Fyctia
10.1
BOURTON ON THE WATER
7 octobre 2023
J’arrive sur le seuil de la maison complètement débraillée. Il manque une chaussure à mes pieds, ma chaussette est couverte de crasse, mon écharpe pend lamentablement sur mon épaule, j’ai les cheveux en pagaille et je sens mon mascara s’empâter sous mes yeux. Je ne rêve que de deux choses en ce moment-même : prendre une bonne douche et dormir jusqu’à temps que la honte disparaisse de mon âme.
Je prends tout de même la peiner d’essuyer la boue de ma chaussure restante contre le paillasson avant de toquer deux petits coups à la porte. Je patiente quelques secondes, en souriant comme une imbécile mais personne ne vient m’ouvrir. Je tente le coup une seconde fois avant de me mettre à chercher la sonnette des yeux. Évidemment, il n’y en a aucune. Je me mords la joue, tape du pied sur le sol, impatiente.
Bon ça suffit, ma vie est en train de ressembler à une mauvaise comédie que même moi, je n’aurais pas envie de regarder.
J’ouvre la porte d’un geste ferme et le souffle chaud qui s’échappe de l’intérieur me convainc d’entrer sans y avoir été invitée.
Adossée à la porte, je lâche un soupir d’épuisement. Mes yeux se baladent sur les murs, je soulagée de voir que cette maison est exactement comme la dernière fois que je l’ai quitté. L’escalier sur la droite est décoré d’une guirlande de Noël oubliée depuis maintenant une décennie, le couloir est recouvert de photos en noir et blanc. La première d’ailleurs, c’est moi, avec deux couettes sur le haut du crâne et un appareil dentaire… rouge évidemment. Personne ne portait d'appareil rouge à mon école et j'en étais plutôt fière.
Je ne peux m’empêcher d’humer la bonne odeur de cannelle et de sucre qui règne dans toute la maison et de sentir mon cœur fondre dans ma poitrine. Les souvenirs de mon enfance affluent dans ma tête, tous joyeux pour la plupart, je passe distraitement les doigts sur les quelques bibelots qui trônent sur la table de l’entrée. Il y a d'énormes coquillages ramenés par mon oncle des Caraïbes. Petite, je m’amusais à écouter le bruit de la mer à l’intérieur. Un sourire mélancolique nait sur mes lèvres à mesure que je m’approche de la pièce de vie.
— Mamie, tu es là ? C’est mo…
Ma phrase se meurt sur mes lèvres lorsque je renverse accidentellement un vase rempli de fleur avec mon sac à main. Le verre éclate dans un bruit sec sur le sol. Mes yeux menacent de sortir de leurs orbites, je plaque une main sur ma bouche, horrifiée.
Mais quelle idiote !
Je m’abaisse précipitamment.
Dans le fond de mon crâne j’entends ma mère qui m’incendier d’être trop gauche et de ne jamais faire attention à rien. Elle a raison en vérité, je ne compte pas le nombre d’objet que j’ai cassé au cours de ma misérable existence. Même Liam qui adorait les figurines prenait soin de les ranger en hauteur en ma présence. Il ne les montrait que lorsqu’il savait que j’étais trop loin pour engendrer une catastrophe. Greg m’a carrément fait une vanne une fois en m’offrant un gobelet en plastique pour enfant à mon anniversaire. Il doit encore être rangé dans l’un de mes placards de la cuisine. Je crois que y’avait une stupide citation de Mr Bean inscrite dessus.
— Il n’y a que toi pour faire une entrée aussi fracassante, ma Beth !
Je lève les yeux vers ma grand-mère qui vient brusquement d’apparaitre dans l’encadrement de la porte, l'embarras me paralyse, mes joues me brûlent le visage.
Décidément ce soir, je n'en loupe pas une.
— Je suis désolée mamie ! Je vais t’en racheter un promis, mon dieu je suis tellement nulle.
Je m’affaire sur le sol à récupérer les bouts de verre tout en me mordillant la lèvre.
— Qu'elle bêtise dis-tu là ! Il était immonde ce vase, encore un cadeau empoisonné. Relève-toi et viens saluer ta vieille grand-mère !
Sa main ridée se pose délicatement sur mon épaule, générant de la chaleur sur ma peau, sa jovialité s'empare de moi.
Quelques secondes après, je la serre dans mes bras et nous nous balançons de gauche à droite comme nous l’avons toujours fait pour nous étreindre.
— Je suis heureuse de voir que tu n’as pas perdu ta maladresse en grandissant !
Je ricane en reniflant sa peau qui sent la rose.
— Tu as bonne mine mamie.
— Et toi donc ! Fais-moi voir un peu ?
Elle prend mon visage entre ses mains et m’inspecte sous toute les coutures, les yeux plissés. Sa peau est douce contre la mienne.
— Oh oui ! Magnifique comme toujours, on ne croirait presque pas que tu as le cœur brisé.
Je secoue la tête, sans être capable de me départir de mon sourire. Ce même cœur menace d’exploser dans ma poitrine tant il est empli de joie.
— Tu as arrêté de te teindre les cheveux ?! je m’exclame, surprise.
Lors de notre dernière rencontre, elle les avait blonds et voilà maintenant qu’ils sont gris.
— Penses-tu, à mon âge.
— Ça te va bien.
Elle réhausse fièrement ses lunettes sur son nez courbé et me serre une nouvelle fois contre elle.
Je pense réellement ce que je dis, ma grand-mère a toujours fait plus jeune qu’elle ne l’est en réalité et même si elle a gagné une ou deux rides sur ses joues, elle reste en très grande forme pour une femme de quatre-vingt-un ans.
— Tu es glacée mon dieu ! Viens te réchauffer, tu veux une tisane ? Tu aimes toujours ça, hein dis moi ? Oh j’espère que je ne me suis pas trompée, je t’ai acheté ces gaufrettes à la framboise que tu adorais tant pour l’accompagner mais peut-être que tes goûts ont changés… Tu me le diras s’il y a des choses que tu n’aimes plus, hein ma Beth ?
Son engouement me fait sourire de toutes mes dents.
Je ne saurais qualifier le tourbillon d’émotion qui vient m'animer. De l’attendrissement ? Du bonheur ? De la suavité ? De l’excitation ? Certainement tout à la fois. Tout ce que je sais, c'est qu'elle m'a énormément manquÉ.
— J’aime toujours la tisane et les gaufrettes à la framboise, mamie.
— Merveilleux ! Allez viens, je vais te préparer un petit plateau et tu vas t’installer près du feu.
Son bras passe sous le mien tandis qu’elle m’entraine d’un pas lent à sa suite.
Je me souviens d’une époque où l’inverse se produisait, c’était elle qui me soutenait pour m'apprendre à marcher. Désormais c’est mon tour.
Je la suis en papotant, les mots sortent en flot de ma bouche alors que je lui raconte comment s'est déroulé mon trajet, je laisse derrière moi ma valise et aussi j’en ai l’impression, le plus gros de mes tourments.
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8 commentaires
Hopeless_
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Diane Of Seas
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KBrusop
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GwendolineBrument
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Felicia 🖤
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Camrynzenine
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RayaneSchwab
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Emeline Guezel
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Il y a un an