Fyctia
Chapitre 14
Nicolas se ronge les ongles au sang depuis plusieurs heures. S’il le pouvait, ça serait jusqu’à la chair, jusqu’à l’os, jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Végéter dans cet état d’angoisse (d’incertitude) est tortueux, impossible à vivre. C’est comme si on le privait de ses sens, puis qu’on hurlait au feu en lui pointant l’issue de secours, ça ne changerait rien, il brûlerait aussi sec.
Il observe sa femme assise sur la chaise haute de la cuisine, elle suinte l’impassibilité, et voilà que la tourmente monte d’un cran. Comment peut-elle être vide à ce point ? Un vide abyssal, obscure, surtout indéfinissable. Pour sa fille, Anaïs, toujours assise sur la dernière marche de l’escalier à caresser sa tresse, c’est plus complexe, plus séquencé. Tantôt glaciale comme une tombe, tantôt en train de déverser un océan de larmes, elle se trouve dans un ascenseur émotionnel sans arrêt et sans bouton d’alarme.
C’est certain, il n’arrivera pas à tenir bien longtemps avec ces deux étrangères. Fut un temps où il essayait encore de créer le dialogue avec l’une comme avec l’autre. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, ils partagent le même toit, mais ça s’arrête là. Et il ne tiendra jamais sans son petit papillon.
Céline, elle, ressasse inlassablement l’interrogatoire des gendarmes à leur arrivée. Elle aurait pu dire toute la vérité, se délester de ce poids, sortir de cette impasse sinueuse, mais il n’en est rien. Qui va le savoir ? Elle va enfouir ce secret dans un coin profond de son être, comme elle l’a souvent fait, car c’est le genre de silence qu’on emporte six pieds sous terre. La paillasse qui sert de chevelure lui gratte les épaules. Fut un temps où elle aimait s’entretenir, se faire belle, mais cette époque est révolue. À quoi bon ? Pour un mari qui ne l’aime plus et une fille qui ne la considère pas. Sans façon. Seule la petite dernière lui redonnait espoir, parfois. Mais maintenant, c’est un peu trop tard. Elle le regrette, mais c’est ainsi.
— Monsieur Marnier, commence un major qui a été appelé en renfort pour faire face à la situation.
Celui-ci se racle la gorge et Nicolas l’interprète rapidement comme une mauvaise nouvelle. Puis le gendarme ajoute :
— Les experts vont analyser les gouttes de sang retrouvées dans le grenier et le comparer avec l’ADN de votre fille … Cela peut prendre quelques jours avant d’obtenir un résultat.
Voilà que Nicolas s’enfonce littéralement dans le canapé, comme s’il était aspiré par un gouffre sans fond. Il finit par ouvrir la bouche, mais n’émet aucun son. Il se contente de hocher fébrilement la tête, puis il regarde les hommes en blouse blanche sortir de la maison.
Le major, toujours solide sur ses appuis, se poste au milieu des deux pièces communicantes, salon et cuisine, pour s’adresser au couple.
— Madame Marnier, Monsieur Marnier, dit-il en balançant ses mâchoires carrées de droite à gauche. Nous sommes en train de réunir du monde pour la battue. Certains de vos voisins se sont déjà portés volontaires. Des collègues ont été appelés en renfort et si les recherches dans le périmètre le plus proche ne donnent rien d’ici une heure, nous allons inspecter toutes les maisons une par une, centimètre par centimètre … Avec l’accord des propriétaires. De toute façon, dans pareille circonstance, personne n’aurait intérêt à refuser, à mon humble avis.
Céline allume instinctivement une cigarette, la main tremblante, et ne pipe pas mot. Elle ne fume jamais dans la maison, mais la situation l’oblige à reconsidérer les choses. Pour sûr le gendarme la regarde d’une manière louche, comme s’il avait découvert le pot-aux-roses. Non, c’est elle qui se fait des films (ou peut-être pas).
Nicolas, lui, ne prête aucune attention aux agissements de sa femme. Ni de sa fille, muette comme une carpe au bas de l’escalier. C’est comme s’il avait oublié jusqu’à leur existence au moment de la disparition de Charlotte. Son dos s’affaisse un peu plus dans le dossier du canapé et cette fois-ci il décolle péniblement ses lèvres pour tenter de parler.
— Major, j’aimerais vous demander quelque chose …
Le gendarme incline la tête, une oreille en avant, signe qu’il est à l’écoute malgré la faible tonalité de la voix de Nicolas.
— Quelles sont les chances ?
— Les chances ?
— Oui, de la retrouver …
Le major paraît mal à l’aise avec cette question. Il soulève légèrement son couvre-chef et se passe une main sur le front avant de se redresser et de camper son rôle.
— Tout dépend de la cause de la disparition. S’il s’agit d’une fugue comme l’écrasante majorité des disparitions de mineurs, une piste que nous sommes loin d’écarter d’ailleurs, alors il y a de très grandes chances que nous la retrouvions assez rapidement.
Nicolas le sent, ses yeux noircissent, il a presque l’impression que le brun de ses cheveux s’assombrit tant il ne croit pas à ce baratin. Certes, c’est une famille de timbrées (non, il ne s’inclut pas), mais Charlotte s’épanouissait tout de même. "S’épanouit, au présent bordel de merde !". Elle parvient même à faire sourire sa sœur et à faire réagir sa mère de temps en temps. C’est la joie de vivre cette enfant. Non, une fugue, impossible !
— OK. Et s’il s’agit d’un enlèvement ? demande-t-il en ayant repris de la voix. Je ne suis pas fou, j’ai vu l’état du grenier, comme vous major.
Céline tousse en aspirant une taffe bien pleine. Le gradé, lui, marque une pause, comme s’il voulait ne pas se tromper dans les mots choisis.
— Si c’est le cas, alors nous allons tout mettre en œuvre pour la retrouver le plus rapidement possible.
— Désolé, dit Nicolas, mais ça ne répond pas à ma question.
Le gendarme paraît un brin irrité par le ton employé, bien qu’il puisse tout à fait comprendre.
— Si elle a été enlevée Monsieur Marnier, alors nos meilleures chances sont dans les quarante-huit heures qui suivent la disparition … Passé ce délai, les statistiques ne jouent pas en notre faveur.
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