Fyctia
Chapitre 4
La façade en bois ornée de lumières chaleureuses me rassura étrangement. Rien n’avait véritablement changé si ce n’était la peinture qui avait été refaite. Poussée par une impulsion inexplicable, j’entrai dans la boutique, accueillie par cette odeur réconfortante de livres anciens et de feu de bois.
— Je ferme bientôt, annonça Samuel d’une voix basse, sans me regarder.
— C’est ainsi que vous accueillez tous vos clients ? demandai-je doucement, tâchant de masquer mon trouble.
— Seulement ceux qui représentent un danger public, rétorqua-t-il avec un demi-sourire.
Il s’occupait soigneusement des livres de la bibliothèque communautaire, vestiges de mon accident du jour. Hypnotisée par la finesse de ses mains et la délicatesse avec laquelle elles manipulaient les livres, je laissai mon regard glisser vers ses mèches rebelles qui tombaient sur son front légèrement plissé par la concentration. Je m’avançai pour l’aider, mais il me stoppa d’un geste.
— Je préfère éviter une nouvelle catastrophe, dit-il, cette fois sans sourire.
— Même quand j’essaie d’être gentille, vous me rejetez. Ma sœur, elle, ne semble pas avoir droit à ce traitement, répondis-je, regrettant immédiatement mes mots.
Samuel releva lentement les yeux vers moi, intrigué.
— Jalouse ? demanda-t-il, son regard s’assombrissant étrangement.
— Non, c’est juste que…
— Ambre vient souvent. Vos parents l’apprécient beaucoup.
Son ton, loin d’être accusateur, résonna étrangement en moi. Je ne savais pas s’il avait eu l’intention de me blesser mais le mal était fait. Il dû se rendre compte de mon état car il releva doucement ses yeux et me fixa avec cette intensité qui me déstabilisait depuis le début. Son regard était trop profond, mystérieux, comme s’il était sur le point de regarder à l’intérieur de moi pour y lire tous mes secrets.
Fuyant son regard, je me dirigeai vers l’ancien bureau de mon père. Un objet posé sur la fenêtre attira soudain mon attention : une boule à neige étrange, ornée d’un village miniature parfaitement identique à Lac Sur Iver. Mes jambes ne m’obéissaient plus et seul un instinct primaire me poussa à m’approcher davantage.
Attirée par une force invisible, je tendis ma main. Un frisson me parcourut l’échine, et je ressentis une appréhension inexplicable. À peine mes doigts effleurèrent-ils la surface froide du verre qu’une lumière douce s’alluma à l’intérieur, éclairant soudain le petit village miniature. Le cœur battant, je reconnus l’origine du scintillement : la petite librairie où je me trouvais.
Sans prévenir, les flocons commencèrent à tourbillonner dans la boule comme pris d'une vie propre. Je sursautai violemment et faillis la lâcher, mais mes doigts restèrent comme aimantés. Alors, une vision m’envahit brusquement : je vis une adolescente aux cheveux sombres, assise seule dans une chambre obscure. Ses épaules étaient secouées par des sanglots silencieux, ses larmes tombaient sur une feuille couverte d’un dessin : une fleur de cerisier délicatement tracée.
Mon cœur se serra devant sa détresse palpable. Je voulus voir son visage, mais celui-ci restait obstinément flou. Je distinguai seulement ses mains tremblantes saisissant un briquet posé sur le sol. Avec un geste lent et douloureux, elle embrasa le dessin et le laissa tomber dans une poubelle où il finit de se consumer.
L’adolescente, dans un geste désespéré, approcha ensuite la flamme de sa peau délicate et poussa un gémissement étouffé de douleur. Je ressentis profondément son mal-être, son impuissance, et cela me glaça les os.
La vision disparut aussi brutalement qu’elle était venue, me laissant tremblante, le souffle court. Je lâchai précipitamment la boule à neige, reculant de quelques pas jusqu’à heurter violemment quelque chose de solide derrière moi.
— Emma ! Qu’est-ce que vous faites ici ? gronda Samuel d’une voix à la fois inquiète et furieuse.
Je me retournai vers lui, les yeux écarquillés, incapable de formuler une réponse claire. Il remarqua immédiatement mon trouble et fronça les sourcils.
— Vous êtes blanche comme un linge… Tout va bien ?
— Je… La boule… Elle… balbutiai-je en désignant maladroitement l’objet derrière moi.
Samuel me contourna pour se saisir rapidement de la boule à neige, l’observant d’un air inquiet.
— Je vous ai déjà dit de ne pas toucher à tout, murmura-t-il sèchement, évitant soigneusement mon regard.
— Mais qu’est-ce que c’est ? demandai-je, encore sous le choc.
— Rien qui vous concerne, répondit-il brusquement.
Son ton froid me blessa profondément, réveillant la colère que j’avais soigneusement enfouie depuis mon arrivée.
— Écoutez, je ne suis pas une enfant ! explosai-je soudain. Je viens de voir quelque chose, quelque chose d’horrible !
Il me fixa sans émotion et je dus me contenir pour ne pas continuer de hurler comme une imbécile.
— Ne faites pas comme si j'étais folle ! J’ai à peine touché cet… cet objet et…
En réalité, je ne comprenais même pas ce qui venait de se produire. C’était comme si toutes mes certitudes s’effondraient brutalement devant moi. J’avais toujours été rationnelle, préférant m'appuyer sur la logique plutôt que sur les croyances populaires. La sorcellerie moderne, les cartes de tarot, les chakras ou encore l’astrologie ne trouvaient pas grâce à mes yeux. Seule la science me rassurait, tangible et vérifiable. Pourtant, ce que je venais de vivre était d’une intensité incontestable, en témoignaient les battements désordonnés de mon cœur et mes membres qui tremblaient encore sous l’effet du choc.
Samuel sembla hésiter, son regard dur s’adoucit légèrement, révélant un instant une profonde tristesse.
— Certaines choses doivent rester cachées, Emma, murmura-t-il enfin d’une voix presque suppliante. Faites-moi confiance, il vaut mieux oublier.
Son expression grave me bouleversa plus que de raison. Qu’essayait-il donc de me cacher ?
— Samuel, je veux savoir ce qu’il se passe ici, insistai-je d’une voix tremblante mais déterminée.
Il secoua lentement la tête et détourna les yeux, comme vaincu par une douleur secrète.
— Rentrez chez vous, Emma, finit-il par dire à voix basse. Vos parents vous attendent.
Sans attendre ma réponse, il posa délicatement la boule à neige à sa place, puis ouvrit la porte du magasin pour me signifier clairement la fin de notre conversation.
— Bonne soirée, Emma, conclut-il doucement, le regard voilé par un mélange de tristesse et de résignation.
Je sortis sans un mot, le cœur lourd d’interrogations. Le froid glacial me happa de nouveau, mais cette fois, il était loin d’être une délivrance. Mes pensées tournaient à toute vitesse, obsédées par la mystérieuse vision, la douleur de cette adolescente inconnue, et le secret que Samuel semblait prêt à tout prix à garder enfoui.
Mon retour à Lac Sur Iver venait définitivement de basculer dans une direction que je n’avais pas anticipée, et j’étais bien décidée à comprendre ce que ce libraire, bien trop beau pour être réel, souhaitait à tout prix me cacher.
32 commentaires
Aline Puricelli
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Il y a 8 jours
MelinaSANYA
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Il y a 6 jours
mima77
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Il y a 10 jours
MelinaSANYA
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Il y a 6 jours
La rêveuse d'encre
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Il y a 12 jours
MelinaSANYA
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Il y a 6 jours
Krissa Danos
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Il y a 14 jours
MelinaSANYA
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Il y a 6 jours
MarwanS
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Il y a 14 jours
MelinaSANYA
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Il y a 14 jours