Fyctia
Chapitre 3
Les conversations s’enchaînaient autour de moi, mais je me sentais déjà loin, absorbée par les flammes qui crépitaient dans la cheminée. Le vide grandissant dans ma poitrine me semblait impossible à combler. Cette mélancolie me fit presque manquer la sonnerie de la porte d’entrée.
Ma mère se précipita pour ouvrir, et j’entendis une voix familière et bien trop parfaite à mon goût. À peine la nouvelle venue pénétra-t-elle dans le salon que tous les regards se tournèrent vers elle, comme toujours. Ambre, ma petite sœur, la perfection incarnée, un rayon de soleil vivant avec ses cheveux dorés, ses yeux clairs et cette confiance naturelle que j’avais toujours enviée.
— Ambre ! Mon poussin ! Bienvenue à la maison ! s’exclama mon père en se levant du fauteuil.
— Je suis tellement heureuse de vous voir tous ! lança-t-elle, rayonnante.
Dernières nouvelles en date : Ambre était devenue professeur des écoles à Lyon, sur les traces exactes de notre mère. Je sentis immédiatement la pointe acide de la comparaison qui s’insinuait insidieusement en moi.
— Emma ! Tu es déjà là ? Quelle belle surprise ! s’écria-t-elle, avançant vers moi avec ce sourire éclatant qui me paraissait presque douloureux. Ses longs cheveux blonds se balançaient avec grâce dans son dos. Ses jambes semblaient mesurer deux kilomètres et le fait qu’elle ait choisi une robe qui en montre toute la beauté était nécessairement voulue.
Alors que je m’apprêtais à me lever pour jouer mon rôle de grande sœur modèle, Samuel me devança et prit Ambre dans ses bras.
— Tu as fait bonne route ? s’enquit-il chaleureusement, lui offrant un sourire qui me troubla bien plus que je ne voulais l’admettre.
— Samuel, tu m’as manqué ! répondit-elle en riant doucement. Ses mains parfaitement manucurées se déposèrent sur sa barbe naissante.
Je détournai les yeux, gênée par ce spectacle affectueux qui accentuait mon sentiment d’être exclue.
— J’ai vu en passant que la bibliothèque était en morceaux, reprit Ambre d’un air sincèrement peiné. Que s’est-il passé ?
— Disons simplement qu'un certain "gnome des montagnes" a frappé fort aujourd’hui, répondit Samuel avec un regard provocateur dans ma direction.
« Gnome ? » Vraiment ? Je sentis mes joues chauffer, mais préférai ne pas relever.
— Ambre, ma chérie, pourrais-tu me donner un coup de main en cuisine ? lança mon père pour éviter toute confrontation. J’ai besoin de ton expertise pâtissière.
Évidemment, en plus d’être une beauté de la nature et intelligente, elle savait faire fondre même les cœurs les plus récalcitrant avec ses recettes de cookies…
Je lançai un sourire reconnaissant à mon père. Il me le rendit en y ajoutant un clin d’œil complice.
Alors que je tentais discrètement de m’éclipser, ma mère m’interpella avec douceur :
— Emma, chérie, peux-tu venir m’aider à découper la viande à la cave ?
— Dans un autre contexte, ce serait l’intro parfaite pour une série documentaire sur un serial killer, plaisanta Adam en se levant.
— Pour ma part, je retourne à la librairie, annonça Samuel en enfilant son manteau.
— Bonne chance avec les dégâts causés par le "gnome", lança Adam en m’adressant un clin d’œil complice.
Samuel esquissa un sourire discret et sortit sans un mot. Un silence étrange plana un instant, puis je suivis ma mère jusqu’à la cave.
Le froid mordant me glaça immédiatement, et mes dents claquèrent involontairement. Elle sortit d’énormes côtes de bœuf et s’occupa de dépendre du saucisson. Était-ce le moment pour lui avouer que j’étais végétarienne depuis peu ?
— Comment vas-tu, Emma ?
La question était directe, son regard perçant et doux à la fois. Ni moi, ni Ambre n’avions hérité de ses yeux vairons. « Ils vous sondaient l’âme » comme aimait le dire notre père. Lorsque nous étions encore des enfants, il m’arrivait de croire qu’elle possédait un pouvoir magique pour faire dire la vérité à n’importe qui. Je la soupçonnais même d’utiliser cette sorcellerie sur ses élèves les plus récalcitrants.
— Emma, je t’ai posée une question.
Je savais exactement où elle voulait en venir, et mon cœur se serra douloureusement.
— Je vais m’en sortir, maman… murmurai-je sans conviction.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé, murmura-t-elle inquiète.
Des images surgissaient malgré moi : les lumières rouges des ambulances, des cris, l’angoisse et la culpabilité. Je sentis les larmes monter, menaçant de me submerger.
— J’ai seulement besoin de temps… soufflai-je en détournant les yeux.
Ma mère s’approcha, posa doucement ses mains sur mon visage et m’obligea à la regarder.
— Emma, peu importe ce que tu as traversé, peu importe à quel point tu crois avoir échoué, tu seras toujours ma fille. Mon amour pour toi est inconditionnel. Ne l’oublie jamais.
Une larme roula sur ma joue, brûlante de gratitude et de honte mêlées. Je serrai ses mains contre moi, incapable d’en dire davantage.
— Je vais prendre un peu l’air, murmurai-je finalement.
— Fais attention à toi, répondit-elle avec tendresse.
Dehors, l’air glacial me saisit, mais je l'accueillis comme une délivrance. J’enfilai des bottes improvisées trouvées à l’entrée et descendis vers le village illuminé. Les après-skis de ma mère me sauvèrent la vie sur la pente abrupte de l’impasse des bouquetins ! Hors de question de me faire remarquer une fois de plus. Mon jean avait juste eu le temps de sécher.
En arrivant au marché de Noël, un flot de souvenirs familiers m’envahit : les lumières scintillantes, les parfums sucrés, les éclats de rire joyeux. À côté de l’immense sapin mis en place chaque année par la mairie, une petite patinoire était installée. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas enfilé des patins. Le souvenir de la chute de cet après-midi suffit à me dissuader de tenter l’expérience pour le moment. L’odeur des marrons chauds m’attira jusqu’au stand et j’en pris pour me réconforter. Le goût inimitable de ces délices grillés au feu de bois me fit lâcher un gémissement de plaisir. J’en avais bien besoin !
Mes pas me conduisirent instinctivement vers « La Petite Librairie des Flocons », le refuge littéraire de mon père désormais dirigé par Samuel. Je jetais le morceau de journal qui avait servi à emballer mes marrons chauds et admirai l’ancien sanctuaire familial.
22 commentaires
Aline Puricelli
-
Il y a 8 jours
MelinaSANYA
-
Il y a 6 jours
mima77
-
Il y a 10 jours
MelinaSANYA
-
Il y a 6 jours
La rêveuse d'encre
-
Il y a 12 jours
MelinaSANYA
-
Il y a 6 jours
MarwanS
-
Il y a 14 jours
MelinaSANYA
-
Il y a 14 jours
Krissa Danos
-
Il y a 14 jours
MelinaSANYA
-
Il y a 14 jours