Fyctia

Le trajet de retour vers la maison fut beaucoup plus rapide, ou peut-être étais-je simplement trop perturbée pour réaliser le temps qui passait. Sans réfléchir, je poussai violemment la porte d’entrée, ramenant avec moi une avalanche miniature sur le tapis de l’entrée.

Tous les regards de la famille convergèrent instantanément dans ma direction, comme si je venais de commettre un crime contre l’humanité.

— Pardon… , je… je suis désolée ! Je vais nettoyer tout ça…

Ma voix se brisa et je sentis l’embarras me gagner. Ambre me regardait avec une expression mêlant inquiétude et amusement contenu. Décidément, j'étais douée pour les entrées spectaculaires.

Mon père ouvrit la bouche pour parler, mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, je filai dans mon ancienne chambre, laissant derrière moi un silence gêné.

À peine la porte refermée, je me laissai glisser contre le mur, les larmes débordant malgré mes efforts pour les retenir. Qu’est-ce qui m’arrivait ? Depuis mon retour, j'avais l'impression de perdre complètement le contrôle. Je n’étais même plus sûre d'être totalement saine d’esprit.

Alors que mes pensées s'embrouillaient, quelqu’un frappa doucement à ma porte.

— Je ne suis pas là, annonçai-je faiblement, consciente du ridicule de cette réponse.

La porte s’ouvrit légèrement et mon père passa timidement la tête.

— Si tu n'es pas là, j'espère que le fantôme d'Emma accepte un peu de compagnie…

Je ne pus retenir un léger sourire et hochai la tête pour l'inviter à entrer. Il vint s’asseoir à côté de moi et passa tendrement un bras autour de mes épaules.

— Qu’est-ce qui te bouleverse autant, mon lapin ? Je ne reconnais plus ma magnifique fille souriante qui épuisait tout le monde avec son énergie débordante.

Je laissai échapper un petit rire entre deux sanglots. Il avait raison, j’avais toujours été une véritable tornade, parfois même au désespoir de mes parents.

— Papa, si je te disais ce qui se passe dans ma tête, tu penserais que j’ai complètement perdu l’esprit.

— Essaie toujours. Je te rappelle que la folie, c’est de famille, alors tu peux tout me raconter.

Son regard malicieux m’encouragea à poursuivre.

— Tu te rappelles d'une boule à neige que tu aurais laissée à la librairie, dans ton ancien bureau ?

Je sentis aussitôt sa posture se raidir.

— Une boule à neige ? Ça ne me dit rien du tout, répondit-il avec une voix bien trop neutre pour être honnête.

Je fronçai les sourcils, insistant malgré tout :

— Papa, j’ai eu… une sorte de vision quand je l’ai touchée. C’était étrange, comme si elle voulait me montrer quelque chose. Ça avait l'air tellement réel…

Mon père se leva brusquement, se grattant la tête, gêné comme un enfant pris en faute.

— Emma, oublie ça. Avec toute cette fatigue, tu sais aussi bien que moi que ton cerveau peut inventer n'importe quoi.

Voyant que j'allais protester, il m'interrompit rapidement :

— Allez, ta mère va bientôt nous botter les fesses si on ne descend pas manger. J'ai passé tout mon temps en cuisine et j'aimerais que tu puisses goûter ! Ambre a fait de délicieux cookies comme tu les aimes tant...

Il me lança un clin d'œil complice et quitta la chambre précipitamment.

Je restai un instant immobile, certaine désormais que mon père cachait quelque chose.

Je pris le temps de me rafraîchir rapidement dans la salle de bain adjacente. Mes yeux rougis par les larmes ne ressemblaient plus tout à fait à ceux d’un panda sous antidépresseurs, mais ce n’était pas encore ça. Soupirant devant mon reflet, je rejoignis finalement la salle à manger.

Une voix familière et troublante me glaça sur place. Samuel était là, souriant et charmant, installé confortablement près d’Ambre. Décidément, il n'y avait que moi qui avait eu le droit à la version Jekyll de Mr Hyde ?

— Oh, génial… murmurai-je en roulant des yeux.

— Viens, Emma, installe-toi ! lança joyeusement ma mère. Samuel se joint à nous ce soir, c’est formidable, non ?

« Formidable » n’était pas exactement le mot que j'aurais utilisé à ce moment précis.

Ambre afficha son plus beau sourire Colgate à Samuel, me jetant un regard discret pour juger ma réaction.

— Viens à côté de moi, Samuel ! s’exclama-t-elle d'une voix sucrée.

Comme si le choix lui était laissé… Samuel obéit docilement, s'installant à ses côtés. Je pris ma place habituelle près de la cheminée, réprimant l'envie de demander pourquoi il était là.

Je passai les premières minutes à triturer nerveusement ma fourchette, ignorant volontairement les conversations autour de moi.

— Alors Ambre, raconte-nous comment se passe ton année scolaire ? demanda ma mère avec enthousiasme.

J’étouffai un soupir exaspéré. La vie d’Ambre était toujours parfaite. Même ses problèmes semblaient être du calibre « rupture de stock de post-it roses dans la salle des profs ».

— Génial, maman ! répondit Ambre avec son habituelle bonne humeur insupportable.

Samuel ajouta en souriant :

— Vous avez fait quelque chose de spécial pour Noël ?

— Oh oui ! s’exclama Ambre avec excitation. Nous avons installé avec toute l'école un gigantesque Sapin au milieu de la cour. Les parents avaient organisé un marché de Noël pour vendre certaines créations artistiques des enfants. Toute l'équipe a eu le droit à un chocolat chaud rempli de guimauves… un véritable conte de fées !

Je serrai les dents, cherchant désespérément une porte de sortie mentale.

C’est à ce moment-là qu’Ambre tourna innocemment son visage rayonnant vers moi :

— Et toi, Emma, toujours au top à Paris ?