Fyctia
4. De l'eau a peut-être (p1)
... passé sous les ponts, mais ma rancune voyage en pirogue
Université de Fairmont, abords de ̶l̶’̶e̶n̶t̶r̶é̶e̶ ̶d̶e̶s̶ ̶e̶n̶f̶e̶r̶s̶ la piscine
4 avril 2023 - 12h30
À la seconde où je mis un pied hors de la piscine, je sentis une douzaine de paires d’yeux me transpercer de part en part. Une poignée d’étudiants (d’étudiantes, pour être plus exact) était regroupée devant le bâtiment et attendait la sortie des nageurs. Les petites amies, supposé-je. Et peut-être quelques admiratrices. Toutes se ressemblaient un peu, avec leur silhouette élancée et leur style vestimentaire faussement décontracté. Le nombre de skinny jeans esthétiquement déchirés et de baskets blanches immaculées au mètre carré est impressionnant.
Les filles populaires avaient souvent cette image de harpies narcissiques, propagée par les films et les séries pour adolescents. Ce cliché était parfaitement stupide : aux dernières nouvelles, la meilleure méthode pour être populaire, c’était d’être aimé par les gens. Et j’étais bien placée pour savoir à quel point elles pouvaient se montrer amicales, même envers une parfaite inconnue.
Je n’étais pas idiote : il y avait souvent une indéniable cruauté derrière leurs sourires et leurs compliments, mais celle-ci n’émergeait vraiment que si l’on grattait un peu trop la surface lisse et brillante de la personnalité qu’elles s’étaient fabriquée avec soin. Aucune monarque ne choisirait le titre de Reine des Garces si elle pouvait gagner celui de Princesse des Cœurs en étant simplement gentille.
C’était pour ça que je ne fus pas spécialement surprise lorsque l’une d’elles s’approcha de moi les yeux pétillants de curiosité. Ce qui me surprit, en revanche, fut de reconnaître immédiatement Constance Hertford, sa silhouette longiligne et son port de tête altier. Nous n’avions jamais été amies, même à l’époque où je m’asseyais à la table des gens ‘populaires’, mais je la connaissais, et plus que de réputation. Sa chambre sur le campus était un point de rendez-vous stratégique pré-soirée, où les filles de notre groupe se préparaient tranquillement, échangeaient les derniers ragots qui circulaient sur le campus, et postaient quelques photos sur Instagram avant de rejoindre les garçons. Elle était une classe au-dessus de moi, en anglais il me semblait, et sortait avec l’un des nageurs, Isaac, qui réussissait le tour de force d’être à la fois cent fois plus sympathique et mille fois plus insupportable qu’elle.
Constance ne semblait pas m’avoir reconnue, en revanche. Peut-être que tous les produits qu’elle se mettait dans les cheveux avaient fini par attaquer le cerveau. Elle se dirigea vers moi avec une telle confiance en elle, en affichant un sourire si conquérant, que je la soupçonnai d’être désormais à la tête du petit écosystème féminin ci-présent. Voilà un truc sur lequel les séries et les films ne s’étaient pas trompés : au sein de chaque groupe de filles, il y en avait toujours une au-dessus de la mêlée. À l’époque où je faisais partie du groupe, c’était Paula. Si Constance occupait désormais cette position, la raison de cette domination ne m’était pas immédiatement apparente. De mémoire, elle était loin d’avoir le charisme ou la personnalité de ma colocataire. C’était une suiveuse, une fille issue du caniveau qui n’en était sortie que parce que son petit ami toxique était issu de l’une des familles les plus riches du pays.
— Hey, bonjour, m’accueillit-elle aimablement. Je ne crois pas t’avoir déjà croisée sur le campus ?
Elle avait les dents si blanches et régulières que je me sentis tout éblouie. Elle était un peu plus grande que moi, avec la peau claire et nette, et un petit nez retroussé qui donnait à son visage quelque chose de délicatement mutin. En parlant, elle passa négligemment la main à travers ses longues boucles caramel, et ce fut là que je la vis. La bague. Et la raison, j’imaginais, de sa suprématie sur le reste de ses copines : elle était parvenue à transcender son statut de petite amie et à passer au niveau supérieur. Elle était devenue une fiancée.
Tant mieux pour elle.
— Euh non, non. Je suis juste là pour aujourd’hui, j’attends quelqu’un.
Je bafouillai un peu, consciente que le reste de sa petite bande nous écoutait avec attention. Je vis son regard s’illuminer et me rendis compte avec horreur que, pour la deuxième fois de la journée, quelqu’un m’avait cataloguée comme la petite amie d’un nageur. Ce qui était honnêtement injuste.
Je ne portais même pas de skinny jean.
— Et qui ça ? demanda-t-elle en arquant un sourcil parfaitement dessiné.
— Hunter. Mais seulement pour lui parler, précisai-je avec véhémence. Je ne l’attends pas… comme ça.
Comme vous.
— Oh, Hunter. C’est intéressant. J’ai entendu dire qu’il s’était entiché de quelqu’un le week-end dernier. J’avoue que je ne me souviens pas t’avoir vu à notre fête…
Elle m’observa un peu plus longuement après ça, me jugeant sous tous les angles. Essayant de décider si apprendre à me connaître pouvait lui être bénéfique. Ou d’estimer si je pouvais ou non être une potentielle rivale sur le long terme. Je vis s’arrêter sur mon haut taché de sang, et les pins humoristiques accrochés à mon sac ('L’an 800 est vraiment l’an pire', quoi, c’était drôle).
Un petit sourire méprisant fleurit sur ses lèvres et après quelques secondes de délibération interne, elle hocha la tête d’un air approbateur.
— Tu sais quoi, ça ne m’étonne pas. Tu es tout à fait son genre.
Quelle excellente façon de nous insulter tous les deux, je devais admirer la performance. Je sentis mes joues s’enflammer, mortifiée par sa soudaine affirmation. J’aurais encore préféré qu’elle me reconnaisse et me ressorte le même florilège d’insultes qu’elle m’avait servis à l’époque (le genre qui ne prenait pas deux t si je pouvais me permettre)
Une voix dans ma tête me pressa de protester, mais les paroles de Hunter résonnèrent plus fort encore, un écho des mots chuchotés à mon oreille plus de trois ans auparavant. Tu es canon, laisse-toi faire, tu es belle, tu es belle, et je fus incapable de lui répondre. Elle prit sans doute ma réaction pour de l’embarras, car elle eut un petit rire.
— C’était un compliment, tu sais. Moi, c’est Constance. Je finis mon master en anglais cette année. Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Comment tu t’appelles ? Est-ce que tu veux que je te présente aux autres ?
5 commentaires
Meg Archeion
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Il y a 10 mois
Diane Of Seas
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Il y a un an
Serahne
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Il y a un an
Chacha83
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Il y a un an