Jay H. Les faits papillons Chapitre 13

Chapitre 13

Artenay au printemps.


Habituellement, ce sont les travaux agricoles en pépinière qui commencent, maraîchage, éclaircissage, entretien des parcelles et récolte de fruits. Les amis du moulin de pierre assurent les visites de l’édifice qui a été réhabilité dans les années 1980. Ce sont aussi les évènements qui s’organisent à la prison d’étape, ce bâtiment ancien, inquiétant et accueillant à la fois. Enfin, le musée du théâtre forain, plus visité que jamais, l’occasion de s’imprégner de quatre siècles d’histoire.


Artenay au printemps, c’est tout ça. En temps normal. Là, c’est une autre histoire, un autre printemps, bien plus sinistre. L’effroi s’est abattu sur la commune et ça va se corser. André le pressent plus que jamais, "son bled" va se retrouver sous le feu des projecteurs. La ville va devenir le centre d’attention du département, de la région, puis de la France entière. Il ne va pas s’en plaindre, c’est ce qu’il espérait. Non, ça il s’en fout …


La personne au centre de l’attention, c’est ça le problème. Charlotte. Ça ne devait pas être elle. Ça ne peut pas être elle. Il ne se l’avouera pas, mais André avait fait une sorte de transfert sur la gamine dès qu’il l’a aperçue en train de faire ses premiers pas dans le jardin des Marnier. Des premiers pas qu’il n’a jamais eu l’occasion de connaitre avec ses deux petites-filles, à cause de son blaireau de beau-fils.


Son âme est en peine. Un seul objectif en tête, la retrouver avant que la battue soit organisée. Parce qu’il le sait pour avoir lu une cinquantaine de disparition dans les journaux, si battue il y a, c’est mauvais signe. Désastreux.


Voilà qu’André franchit la clôture et arpente la rue en éclaireur. Mais très vite l’observateur se sent observé. Il n’aime pas ses voisins et c’est réciproque, les gens d’ici le jugent du regard. Delorne, Lefebvre, Gouirand, Lévêque, et bien d’autres.


Il est le paria local, il l’a toujours été, celui qui ne se conforme pas à la norme sociale imposée. Celle des faux semblants. Il a toujours refusé les évènements communaux, tels que les kermesses, les banquets et autres trucs à la con qui ne servent qu’à se donner de l’importance et déployer sa langue de vipère (pour ne pas dire l’autre mot). Sa manière de penser est disparate, tant les valeurs encrées en lui sont en totale contradiction avec le reste de la communauté.


À mesure qu’il avance, il ressent le poids des regards braqués sur lui. Parce qu’ils pensent tous la même chose. Que fait-il ici ? Il n’est pas des nôtres. Mais en réalité, André s’en cogne le coquillard, car il se dit "et vous bande de cafards, qu’allez-vous faire pour retrouver la p’tite ?".

Pour eux, cette disparition servira juste à satisfaire leur curiosité malsaine. Pour lui, elle est inquiétante, c’est déjà un drame qu’il faut prendre au sérieux.


La messe étant dite, du moins pensée, il s’active pour rejoindre la foule. Des gendarmes amassés devant le domicile des Marnier. À l’intérieur, on aperçoit de la lumière à travers les rideaux recouvrant les fenêtres et ça semble s’agiter dans tous les sens. Un barrage a été mis en place un peu plus loin pour contrôler les entrées et sorties de la rue. Une camionnette France Télévision est déjà sur place. "Ah, les journaleux !". Une autre famille de cafards, tout aussi nuisible. Au moins eux, ont le mérite de le divertir.


À une dizaine de mètres de l’entrée, un bleu met en avant sa corpulence et lui bloque le passage.


— Monsieur bonsoir, vous ne pouvez pas passer, dit-il, le bras en opposition.


André s’offusque, il joue lui aussi de sa stature, histoire de montrer qu’il en a une paire.


— Je veux simplement voir comment va Nico (comme s’ils étaient intimes).

— Je comprends Monsieur, mais comme je l’ai déjà dit à vos voisins, il s’agit-là d’une potentielle scène de crime.


"Scène de crime ?"


— La p’tite a simplement disparu, n’est-ce pas ?

— À ce stade, rien ne permet d’affirmer ou d’infirmer quoi que ce soit.


"Oh, je vais lui en faire voir moi de l’affirmation !"


— Si vous souhaitez voir Monsieur Marnier, ajoute-t-il, ce sera plus tard, ou bien hors de la maison …

— C’est bon, je repasserai plus tard, s’incline intelligemment André.


Il est sur le point de faire demi-tour lorsque le gendarme l’interpelle en abaissant son timbre de voix.


— Si vous le souhaitez Monsieur, vous pouvez également participer à la battue. Plus on aura de monde, plus on sera efficaces.


Efficaces. "Et mon cul c’est du jambon !"


— Quand commence la battue ? demande-t-il plein d’appréhension.


Le bleu regarde sa montre, puis hausse le menton, le regard dans le vague comme s’il calculait à la seconde près, avant de revenir fixer le septuagénaire.


— Dans un peu moins de deux heures.


Et merde ! André le sait, dès que la battue aura commencé, ce sera synonyme de chaos. Deux options. Soit on ne retrouve pas la p’tite Charlotte, soit on la retrouve … morte.

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39 commentaires

Merixel

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Il y a 2 ans

Ta dernière phrase ne laisse pas beaucoup d'espoir...

Jay H.

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Il y a 2 ans

C’est vrai que c’est assez sombre et pessimiste comme manière de voir les choses. Mais André le pense en tout cas.

MélineDarsck

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Il y a 2 ans

La dernière phrase fait froid dans le dos. Ne peut elle pas être blessée ?

Jay H.

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Il y a 2 ans

Effectivement, elle peut l'être ... mais André pense que non :/

petitemr

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Il y a 2 ans

Ce chapitre est juste génialissime ! Je me régale de te lire et j’espère qu’on aura le dénouement de ton histoire. C’est vraiment très bien écrit. Et les décors que tu as pris le temps de poser servent maintenant bien ton récit ! J’attends la suite, sieur Jay ☺️

Jay H.

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Il y a 2 ans

Oh :o Tant d'éloges !! Mais, un million de mercis Miss mr ! :D)) (en revanche, je préfère la majuscule à "Sieur" finalement XD)

petitemr

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Il y a 2 ans

(Bon, va pour la majuscule ! D’autres desiderata Sieur Jay ? 😆)

Jay H.

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Il y a 2 ans

😂 pour l’instant rien de particulier (mais ça peut changer)

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

La révolution dans le village est bien décrite. Effectivement un tel évènement a de quoi marquer la population. Hâte de découvrir le résultat de la battue.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Je te remercie Pascal :)
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