Serahne Les Meilleures Intentions du Monde 5. C'est la pataugeoire (p2)

5. C'est la pataugeoire (p2)

Je posai la carte avec le reste du courrier, même si je savais que mon père ne lisait pas les cartes postales de ma mère. J’aurais dû commencer à étudier, mais j’avais les nerfs tout en pelote de cette journée, et mon corps était parcouru d’une énergie nerveuse qui me fit presque vibrer sur place. J’avais besoin de me sortir Hunter, Constance, et le reste de leur clique d’insupportables suiveurs de la tête. Je ne savais pas ce que j’avais fait dans une vie antérieure pour que la seule personne du campus avec qui j’appréciais discuter se retrouvât mêlée à leur petite bande, mais mon karma était vraiment au trente-sixième dessous.


Peut-être que j’aurais dû m’éloigner de Nora. Solution lâche, mais logique. Elle et moi étions trop différentes, de toute façon, alors qu’elle se sentirait comme un poisson dans l’eau avec eux.


Et je n’avais aucune envie d’attendre que leurs opinions à mon sujet lui parvinssent aux oreilles, aucune envie de voir son attitude changer envers moi et aucune envie de la voir finalement s’asseoir ailleurs en cours d’ADH avec pour toute excuse un sourire désolé.


J’aurais dû savoir qu’ils tenteraient de détruire de petit carré de joie que j’avais réussi à cultiver tout au long de l’année.


Et s’ils lui font du mal ? demanda une petite voix au fond de moi. C’est bien pour ça que tu as été voir Hunter aujourd’hui, non ?


En partie. Il était difficile de ne pas vouloir protéger Nora. Elle était tellement optimiste, voyait le monde sous un angle si positif que je n’avais aucune envie de la voir devenir… comme moi. Mais je savais aussi qu’elle avait des armes que je n’avais jamais eu. Elle avait cette force intérieure que je n’avais certainement pas à dix-huit ans, cette capacité innée à s’attirer la sympathie de tous ceux qui croisaient sa route sans faire le moindre effort. Moi, ça n’avait jamais été mon cas.


Oui, j’étais dans le groupe, mais j’étais aussi la petite de première année. J’étais celle à qui ils avaient expliqué comme prendre ses premiers shots de tequila, celle à qui ils avaient fait fumer sa première cigarette et celle qui les avait fait exploser de rire en me voyant cracher mes poumons. Celle en face de qui ils parlaient de sexe en en rajoutant dans le crade et le sordide, jour pour me faire rougir et bafouiller.


Ils m’aimaient bien mais d’une manière qui frisait la condescendance. Uniquement avec l’indulgence qu’on accordait à une petite sœur par dégourdie. Déjà à l’époque, je m’en étais rendue compte. Et tant qu’enfant unique qui n’avait jamais souhaité ne pas l’être, cela m’avait rendue folle de devoir tenir ce rôle.


Renonçant définitivement à travailler, je décidai de me vider la tête en m’adonnant à mon activité anti-stress préférée : la cuisine. Toutefois, il était intéressant de noter que si cuisiner avait un effet anti-stress sur moi, cela avait sans doute l’effet inverse sur les autres – et mon père en premier lieu : la faute à un accident impliquant un torchon et un brûleur au gaz mal fermé qui avait failli embraser toute la cuisine.


Il n’y avait pas une seule semaine où mon père ne me le ressortait pas au détour d’une conversation. Soit il était vraiment rancunier, soit il avait un sens de l’humour particulièrement foireux. Le connaissant, je penchais pour la seconde hypothèse.


Je n’étais pas une très bonne cuisinière, en dépit de mes meilleurs efforts. Toutefois, notre société était très bien faite et avait pensé aux gens comme moi qui avaient besoin de se détendre après une dure journée de labeur sans risquer l’intoxication alimentaire ou un petit incendie domestique, et avait inventé les préparations toutes faites. Spécifiquement, celles pour cookies aux pépites de chocolat.


Je sortis les quatre boîtes de préparation que j’avais encore au fond du placard et les étalai sur le comptoir. Puis je retroussai mes manches, bien que je soupçonnasse mon chemisier d’être de toute façon fichu, et me rinçait les mains. Ce fut à ce moment-là que je me rendis compte qu’un de mes bracelets avait disparu. Et pas n’importe lequel : mon bracelet à breloques étoiles. Je restai figée un instant, le regard fixé sur mon poignet, incapable de réagir.


Avait-il pu glisser quelque part ? Je vérifiai nerveusement les poches de mon jean et retraçai même en désespoir de cause mes pas depuis l’arrêt de tram, en vain. J’étais sûre de l’avoir vu briller à mon poignet en quittant la maison le matin même, mais je n’avais pas noté son absence au cours de la journée. Il fallait dire que je l’avais depuis tellement longtemps que j’oubliais même qu’il se trouvait là la plupart du temps.


Avec ma chance habituelle, il était tombé quand j’étais au restaurant universitaire. Pire, quand j’étais dans les vestiaires, et il avait glissé sous le casier de Hunter où je ne pourrais jamais, jamais le récupérer.


Cela m’embêtait plus que je ne l’aurais cru. Le bracelet ne valait rien en lui-même, c’était une babiole achetée au bord de la mer quand j’avais dix ans. Mais ça avait été les dernières vacances que j’avais passé avec mes deux parents, alors même s’il me serrait un peu, j’aimais bien l’avoir avec moi.


Le moral dans les chaussettes, je me remis toutefois à la tâche, puisqu’il n’y avait pas grand-chose que je puisse faire, que ce fût pour Nora ou pour mon bracelet. Je mis la musique à fond pour m’empêcher de réfléchir et pour faire savoir à mon père que j’étais là. Puis je me noyai dans un univers de chocolat, de farine et de lécithine de tournesol (je n’avais aucune idée de ce que c’était, et je ne tenais pas à le savoir, mais c’était sans doute cancérigène, comme tout ce qui était bon).


J’en étais à ma troisième fournée de cookies quand je vis mon père passer une tête dans l’encadrement de la porte et poser un regard interdit sur ma production industrielle. Il portait ce que j’appelais sa ‘tenue d’extérieur’, le nec le plus ultra de la mode chez les chercheurs en astrophysique : petit pull bleu foncé, gilet beige à grosses mailles et pantalon côtelé en velours marron.


J’ignorais pourquoi il s’échinait à s’habiller comme un cliché à chaque fois qu’il mettait un pied dehors – j’étais bien placée pour savoir qu’il possédait des vêtements normaux et qu’il portait même occasionnellement des jeans sous sa blouse de travail quand il était à la maison.

Il coupa la musique pour que nous puissions discuter.

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11 commentaires

Pollux58

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Il y a 10 mois

Hum! Je sens que ce bracelet perdu va jouer un rôle pour un futur contact … soit avec le gentil « casse nez » carambolé dans le vestiaire soit avec le puant Hunter… Hâte de lire la suite !

Serahne

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Il y a 10 mois

Entre nez cassé et puant Hunter, Ariane n'a pas un très bon choix de prétendants dis donc ! ;)

Gabrielle H. Davis

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Il y a un an

Toujours un plaisir de te lire, je pouffe de rire à chaque petit commentaire sarcastique

François Lamour

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Il y a un an

Liké par le "Connard romantique" 😁

Quentinn

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Il y a un an

A jour dans ton roman, n'hésite pas à me venir me faire un petit coucou :)

blondie.64

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Il y a un an

KBrusop

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Il y a un an

💕 et si tu as un instant viens me donner un coup de pouce 🥹

Rose Olivier

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Il y a un an

;)

Diane Of Seas

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Il y a un an

Le bracelet sera important, je le sens. 😬

Serahne

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Il y a un an

Il est possible qu'il fasse un réapparition :p
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