Fyctia
Chapitre 12
Pourtant, lorsque je fis un pas en arrière pour m’éloigner, sa main saisit la mienne, m’arrêtant net. Une décharge électrique me parcourut, et mon souffle se bloqua instantanément. Je levai les yeux vers lui, et nos regards se heurtèrent avec une telle intensité que j’aurais pu jurer que le temps venait de se figer.
— Emma… souffla-t-il, la voix inhabituellement douce.
Il se pencha légèrement, rapprochant son visage du mien, et je sentis la chaleur de son corps s’imposer contre ma poitrine. Mon cœur manqua un battement, et une infinité de scénarios défila soudain dans mon esprit : l’envie de le repousser, celle de l’embrasser, et la certitude que tout ceci nous entraînerait vers un chemin dangereux.
Finalement, je décidai de faire ce que j’avais promis : prendre mes distances. Je me dégageai doucement de son emprise, bien trop consciente de la vague de chaleur qui inondait mes joues.
— La seule certitude que j’ai, c’est que tu peux avoir confiance en moi, répéta-t-il, un brin plus assuré.
— J’ai besoin de faire le point, lâchai-je, tentant de retrouver un minimum de contenance. Je veux un peu de distance…
— Je comprends. C’est déstabilisant, tout ça. J’ai traversé les mêmes turbulences avant toi. Quand la magie s’invite dans nos vies, elle les renverse totalement, et plus on essaie de fuir, plus elle trouve un moyen de se manifester.
— Le seul qui se défile, c’est toi, pas cette boule à neige, rétorquai-je, ravalant la confusion qui me submergeait.
Un sourire amer effleura ses lèvres.
— Lis le carnet, Emma… tu comprendras.
Je hochai simplement la tête, serrant l’ouvrage contre moi comme un trésor fragile. Puis, sans un mot de plus, je quittai la librairie, le cœur en vrac et l’esprit peuplé de questions dont la plupart n’avaient aucune réponse. Du moins, pas encore.
De retour chez mes parents, je n’eus même pas le temps de souffler que ma mère, telle une organisatrice militaire, me refila mon père sous le bras pour l’emmener à son rendez-vous médical. Décidément, il semblerait qu’à Lac Sur Iver, respirer devienne optionnel. Mon esprit en vrac, je rassemblai brièvement mes affaires, tentant de freiner les idées noires qui s’amoncelaient comme des nuages avant l’orage, puis je me glissai derrière le volant.
— Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer, me murmura ma mère avec un sourire encourageant.
J’ignorai si c’était de la confiance ou de la folie, mais je décidai de ne pas la contredire. Je démarrai donc, mon père assis à côté de moi, silencieux et l’air plus anxieux que jamais.
Alors que je parcourais les routes sinueuses qui menaient à la clinique, je me surprenais à avoir des pensées digne d’un navet télévisé. Vous savez, la voiture qui glisse soudainement sur la neige, un fondu au noir et une voix off larmoyante : « Ils furent engloutis par les montagnes… » Au secours ! Si c’était comme ça que je devais disparaître, au moins que la bande-son soit un peu plus funky.
Le pire, c’est que je me pris à imaginer la scène : un orchestre pseudo-dramatique, un ralenti ridicule, et moi en train de hurler dans un silence feutré. À force de me faire des films, j’en venais presque à en oublier le vrai danger : celui qui se profilait sous la blouse blanche du neurologue, prêt à dégainer un diagnostic dont je me serais bien passée.
— Tu as l’air bien pensive, mon lapin, fit doucement mon père, brisant mes élucubrations moroses.
Je coulai un regard vers lui, essayant de sourire malgré le nœud qui me serrait la gorge.
— On ne peut pas dire que je sois ultra détendue, papa, avouai-je dans un soupir.
Je repensai furtivement au carnet caché au fond de mon sac : j’allais devoir le confronter à ce sujet tôt ou tard, mais pas avant d’avoir entendu le verdict médical. Une chose à la fois, Emma, me sermonnai-je intérieurement.
Une vingtaine de minutes plus tard, nous étions installés dans une salle d’attente impersonnelle, bercés par l’odeur familière du désinfectant. Ce lieu me rendait nerveuse : j’étais passée du côté patiente, alors que la blouse blanche était mon costume habituel. J’avais presque envie de jouer au Superman de la médecine, déchirer mes vêtements et hurler : « Laissez-moi vous aider, je suis médecin ! » Mais la perspective de finir en soutien-gorge couleur chair au milieu d’inconnus me dissuada plus ou moins de cet acte héroïque (ou pathétique, selon le point de vue).
— Monsieur Victor Laurent ?
La voix du médecin fusa, et je sursautai, prise entre l’envie de détaler et celle de rester pour soutenir mon père. Il se leva d’un pas hésitant, le visage encore plus pâle que la neige dehors. L’angoisse le paralysait, je le voyais dans ses mains tremblantes et son silence inhabituel.
Nous pénétrâmes dans le bureau, et mon regard fut immédiatement attiré par un homme grand, la trentaine, arborant une coupe de surfeur blond. Sérieusement, on tournait une saison improvisée de Grey’s Anatomy en Haute-Savoie ? J’essayai de rester concentrée, mais je m’imaginai déjà le scénario : « Le Dr. Mamour des montagnes tombe sous le charme de la brillante pédiatre en crise existentielle… » (Oui, je délirais, mais c’était ma manière de gérer le stress.)
— Mademoiselle Laurent ? demanda-t-il avec un sourire pro, me ramenant brutalement à la réalité.
— C’est moi, oui, répondis-je, la voix un brin rauque.
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Krissa Danos
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MelinaSANYA
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C.J_Robin
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La rêveuse d'encre
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MarwanS
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MelinaSANYA
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