Fyctia
Chapitre 1
La pluie tombait à verse, s'écrasant contre le pare-brise de la vieille Chevrolet d'Evelyn Harper. Les essuie-glaces luttaient vaillamment contre les torrents d'eau, mais la route sinueuse qui menait à Salem restait floue. Elle était pourtant familière, incrustée dans sa mémoire comme une cicatrice qu'on ne peut oublier. Cela faisait quinze ans qu'elle n'avait pas remis les pieds dans cette petite ville, nichée dans les bois du Massachusetts. Salem, avec ses rues pavées et ses maisons coloniales, semblait tout droit sorti d'un autre siècle. Pourtant, sous son apparente tranquillité, Evelyn savait que cette ville cachait des secrets.
Le téléphone posé sur le siège passager vibra, interrompant ses pensées. Elle décrocha sans quitter la route des yeux.
-Harper, annonça-t-elle d'un ton sec.
-C'est le shérif Miller, répondit une voix grave à l'autre bout du fil. Merci d'avoir accepté de venir. Ce qu'on a ici... ce n'est pas le genre d'affaire qu'on gère tous les jours.
-Ce n'est jamais le cas, marmonna Evelyn, plus pour elle-même que pour son interlocuteur.
Il était presque vingt-deux heures. Les lumières de la ville n'étaient plus très loin.
-Vous avez quelque chose de concret ? demanda-t-elle.
-Pas grand chose, mais … vous verrez par vous même. La victime a été retrouvée dans un état bizarre. Vous êtes sûre que ça va aller ?
La question fit naître un rictus sur ses lèvres. Elle avait vu des choses bien pires dans sa carrière à Boston. Des scènes de crime qui hantaient ses nuits. Mais revenir ici, sur ces terres qu'elle avait fui, c'était un autre genre de cauchemar.
-J'arrive, répondit elle simplement avant de raccrocher.
Les premières maisons de Salem apparurent dans la pénombre, leurs façades éclairées par les réverbères vacillants. Evelyn sentit son estomac se nouer. Comme toujours, le passé avait trouvé un moyen de venir à elle. Le moteur de la Chevrolet gronda une dernière fois alors qu'elle se garait devant le poste de police. Une silhouette l'attendait sous un parapluie, immobile malgré la pluie battante. Evelyn coupa le contact, prit une grande inspiration et ouvrit la portière.
-Bienvenue chez vous, lança le shérif Miller, en guise en salut.
Evelyn releva les yeux vers l'homme, puis vers les rues désertes qui l'entouraient. Rien ici ne ressemblait à un accueil.
-Chez moi, hein ? murmura-t-elle en haussant un sourcil.
Evelyn referma la portière d'un coup sec, le bruit se mêlant au martèlement de la pluie. Elle avança sous l'abri du parapluie que le shérif tenait au dessus d'elle.
-Vous avez eu un bon voyage ? demanda-t-il d'une voix que se voulait aimable, mais son ton trahissait une certaine nervosité.
Evelyn lui adresse un bref regard, un sourire à peine esquissé sur ses lèvres. Elle n'était pas du genre à engager des conversations pour combler les silences. De toute manière, le voyage n'avait rien eu de bon. Six heures de route, seule avec ses pensées, ses doutes et le mauvais café d'une station service. Le shérif Miller paraissait plus jeune qu'elle ne l'aurait imaginé, peut être au début de la quarantaine. Grand, avec une carrure imposante, il avait l'air de quelqu'un habitué à faire régner l'ordre dans une petit communauté où tout le monde se connait. Mais derrière son sourire professionnel, Evelyn perçut une tension qu'elle connaissait bien. Ce genre de tension qui apparaissait quand un flic était confronté à quelque chose qui dépassait son large domaine de compétence.
Ils franchirent la porte du poste de police. L'intérieur était presque vide, à l'exception d'une réceptionniste somnolente et d'un officier jeune et nerveux, qui s'efforçait de ne pas regarder Evelyn trop directement.
-Par ici, fit Miller en lui indiquant une salle d'interrogatoire.
Elle le suivit sans un mot, ses bottes laissant des traces humides sur le sol ciré. Evelyn avait toujours eu une présence imposante, non pas par sa stature - elle n'était ni particulièrement grande ni impressionnante physiquement - mais par l'aura qu'elle dégageait. Ses traits anguleux, ses cheveux bruns coupés et soigneusement coiffés, ses yeux gris perçants qui semblaient capables de lire à travers les mensonges, tout en elle imposait une certaine gravité.
Sa tenue n'était pas celle d'un détective privé cliché. Pas de trench-coat beige, ni de chapeau à large bord. Evelyn portait un jean sombre, un pull ajusté couleur charbon, et une veste en cuir noir. Pratique, sobre, sans concession à la mode. Ses vêtements reflétaient son approche du travail : fonctionnels, sans fioritures.
Quand elle posa son sac sur la table de la salle d'interrogatoire, ses gestes étaient précis, presque mécaniques. A force, elle avait appris à masquer les signes de fatigue et d'émotion. Ce qui se passait à l'intérieur, c'était une autre histoire.
Elle observa la pièce un instant. Les murs gris, les lumières fluorescentes criardes, l'odeur de désinfectant. Tout lui rappelait des centaines de salles similaires dans lesquelles elle avait passé des heures à chercher des réponses, à interroger des suspects ou à examiner des preuves. Mais cette fois, elle se trouvait sur un terrain qui n'était pas le sien, dans une ville où les souvenirs étaient aussi pesants que les silences.
-Vous semblez familière avec ce genre d'endroit, dit Miller, comme pour rompre la glace.
Evelyn haussa un sourcil.
-Les salles d'interrogatoire, c'est comme les cafétérias d'hôpital. Elles ont toutes la même odeur et la même ambiance sinistre. On finit par s'y habituer.
Miller eut un léger rire, mais Evelyn ne réagit pas. Son regard parcourait déjà les documents posés sur la table. Une enveloppe brune, une pile de photos qu'elle devinait macabres.
-Avant qu'on entre dans le vif du sujet, reprit il, je veux que vous sachiez que je respecte votre travail et que j'apprécie que vous soyez venue.
Evelyne hocha la tête sans répondre, les yeux toujours rivés sur les documents. Ce genre de préambule n'était pas nouveau. Elle savait que la police des petites villes hésitaient souvent à demander de l'aide extérieure, surtout à une détective privée. Cela heurtait leur orgueil.
-On peut aller droit au but, shérif, déclara-t-elle enfin. Je suis ici pour une raison, et je préfère qu'on ne perde pas de temps.
Miller sembla un peu décontenancé par ce ton direct, mais il acquiesça. Evelyn d'adossa légèrement sur sa chaise, croisant les bras. Elle avait appris, au fil des années, à ne pas se laisser impressionner. Dans les couloirs des commissariats de Boston, on l'avait souvent surnommée "La Muraille", non pas parce qu'elle paraissait inébranlable, mais parce qu'elle avait cette capacité à rester impassible, même quand tout s'effondrait autour d'elle. Ce que les autres ignoraient cependant, c'est que cette muraille avait des fissures. Des failles profondes qui la hantaient, même après toutes ces années. Evelyn n'était pas revenue à Salem pour revisiter son passé. Pourtant, elle sentait déjà qu'il la rattrapait lentement mais sûrement.
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Alexandra ROCH
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Il y a 3 mois
O. De Villepoix
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Sofia77
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K.C Sankr
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Angel Guyot
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O. De Villepoix
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Zatiak
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O. De Villepoix
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Sofia77
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Il y a 3 mois