Jay H. Les faits papillons Chapitre 15

Chapitre 15

Suite à cette révélation, Anaïs se prend le visage à deux mains et sanglote de tout son corps, de tout son être. Des cris stridents accompagnent les énormes larmes qui transpercent ses doigts. C’est comme si on venait de lui arracher un membre sans anesthésie et que ses pleurs étaient des lames de rasoir. On pourrait croire qu’à travers les hurlements, elle tente de dire quelque chose, malheureusement c’est incompréhensible pour le commun des mortels.


Nicolas, quant à lui, esquisse un sourire nerveux tant il est soulagé d’entendre la vérité. Oui, parce qu’il n’est pas du genre à vouloir être brossé dans le sens du poil. Si c’est pour lui dire ce qu’il veut entendre, il passe son tour. En ce qui concerne sa fille, il aimerait pouvoir la réconforter et lui dire que tout ira bien, mais d’une part il faudrait qu’il y ait un semblant d’amour réciproque et d’autre part, lui-même n’en est pas convaincu.


— Merci pour votre franchise major, dit-il avant de se laisser de nouveau absorber par le canapé.


Le gradé fronce les sourcils, il paraît interloqué par ce qu’il vient de se passer, comme s’il était spectateur d’une famille déchirée par une peine qui, au lieu de les unir, ne fait que les séparer davantage. Il avance d'un pas en direction de Nicolas et change rapidement de sujet pour en venir à l’essentiel.


— Pour revenir à la battue, dit-il un ton plus bas, nous allons rameuter encore le maximum de personnes. Tout aide sera utile. Nous allons demander aux élus de la municipalité, au personnel de la mairie ainsi qu’aux agriculteurs et aux chasseurs des communes voisines de se joindre au groupe de recherche. Et nous commencerons dès que nous aurons assez de monde et que les premières lueurs du jour feront leur apparition, pour un maximum d’efficacité.


Céline a déjà enchaîné avec une autre cigarette, elle n’essaie même plus de cracher la fumée à travers les barreaux en fer forgé. Non, elle est résignée à se laisser porter par ses instincts primaires. "À quoi bon faire l’effort ?".


Anaïs a repris son allure froide et impassible, essuyant tout de même les quelques larmes qui coulent encore dans le creux de ses cernes jaunâtres.


Nicolas n’a pas besoin de prêter attention aux deux spécimens qui partagent son quotidien. Il ressent déjà suffisamment le poids de la solitude pour y ajouter l’image de deux cadavres vivants.


Le major subit une espèce de chaleur étouffante, il retire son calot et le garde dans sa main.


— Dans ce genre d’affaire, l’aide des proches est également très utile. Vous sentez-vous la force de participer à la battue ? demande-t-il en s’adressant cette fois-ci aux trois membres de la famille.

— Pour ma part, répond Nicolas sans même regarder le gendarme, je ferai tout ce qui est possible pour retrouver ma fille (et pour sortir de cette foutue baraque).

— Je viendrai aussi (pour me prouver que je sers encore à quelque chose), répond à son tour Céline, les yeux éteints et le visage embrumé par la fumée.

— Moi aussi, affirme Anaïs en mimétisant bien involontairement le regard de sa mère.

— Et vous avez de la famille, des parents, des frères, des sœurs, qui peuvent vous rejoindre ? Peut-être les avez-vous déjà prévenus ?

— Je suis fils unique major, dit Nicolas sur un ton monocorde, et mes parents sont divorcés. Ma mère est à l’étranger et je ne veux pas l’affoler pour rien. Et mon père, eh bien, il est quelque part, mais ça vous ferait peut-être trop à gérer deux alertes disparition en même temps.


Le gradé se pince les lèvres, comme s’il retenait un rire spontané, puis il se tourne en direction de la cuisine.


— Et vous, Madame Marnier ?


Céline écrase la clope dans le cendrier et recrache lentement sa dernière taffe, avant de regarder pour la première fois le gendarme dans les yeux. Un regard sombre et pénétrant.


— Moi, mes parents sont morts il y a bien longtemps et mon unique frère les a rejoints il y a un peu plus de trois ans.


Le gradé se sent presque en trop au milieu de la pesanteur qui règne dans cette maison. Il achève donc cette conversation par un "bon, le maire d’Artenay et le procureur ne devraient plus tarder, je dois aller les accueillir. Vous les rencontrerez d’ailleurs plus tard. Si jamais vous avez besoin de moi, je serai dans le secteur. Vous n’aurez qu’à demander le major Jean-Marc". Il essuie sa moustache, remet son calot sur la tête et prend rapidement le chemin de la sortie, n’espérant même pas une réponse.


La porte d’entrée se referme et un souffle glacial s’immisce habilement dans ce silence digne d’un caveau familial.


Céline, dépérit en attendant la faucheuse. Nicolas, dévasté, au bord de l’agonie. Anaïs, une âme errante dont le corps est hors de contrôle.


Trois membres partageant le même toit, mais pas la même souffrance.


Trois étrangers imprégnés par différentes nuances de noirceur.

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41

41 commentaires

Eva Boh

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Il y a 2 ans

Très belle fin.

Raëlfar

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Il y a 2 ans

like des chapitres en retard après mes vacances ;-) je reprends la lecture dès que possible !

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Effectivement, trois âmes étrangères qui cohabitent sans se comprendre. On connait les sentiments de Nicolas mais il pourrait y avoir un amour mère/fille et une solidarité unissant Céline et Anaïs. Je n'en vois pas.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Oui, et je doute qu'il y ait un semblant de solidarité par la suite :/ Merci encore pour ton retour Pascal ! :)

MélineDarsck

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Il y a 2 ans

La fin de ton chapitre est comme un joli résumé de l'ensemble. Bravo

Jay H.

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup Méline ! :) Effectivement, ça résume bien la déchirure de cette famille suite à la disparition de la petite Charlotte.

estie

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Il y a 2 ans

Comme bon nombre des commentaires précédents, j’aime beaucoup la fin (pas que!) de ton chapitre. Encore une fois, bravo Jay !

Jay H.

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Il y a 2 ans

Mille mercis estie !!!!! <3<3

Kalehu

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Il y a 2 ans

J'aime beaucoup la fin de ton chapitre. Il montre bien les différents états d'esprit de la famille. Je me demande ce que pense vraiment Anaïs de tout ça.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup Kalehu ! Moi aussi je me demande ce que pense Anaïs ^^ (parce qu'on a du mal à cerner le personnage (mais pas beaucoup plus que la mère). Il n'y a que chez Nicolas que c'est limpide, et encore que ...
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