Fyctia
LA CHUTE DU SILENCE
Les escaliers résonnaient comme un tambour métallique. Noah dévalait les marches, propulsé par l'adrénaline. Sa gorge — caverne muette. Ses cordes vocales — instruments paralysés. Une partie de son identité, évaporée.
Il s'arrêta, oreille tendue. Le filtre acoustique fonctionnait encore. Le monde lui parvenait atténué, presque doux. Mais les sirènes du Consortium perçaient cette bulle.
Ils approchaient.
À chaque palier, les vitrages révélaient le chaos de la rue. Véhicules noirs convergeant, gyrophares projetant des éclats métalliques sur les façades lépreuses.
Son bracelet-sonomètre vibra, pulsant d'une lumière mauve inconnue. "ANOMALIE ACOUSTIQUE DÉTECTÉE - SIGNALEMENT EN COURS."
Noah l'arracha, l'écrasa. Trop tard.
La cage d'escalier débouchait sur une arrière-cour de conteneurs-habitats empilés. Noah s'y engouffra, carte métallique en main. Direction nord-est — les zones industrielles reconverties.
La "Zone S", où Sara Nour lui avait donné rendez-vous dans trois heures. "Nous vous expliquerons tout," avait-elle promis. Avait-elle échappé aux drones? L'attendait-elle vraiment là-bas?
Une bourrasque acide le frappa. L'atmosphère du 19ème — toxic. Noah activa la filtration de sa veste. Autonomie : quarante minutes.
Sa nouvelle condition le frappait par vagues. Bouche ouverte. Mots formés. Aucun son. Ses pensées murées dans son crâne. Était-ce ainsi que vivaient les "Inaudibles" ? Était-ce ce qu'Issa avait vécu avant de disparaître? Et Sara — cette femme qui avait risqué sa sécurité pour l'avertir — connaissait-elle déjà ce vertige du silence?
Noah s'engagea entre deux immeubles acoustiquement isolés — zone tampon entre le luxe des dômes et l'enfer sonore standard.
Un flash balaya la ruelle. Il plongea dans l'ombre. Un drone "Oreille Volante" planait, capteur orienté vers le sol. Paradoxe cruel : son silence le rendait plus visible que n'importe quel cri.
Le drone émit son faisceau. Noah retint son souffle. Les secondes s'étirèrent.
Puis le vrombissement s'éloigna.
La Zone S : deux kilomètres. L'ancien complexe de La Villette, reconverti après la Crise du Silence de 2031.
Noah s'élança, fantôme acoustique dans une ville dévorée par le bruit.
Le boulevard grouillait. Véhicules, scooters, dirigeables informatifs — soupe sonore de Paris-Est. Sur les façades-écrans : son visage. "RECHERCHÉ — SUJET 37-B — CONTAMINATION SONIQUE."
Comment si vite ?
Le bracelet. L'appartement. Les caméras. Tout connecté au Grand Réseau.
Capuche rabattue, il avançait. Les passants s'écartaient — bulle d'exclusion spontanée. Le conditionnement social à l'œuvre.
Un projecteur balaya la foule. Les forces se déployaient.
Noah plongea vers une bouche de métro abandonnée. La ligne 7, effondrée en 2035. Couloirs alternatifs pour non-conformes.
L'effet de la pilule s'estompait. Les sons revenaient — marée montante d'agressions.
Au fond, un graffiti phosphorescent : oreille barrée d'une ligne verticale. "LE SILENCE NOUS APPARTIENT."
Des vibrations parcouraient le sol.
Une main sur son épaule.
Noah pivota. Face à lui, une silhouette en manteau anti-acoustique, masque respiratoire. Pas Sara. Ces yeux bleu électrique, d'une intensité douloureuse, appartenaient à quelqu'un d'autre.
Un doigt sur le masque réclamant le silence. Une tablette affichant :
"TU ES NOAH KELLER ? PATIENT DE LEÏLA NOUR ?"
Noah acquiesça.
"SUIS-MOI. DRONES-OREILLES DANS 4 MINUTES."
La silhouette s'engouffra dans un passage dissimulé. Hésitation d'une seconde. Derrière lui, le vrombissement des drones se rapprochait — notes aiguës d'une symphonie mécanique en crescendo.
Noah plongea dans le passage.
Le tunnel s'élargit brusquement en une cathédrale souterraine — vestiges d'une ancienne station abandonnée. Des néons bleutés, accrochés aux voûtes, diffusaient une clarté spectrale qui éclairait à peine les contours de l'espace. L'acoustique changeait — comme si le son même était absorbé par les parois, créant un cocon d'apaisement inattendu.
Des silhouettes se découpaient dans cette pénombre artificielle. Trois, quatre, peut-être plus. Toutes équipées de masques similaires, toutes immobiles comme des statues de sel dans une galaxie souterraine.
« Bienvenue dans la Zone S », afficha la tablette de son guide. « Zone de Silence. »
Noah regarda autour de lui, hypnotisé par cette enclave improbable. Un sanctuaire acoustique arraché aux entrailles bruyantes de la ville.
« Où est Sara ? » articula-t-il silencieusement, ses lèvres formant les mots que sa gorge ne pouvait plus produire.
Son guide comprit. La tablette s'illumina : « En sécurité. Capturée puis libérée. Elle nous rejoindra. »
Une autre silhouette s'approcha, plus imposante. Elle tendit un masque similaire à Noah — une seconde peau technologique aux multiples filtres.
« Mets-le. Protection contre les traceurs acoustiques et respiratoires. »
Noah enfila le dispositif. L'air filtré envahit ses poumons — plus pur, plus dense. Et soudain, comme un miracle technologique, une voix artificielle émana du masque, traduisant les mouvements de ses lèvres en sons synthétiques.
« Comment... ? » Sa question résonna, métallique mais audible.
« Transducteur vocal », afficha la tablette. « Nous avons perdu nos voix, pas notre droit de parler. »
Le guide retira son masque d'un geste fluide. Visage anguleux, cicatrice barrant la joue gauche. Un homme d'une quarantaine d'années au regard brûlant d'intensité.
« Je suis Issa Nour », dit-il en articulant sans son, le masque dans sa main traduisant ses mouvements labiaux en parole synthétique. « Et tu es le second patient de ma sœur à développer l'inaudibilité spontanée. »
Noah chancela sous le choc de la révélation.
Sa voix avait disparu, mais il venait de trouver ceux qui avaient transformé leur silence en arme.
2 commentaires
Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Il y a 25 jours