Mouna Les méduses ne vivent pas éternellement Chapitre 20 : Oriana Delmar

Chapitre 20 : Oriana Delmar

Chapitre 20 : Oriana Delmar


Je suis assise à la table, les mains tremblantes, observant les nappes blanches impeccables et les chandelles allumées qui diffusent une lumière tamisée dans la salle. Le restaurant est chic, et l’atmosphère, bien que calme, semble lourde sûrement l’angoisse. Je n’ai jamais imaginé me retrouver dans un endroit comme celui-ci avec lui. Avec mon père.

Ce mot résonne encore en moi comme une étrangeté. Je n'ai jamais eu de père. Non, pas celui que j'aurais aimé avoir. Celui-là, il m'a laissée, oubliée, sans un mot. Et maintenant, il est là, devant moi, dans un restaurant.

Il est assis en face de moi, presque trop calme, comme si rien ne s’était passé entre nous. Ses yeux scrutent l’espace autour de lui, ne fixant jamais les miens trop longtemps.

Je prends une profonde inspiration.

— Comment ça se passe ? demande-t-il enfin, sa voix grave brisant le silence.

— Comment ça se passe pour toi ? rétorqué-je, plus tranchante que je ne l’aurais voulu.

Il fronce les sourcils, comme si ma réponse l’avait pris de court. Puis, il se redresse légèrement, son regard se perdant dans la vitre du restaurant, scrutant la nuit dehors.

— La vie… Ce n'est pas simple. Mais ce n'est jamais trop tard, Oriana, dit-il d’une voix plus calme.

Je le fixe intensément, un goût amer dans la bouche.

— Ce n'est pas trop tard pour qui ? pour toi ? Moi, tu m’as laissée, abandonnée, sans un mot. Je n'étais qu'une erreur dont on doit se débarrasser.

Il ferme les yeux un instant, comme si mes mots le frappaient de plein fouet.

— J’ai fait des erreurs, Oriana. Des erreurs… terribles. Mais j’ai aussi fait ce que je pensais être le mieux pour toi. C’était… la seule façon de te protéger.

Je sens la colère monter, me brûlant la gorge.

— Et tu crois qu’abandonner une gamine, non un bébé dans un monde que tu savais être pourri, c’était la protéger ? Non, c’est toi que tu protégeais. De la vérité. De ta vie.

Il reste silencieux un moment, ses lèvres serrées, et je vois dans ses yeux une lueur qui pourrait presque être de la douleur. Mais je ne cède pas. Je veux comprendre. Je veux savoir pourquoi il m’a laissée derrière.

— Pourquoi ? Répète-je, les yeux rivés sur lui. Pourquoi tu m’as laissée ? Pourquoi tu n’as pas essayé de me retrouver, de me sauver ?

Il se laisse aller en arrière dans sa chaise, soupire lourdement.

— Ta mère, Oriana… Elle est partie à ta naissance. Elle m’a laissée avec toi. Elle a pris la fuite, m’abandonnant tout seul avec un bébé alors que moi même j’en étais encore un. Je pensais que si tu étais loin de moi, tu serais en sécurité. Je faisais déjà les pires conneries et tu étais trop innocente pour ça.

Je suis sous le choc. Tout ça… c’est trop à encaisser.

— Ma mère… Elle est partie… pour quoi ?

— Pour vivre sa propre vie. Pour fuir ce monde, pour s’échapper de l’ombre dans laquelle je l'avais plongée, dit-il d’une voix cassée. Et elle ne voulait pas de tout ça.

Je me sens vide. Il parle comme si c’était une excuse, comme si tout ce qu’il avait fait avait une raison. Mais tout ce que j’entends, c’est un homme qui cherche à se justifier. Et moi, je suis là, à essayer de recoller les morceaux de ma vie brisée.

Je me redresse, posant les yeux sur la lampe au-dessus de la table, avant de revenir à lui.

— Qu’est-ce qui m’attend, alors ? Qu’est-ce qui reste de toi et moi maintenant, à part des promesses brisées ?

Il hésite, puis finalement, il baisse les yeux vers sa tasse de café.

— Je ne peux pas effacer tout ce qui s’est passé, Oriana. Mais je veux essayer de réparer les choses. Tu n’as pas à vivre dans l’ombre de ce que j’ai fait. Tu as le droit de savoir qui tu es, d’où tu viens. Aujourd’hui je ne suis plus en proie aux addictions et j’aurai voulu l’être quand tu étais là.

Je me sens piégée par ses mots, piégée entre la colère et le besoin désespéré de croire en quelque chose, de croire que ce père que j’ai tant détesté pourrait un jour me donner les réponses que je cherche.

Je secoue la tête.

Il me regarde intensément, sans un mot. Ses yeux sont sombres, mais il y a une lueur, une lueur de regret, de culpabilité aussi.

— Non, je pense n’avoir rien à réparer. Mais si tu le permets, je veux faire partie de ta vie, parce que tu mérites mieux que ça.

Un silence lourd s'installe entre nous, mais c’est une sorte de paix étrange. Une paix qui n'est ni totale, ni absolue, mais qui nous permet de respirer un peu. Peut-être que c'est suffisant, du moins pour le moment.

Je me redresse, jetant un dernier coup d’œil à cet homme assis en face de moi, un homme que je n'ai jamais vraiment connu. Puis, je me lève.

— Je ne sais pas si je peux te pardonner. Mais je vais essayer parce que moi aussi j’ai abandonné mon enfant. Ce serait hypocrite de…

Je me tourne pour quitter le restaurant, mais avant que je ne franchisse la porte, je me retourne une dernière fois. Il est là, dans son fauteuil, à me regarder partir. Le regard d’un homme qui ne sait pas s'il peut vraiment se racheter.

Et moi, je ne sais pas si je suis prête à accepter sa rédemption.

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