Fyctia
Chapitre 10
Les pupilles de Samuel étaient comme deux vortex insondables, prêts à m’engloutir. Face à son regard, j’hésitais entre la terreur absolue et l’envie irrépressible de faire éclater toute la vérité. Sans que je m’en rende compte, mes mains le repoussèrent brutalement.
— Ta réaction était complètement disproportionnée ! m’écriai-je, la voix presque cassée sous l’effet de l’émotion. J’espère que tu t’en rends compte !
Mon cœur battait si fort qu’il couvrait presque le son de ma propre voix. Une partie de moi aurait voulu partir en courant et ne plus jamais croiser son chemin, mais je refusais de subir à nouveau ce sentiment d’impuissance qui me suivait depuis mon arrivée.
— Je n’ai pas confiance en cette mère…, maugréa Samuel avec une froideur qui me glaça.
— Et ça justifie cette… crise ?! rétorquai-je, incrédule.
J’avais l’impression de gronder un enfant capricieux qui venait de faire exploser sa colère sur le premier meuble venu. Pourtant, je ne pouvais nier que sous ma bravade, je tremblais de peur et de colère à parts égales.
— Je ne supporte pas la violence, Samuel. On communique avec des mots, pas avec des lampes explosées au sol. Tu trouves ça digne d’un homme ? D’autant plus quand tu joues au grand moralisateur avec tout le monde ?
Je remarquai qu’il avait un léger sursaut, comme si mes mots l’avaient touché plus qu’il ne voulait l’admettre. Malgré tout, je m’efforçai de garder mes mains stables et mon ton ferme, alors que mon esprit hurlait de peur.
Il se rapprocha, mais je reculai aussitôt, le cœur au bord de la rupture. Je vis son visage se refermer, et il baissa les yeux, un peu comme s’il réalisait soudain l’ampleur de son acte.
— Il vaut mieux que tu partes, dit-il, la voix rauque et pleine d’une culpabilité à peine voilée.
Je restai un instant sans bouger, sidérée. Était-ce tout ce qu’il avait à me dire ?
— Sûrement pas ! rétorquai-je en reprenant le dessus sur ma sidération. Je ne te lâche pas tant que je n’ai pas une explication un tant soit peu cohérente. Sinon, tu peux faire une croix définitive sur notre prochaine conversation.
Il passa la main sur son visage, comme pour chasser un voile de colère qui menaçait encore de jaillir.
— Tu ne trouves pas ça étrange qu’une mère gave sa fille de médicaments ? marmonna-t-il, fixant un point invisible au loin. J’ai mené ma petite enquête, et Marie a séjourné cinq fois à l’hôpital ces six derniers mois.
Un frisson me parcourut. Mes instincts de pédiatre s’alarmaient aussitôt, mais j’espérais que Samuel montait le tout en épingle.
— Et comment tu as obtenu ces infos confidentielles ? demandai-je, méfiante.
— Peu importe, balaya-t-il d’un geste sec. Le fait est qu’il est statistiquement impossible que tous les médecins se soient trompés en disant que cette fillette est en bonne santé. Ça ne colle pas. Soit ce sont tous des branquignoles, soit il y a autre chose…
J’ignorais ce qui me troublait le plus : sa façon de réfléchir calmement à la situation ou bien son emploi du mot « branquignole » à propos des praticiens.
— Promets-moi de ne pas l’abandonner, Emma, insista-t-il d’une voix qui mêlait sincérité et angoisse. Elle mérite qu’on la protège.
Je fronçai les sourcils, partagée entre la confusion et le besoin de rassurer cette part de lui qui semblait si inquiète.
— Je… D’accord. Je passerai la voir ce soir, c’est promis. Mais toi, en échange…
Je laissai ma phrase en suspens avant de m’approcher lentement, l’adrénaline ayant chassé une bonne partie de ma peur.
— Explique-moi.
— C’est ce que je viens de faire, répondit-il en haussant les épaules.
— Non. Tu m’as parlé de Marie, pas de toi ni de…
Je désignai la boule à neige, posée là comme un témoin silencieux de nos angoisses.
— Tu vas m’expliquer une bonne fois pour toutes ce qui se passe avec cette chose, intimai-je.
Le regard de Samuel glissa sur l’objet sans s’y attarder. En guise de réponse, il se dirigea vers un tiroir du vieux bureau et en sortit un carnet de cuir vert. L’hésitation dans ses yeux me donna un espoir fugace, comme si, enfin, il s’apprêtait à m’ouvrir une petite porte vers la vérité.
— Ce n’est pas à moi de tout t’expliquer, finit-il par dire, la voix un peu plus douce. Mais les notes dans ce carnet pourront t’éclairer.
Prudemment, je saisis l’ouvrage et mon cœur se serra en reconnaissant aussitôt l’écriture de mon père. Chaque mot me semblait être un écho de son passé que je n’avais jamais connu.
— Je l’ai trouvé en reprenant la librairie. Tout un carton des affaires de ton père était resté là, abandonné. Ce carnet allait avec la boule à neige, mais il manque des pages, ou du moins des informations cruciales. Je… n’ai pas pu reconstituer toute l’histoire.
Je fronçai les sourcils, mon instinct me hurlant que Samuel me cachait encore quelque chose. Mais je n’avais pas envie de rompre ce mince fil de confiance qui venait à peine de se tisser entre nous.
— Pour ma… crise, reprit-il, désolé. Je perds parfois le contrôle de mes émotions. Ça me dépasse et je le regrette à chaque fois.
— Parfois, on peut changer, répliquai-je doucement, même si j’essayais de dissimuler mes propres fêlures. La maîtrise fait partie de notre parcours, non ?
— Ce n’est jamais tout blanc ou tout noir, Emma. Parfois, il y a des nuances dont on ne peut se défaire.
Je pensai à mes propres contradictions, à cette peur que je tentais de masquer sous un sarcasme constant. Je n’avais aucune leçon à donner, finalement.
Soudain, mon téléphone vibra, affichant « Maman » sur l’écran. Je décrochai, écoutant sa voix inquiète me demander des nouvelles de Marie.
— Tout va bien, mentis-je à moitié, disons que ce n’est pas aussi alarmant que ce qu’elle laissait entendre. Mais je garde un œil sur la situation.
Ma mère approuva, puis aborda un autre sujet, la voix teintée de préoccupation : mon père et son rendez-vous médical, censé évaluer l’évolution de ses trous de mémoire. Je soupirai intérieurement. Décidément, mes vacances prenaient une tournure bien moins reposante que prévu.
— Ne t’en fais pas, j’irai avec lui, répondis-je d’un ton décidé. Oui, je sais, c’est important…
En raccrochant, je sentis le poids des responsabilités peser lourdement sur mes épaules. J’allais devoir trouver un moyen de questionner mon père sur ce carnet, sur cette fichue boule à neige, et sur tous les secrets qu’il semblait dissimuler depuis si longtemps.
Lorsque je relevai les yeux, Samuel me fixait encore, son visage mêlant regret et détermination.
— Je ne suis pas le méchant de l’histoire, murmura-t-il, sa voix presque tremblante d’émotion. Je fais juste de mon mieux. La vérité, c’est que je ne sais jamais comment réagir avec toi.
— Je te rassure, répliquai-je d’un ton sarcastique, moi non plus.
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Sunny NDV
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La rêveuse d'encre
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MelinaSANYA
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Krissa Danos
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mima77
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MarwanS
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MelinaSANYA
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Il y a 6 jours