Fyctia
Chapitre 13 : Dorian Crowe 1/2
Chapitre 13 : Dorian Crowe
Elle dort depuis hier après-midi. Ce qui fait presque une journée de sommeil. Je reconnais les signes mais j’ai encore espoir que ce ne soit que de la fatigue.
J’étais censée la réparer mais pour le moment je n’ai été qu’un fauteur de trouble. Ses brèches quand je l’ai revu pour la première fois étaient à peine visibles mais là je les discerne parfaitement.
J’ai envie de m’effondrer moi aussi mais je n’en ai pas le droit.
Je l’entends maintenant pleurer et mon cœur s’embrase en un incendie ravageur. J’essuie une larme du revers de la main et lui prépare une tisane ainsi que des pancakes au caramel. C’est ce qu’elle commandait toujours à l’époque. J’ignore si ses goûts ont changé au fil des années mais j'espère de tout cœur que ce n'est pas le cas. La consoler. La reconstruire. Je suis venue pour ça. Pour demander pardon et pourtant je ne l’ai pas fait une seule fois. Parce que je sais que ses mots seront ridicules. D’une ampleur minime par rapport à sa souffrance.
— Or…
Je l’appelle plusieurs fois mais elle m’ignore. Alors je m’agenouille et dépose la nourriture sur la table basse. Je ne vois pas son visage. Elle paraît minuscule, enfoui sous la couverture, elle me tourne le dos.
— S’il te plaît Or, tourne toi.
Je lui caresse le dos et l’aide à se retourner et à s'asseoir. Je prends sur moi pour ne pas m'effondrer quand je découvre son visage et ses yeux gonflés. Malgré les nombreuses heures de sommeil qu’elle a eu, elle a l’air si fatiguée. Si fragile.
— Je vais te chercher une tenue plus confortable. Essaie de manger d’accord ?
Je trouve un pyjama chaud dans ses affaires. Je prends une pause pour respirer. Comme si je retournais au combat. Puis je le lui apporte.
Quand je reviens, je la retrouve au même endroit. Elle tient ses genoux contre elle comme si elle essayait de se tenir en un seul morceau.
— Tiens.
Mais elle ne bouge pas. Je crois d'abord qu’elle ne m’a pas entendu alors je me répète mais toujours aucune réaction de sa part.
Peut être est ce trop tard ? Peut-être que son âme est déjà partie et seul son corps reste là comme un fantôme qui erre. Mais je balaie rapidement ces pensées.
Alors je me ressaisis et je l’aide.
Quand je suis sur le point de retirer son pull, elle m’en empêche.
— Je peux le faire. Tourne toi.
J'obéis.
Puis quand elle me dit que c’est fait, je me retourne et prends place à côté d’elle. Je me baisse pour attraper la tasse et la lui donner. Tandis qu’elle boit le liquide, moi je lui coupe ses pancakes.
— Ouvre le garage, essayais-je de détendre l’atmosphère. Fais ahhhh !
Elle esquisse un petit sourire mais aussi minuscule qu’il puisse être, je m’y accroche, c’est un début. Une première victoire.
Elle ouvre la bouche et goûte mes pancakes.
Elle en reprend donc ça veut dire que ce n’est pas raté.
— Tu veux en parler ?
— Pas vraiment non.
Oriana retourne se coucher tout de suite après avoir mangé.
Soudain, une idée me traverse l’esprit. Je me mets à chercher sur internet s' il y a un aquarium ici et c’est bien le cas.
Le test de paternité prend du temps alors j’envoie un message à mon contact lui demandant d’accélérer le processus.
Je me change rapidement et la somme de se lever.
***
Oriana marche à mes côtés, silencieuse. Je sens à la raideur de ses épaules qu’elle est ici à contrecœur. Mais elle est là. C’est déjà une victoire.
L’aquarium est plongé dans une pénombre apaisante, seulement troublée par la lueur des bassins. L’eau projette des reflets tremblants sur le sol, sur ses joues. Je l’observe, même si je ne devrais pas. Son visage est fermé, ses yeux cernés, mais il y a quelque chose dans sa façon de regarder autour d’elle qui me donne envie d’y croire.
Nous marchons à travers les tunnels de verre, où les raies et les requins planent au-dessus de nos têtes, ombres fantomatiques dans l’immensité bleue. Mais ce n’est pas ça qui m’intéresse.
Je l’entraîne vers une salle plus isolée, baignée d’une lumière violacée.
Les méduses.
Elles dérivent derrière la vitre comme des spectres en suspension. Des voiles translucides, des fils délicats qui se laissent porter sans jamais opposer de résistance..
Celle que je veux voir n’est pas là.
Turritopsis dohrnii. La méduse éternelle. J’arrive bientôt au bout de ma quête.
Je fixe leur danse avec une fascination presque religieuse.
Ce n’est pas un simple intérêt. C’est une obsession. Une nécessité.
Oriana ne sait rien. Elle ne sait pas que mon temps est compté. Elle ne sait pas que sous mon cœur, mes poumons, mon corps sont en train de me trahir. Elle ne sait pas que je suis en quête d’une promesse brisée.
Le poids de tous ces mensonges.
Mais pour quelques instants, je peux faire semblant.
Je peux être juste un homme qui regarde des méduses avec la femme qu’il a détruite.
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