même d’avoir lieu. J’ai déjà la migraine rien qu’à songer aux événements qui vont suivre. Mon coeur bat déjà trop vite.

Cette fois-ci, je devrai l’ignorer, monter dans ma chambre, récupérer mes affaires, puis je descendrai ces escaliers grinçants une dernière fois et je lui dirai que c’est fini. D’un ton sec et dur, pour qu’elle comprenne. Et je sortirai de cette maison sans me retourner.

Mes yeux, toujours douloureux, analysent soudain d’un autre œil l’endroit où je suis. Je pourrais installer ma tente sur cette colline cachée du monde. J’irais au travail en bus, et j’économiserai jusqu’à ce que je puisse payer un loyer. Avec mes économies, cela ne devrait pas prendre trop de temps…

Une petite voix crie en moi que cet argent était destiné à mon télescope.

Mais qu’importe. Mes rêves attendront. Comme toujours.

C’est ma seule solution. C’est une bonne solution. Pas vrai ? Elle doit l’être.

J’y retournerai demain. Pour l’instant, je n’ai ni la force ni l’envie. Alors je préfère observer la vue du jour. Les bâtiments de cette petite ville semblent à la fois encore plus minuscules et à la fois infinis depuis ici. C’est presque aussi beau que cette nuit. Alors je me concentre là-dessus. Et j’essaie par-dessus tout d’ignorer la douleur dans ma gorge,les vestiges de la voix d'Ayza, ainsi que cette mauvaise intuition qui plane en moi.


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8

8 commentaires

Agnès_

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Il y a 5 mois

J’aime beaucoup les personnages et la façon dont ils nous apparaissent. Il n’y a pas de super-héros, mais juste des gens comme tout le monde avec leurs souffrances, leur vulnérabilité, leurs rencontres et leurs espoirs. La vraie vie quoi ! Et quelle belle écriture !

Eli_joy

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Il y a 5 mois

Merci beaucoup tu me touche tellement 🥹❤️❤️C’est tout à fait ça!!

Pjustine

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Il y a 5 mois

Très bon concours à toi 🤗

Eli_joy

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Il y a 5 mois

Mercii à toi aussi!

Aline Puricelli

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Il y a 5 mois

C'est encore très beau, j'aime beaucoup la façon dont le personnage d'Erios s'éveille petit à petit, grâce à Ayza mais aussi grâce à lui-même. J'ai hâte de découvrir la suite, et je suis heureuse de pouvoir te donner mon avis !

Eli_joy

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Il y a 5 mois

Merci pour tes retours, ils me font trop plaisir ! Je finis tes chapitres ce soir!🫶🏻
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