Fyctia
5.1
Ma mère est en retard. Comme d’habitude je dirais.
Il y a des choses qui ne changeront jamais dans ce bas monde. Et Margaret Blackwood fait partie de ces personnes gravées dans le marbre, qui n’évoluent pas, ne régressent pas, elles stagnent tout simplement, ce qui peut parfois être agaçant. Mais détrompez-vous, j’adore ma mère. Seulement la vie l’a tellement surmenée qu’elle s’est sentie obligée de s’enfermer dans une prison aux barreaux d’acier pour pouvoir survivre, si bien que de là où elle est, plus rien ne peut l’atteindre.
— Vous voulez peut-être que je vous apporte quelque chose en attendant ?
Je lève le menton vers l’aimable serveuse qui s’approche de moi pour la troisième fois depuis que j’ai poussé la porte de ce café.
— Non ça ira, elle ne devrait plus tarder.
— Très bien, n’hésitez pas surtout.
Elle se retourne et s’en va, mon regard coulisse le long de son dos, s’arrêtant sur ses fesses et puis quand elle s’approche pour aller servir un autre client, je me mets à détailler son élégant profil, les yeux brillants.
La chaise en face de moi racle sur le sol, me tirant de mes rêveries. Ma mère se penche par-dessus la table et viens m’étreindre tendrement. Ses cheveux sentent le caramel. J’ai toujours adoré cette odeur bien que je n’aie jamais aimé le goût, c’est un parfum sécurisant que je lui associe. Ses bras me maintiennent plus fermement que d’habitude, elle n’est pas aussi indifférente qu’elle le prétend, cette histoire la chamboule, je le sens et je m’en veux.
J’ai été obligé de lui dire, pour Liam et moi même si j’aurais préféré le faire autrement que par message. Son planning des semaines à venir était complet et pour espérer me glisser dedans, il a fallu que je joue la carte de la pitié. Coup bas, peut-être mais c’était nécessaire. Aussi adulte que je puisse l’être, j’ai toujours besoin de ma mère dans un tas de situation.
— Ma fille, comment vas-tu ? me questionne-t-elle en se débarrassant de ses affaires.
Je me cache expressément derrière la carte du café pour éviter de croiser son regard, j’ai trop peur de ce que je pourrais y lire.
— Bien. Ça va, je m’en remets.
— Tu mens aussi mal qu’un homme, Bénédicte.
Je serre les dents et referme brusquement la carte. Mon regard croise le sien, brumeux, impénétrable.
— On pourrait peut-être commander avant de démarrer les hostilités ?
— Très bien.
Sa bouche maquillée de rouge s’étire dans un petit sourire rieur. C’est elle qui m’a donné une addiction pour cette couleur. Maintenant impossible de m’en dépêtrer, je la porte sur tous mes vêtements jusqu’au bout de mes ongles. C’est bien un des seuls trucs qu’elle m’ait transmis. Je ressemble à mon père, du tout pour tout. Cheveux châtains, lisses, peau très pâle, bouche assez petite, tâches de rousseurs sur les joues, yeux orange, carrure svelte. Ma mère a des cheveux crêpus qu’elle lisse chaque jour et une peau bronzée naturellement, héritage qu’elle tire de son père. J’aurais aimé tout prendre de son côté, tout simplement parce que c’est d’elle que je suis la plus proche et s’il y a bien une personne à qui je ne m’identifie pas c’est mon patriarche. Heureusement pour moi, je n’ai pas hérité de son infidélité.
Je reporte mon attention sur la liste des chocolats chauds même si en réalité mon choix est déjà fait depuis un bout de temps.
— Je vais prendre celui avec des éclats de noisettes, supplément coulis vanille et chantilly, je déclare en rejetant la tête en direction de la serveuse avec un grand sourire.
Elle me le renvoie poliment et note ma commande sur son calepin. Je sens la pointe du ruban que j’ai noué dans mes cheveux caresser ma nuque.
Ma mère opte pour un simple café au lait et une sucrerie. La serveuse récupère les cartes et repart aussi rapidement qu’elle est arrivée.
Je gesticule sur ma chaise, mon regard se met à vagabonder dans la salle à la décoration rustique et très sombre. La nuit est en train de s’abattre à l’extérieur donnant à l’endroit une ambiance calme et reposante.
— Tu comptes me dire ce qu’il s’est passé ou faut-il que je te sorte les vers du nez ?
Elle est en train de se repoudrer le visage devant son miroir de poche. Je me croise mes mains sur la table devant moi, lâche un profond soupir, je sais pertinemment sur quoi la conversation va déboucher.
— Il m’a trompé.
Son regard quitte le miroir, se pose sur moi, une lueur morose le traverse. Elle est furtive mais bien présente. Nous nous dévisageons quelques secondes avant qu’elle ne reporte son attention sur son maquillage, les lèvres pincées. Elle ne fait aucun commentaire, je vois bien que ça lui brûle la bouche et pourtant, elle se contient, ma poitrine se relâche de soulagement. Je n'aurais pas été capable de supporter l'une de ses remarques étourdies.
— Avec qui ? demande-t-elle finalement.
— Sa prof.
Elle fait claquer son miroir sans sa paume puis, le glisse dans son sac à main. Lorsqu’elle se tourne à nouveau vers moi, la peine que je lis sur son visage me retourne le cœur.
— Désolé, je sais que tu l’aimais bien, je marmonne en la quittant des yeux.
— Ce n’est pas pour moi que tu devrais être désolé Beth, c’est pour lui.
Une larme roule sur ma joue, tandis qu’elle tend sa main pour l’essuyer. Le contact de sa peau contre la mienne est d’une douceur indescriptible, plutôt surprenant venant de ma mère, il projette un souvenir étrange sur moi, j’ai la soudaine sensation d’avoir à nouveau huit ans et de me retrouver blotti contre les genoux de ma grand-mère tandis qu’elle me caressait les cheveux pour interrompre les larmes que je versais à cause de mes parents.
— C’est gentil.
La serveuse revient avec notre commande, je profite de son intervention pour tirer un mouchoir de la poche de ma veste. J’en ai toujours sur moi depuis quelques temps, question d’habitude.
— Tu n’avais pas l’air surprise, au téléphone quand je te l’ai annoncé.
Je plonge mon doigt dans le gros nuage de chantilly puis le porte à ma bouche. Elle souffle sur son café avant d’en boire quelques gorgées, son rouge à lèvre s’imprime sur le bord de la tasse.
— Eh, bien il me semble que ça n’allait plus entre vous depuis un petit moment. Tu le trouvais distant non ?
— Oui mais… enfin, il n’y avait rien qui prédisait que…
Un petit rire lui échappe.
— Ma fille que tu es naïve, quand un homme ne te regarde plus c’est forcément qu’il regarde ailleurs.
Je serre les dents.
— Super, merci maman.
— Ne le prend pas pour toi ! Mais vous étiez ensemble depuis longtemps, il voulait certainement voir si l’herbe n’était pas plus verte dans un autre pâturage, profiter de ce qu’il a en dessous de la ceinture avant de…
— Ça va j’ai compris, je grogne.
— Les hommes ne fonctionnent pas avec leur cerveau ni leur cœur et tu le sais.
A suivre...
6 commentaires
Nina Fenice
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C. E. Rivetto
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