Jay H. Les faits papillons Chapitre 12

Chapitre 12

Une forme de colère (contenue) envahit André. Il n’aime pas du tout le sous-entendu de cette question.


— Vous insinuez quelque chose adjudante ?

— Je n’insinue rien du tout Monsieur Fenouillard, je vous pose simplement des questions.

— Peut-être que si vous me mettiez au parfum, je pourrais être plus coopératif.

— Peut-être que si on vous embarque tout de suite, vous baisserez d’un ton.


Dès qu’André sent la fureur monter, il se souvient de 39-45, et que son esprit rebelle a failli lui coûter la vie à plusieurs reprises. Être un résistant, c’était noble à l’époque, aujourd’hui on relativise, ce n’est pas le même affront, les temps ont changé. Il laisse donc son ego au placard.


— Navré adjudante, je ne voulais pas saper votre autorité. Je suis simplement un peu pris de court, sans vraiment comprendre la situation.


Un contentement certain se lit dans la posture de la gendarmette, André se réjouit (intérieurement) d’avoir su détendre l’atmosphère.


— Je comprends Monsieur Fenouillard. Nous faisons juste notre travail, alors répondez à la question s’il vous plait.


André passe rapidement la main dans ses cheveux blancs et rêches, puis il ajuste sa ceinture, signe qu’il va coopérer.


— Honnêtement, je ne me souviens plus bien. J’ai dû bricoler un peu dans le garage, après ça une petite douche et après je suis allé chercher des poux à ma femme.

— Et pourquoi ne pas être allé directement voir vos voisins après avoir entendu ces bruits ?


Le septuagénaire joue de sa grande taille pour surplomber les gendarmes, il aime ça maîtriser ses paroles, ses actes, il répond calmement et gentiment :


— J’ai un peu plus de soixante-dix ans, adjudante. J’ai roulé ma bosse comme on dit. Alors, je ne m’affole pas au moindre bruit dans le voisinage. Au bout d’une heure, je m’ennuyais un peu pour tout vous dire, donc j’ai décidé d’aller vérifier que tout allait bien chez les Marnier.

— Je vois.


Je vois. André traduit ça par "argument moyennement convaincant". Doit-il vraiment se justifier pour être resté tranquillement chez lui ? Pourquoi doit-il se justifier d’ailleurs ?


— C’est bon ? Je peux savoir ce qui s’passe maintenant ?


Par pitié, il voudrait tellement entendre que Nicolas Marnier a froidement abattu Armand Delorne pour un conflit de voisinage ou un truc du genre. Mais non, ça se saurait si c’était aussi simple. Et puis, il n’aimerait pas savoir Monsieur Marnier derrière les barreaux. Son sadisme a des limites.


— Vous vivez seul avec votre épouse ? esquive une nouvelle fois la gendarmette.


André décide de ne plus faire fi de ces rejets incessants.


— Affirmatif !

— A-t-elle aussi entendu les bruits évoqués ?

— Je ne pense pas non.

— Peut-elle nous le confirmer ?

— Non, moi je n’ai rien entendu, hurle Madame Fenouillard à l’autre bout du couloir.


Le jeunot, le colosse et l’adjudante se regardent les uns les autres, comme surpris par ce qu’il vient de se passer.


— Bien, je vous remercie Monsieur Fenouillard, conclut l’adjudante. Mes collègues reviendront probablement vers vous pour des questions complémentaires, lorsque l’enquête aura avancé.


"Quelle enquête ?"


Elle presse le pas pour ouvrir la porte et sortir, rapidement suivie par ses comparses. Dehors, la tempête semble s’être calmée. Quelques gouttelettes tombent dans le jardin et sur le bitume. Plus de grêlon, plus d’orage, plus d’éclair. André imite les gendarmes et se rend dans le carré de verdure à l’avant. Sa tête pivote et il aperçoit l’ampleur de la situation. Effectivement, la tempête météo s’est calmée, mais un cataclysme d’envergure l’a remplacée, dans une nuit noire, sans étoile, sans espoir.


Des Peugeot 306 S16 en nombre et quelques fourgons sont garés dans la rue. Une vingtaine, voire une trentaine de gendarmes ont été déployés et sillonnent le quartier. Certains font du porte-à-porte, d’autres sont postés dans le jardin des Marnier avec des lampes torches. André jette un coup d’œil à droite et croise le regard de Monsieur Delorne. "Et merde ! Toujours en vie lui !". Oui, Delorne avec sa calvitie et ses grosses lunettes, est bien en vie. Vêtu d’un peignoir de chambre, il se tient devant sa haie de jardin, fidèle au poste des cafards de la rue. En face, même Madame Lefebvre qui épie habituellement le voisinage depuis sa fenêtre, est sortie de chez elle.


L’adrénaline monte. André l’a senti dès qu’il s’est coupé avec le journal plus tôt dans la journée (la veille maintenant), un mauvais présage rodait dans les parages. C’est avéré, il est aux portes de ce qu’il languissait, mais qu’il redoute désormais. Oui, il le sent, il le sait, ça lui pend au nez.


— Adjudante, je peux savoir maintenant ?


Karine Tozel ouvre le portillon du jardin, laissant passer l’imberbe et le costaud, puis elle se tourne vers André.


— La fille de vos voisins, Charlotte Marnier, elle a disparu du domicile.


André l’insurmontable, est au bord de l’effondrement. Son armure se fissure, son cœur se fend, ses jambes le lâchent. À force de désirs puérils, capricieux, sordides, il a fini par attirer le mal, le vrai.


Il le souhaitait du plus profond de son être, le voilà servi ! Mais il peut le jurer, le fait divers tant espéré ne concernait pas la petite Charlotte.


N’importe qui, mais pas elle !

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53

53 commentaires

Emmy Jolly

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Il y a 2 ans

André est touché par la disparition de la petite Charlotte, on dirait...

Jay H.

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Il y a 2 ans

Je confirme !!

clecle

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Il y a 2 ans

C'est fou, en fait, le vieil André est très attaché à la petite Chatlotte. Encore deux chouettes chapitres avec des personnages forts. Ce fameux trio est décrit avec réalisme tout comme le déroulé de cet interrogatoire.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Merci beaucoup clecle !! :) Je suis heureux que tu mettes en avant le réalisme, parce que c'est vraiment quelque chose qui m'importe dans cette histoire. Trop content !! ... Et oui, André est très attaché à la p'tite, on comprendra très vite pourquoi d'ailleurs.

petitemr

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Il y a 2 ans

C’est toujours un plaisir de te lire, j’attends la suite, Jay ☺️

Jay H.

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Il y a 2 ans

Merci petitemr !!! :) ... Elle est en cours d'écriture, mais cette semaine, j'ai vraiment pas beaucoup de temps à consacrer à la lecture/écriture :(

estie

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Il y a 2 ans

Bien amené le clin d’œil à la série "Une femme d’honneur" avec l’excellente Corinne Touzet... Bravo Jay!

Jay H.

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Il y a 2 ans

Haha merci estie !! (content de voir que la ref te plait)

Kalehu

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Il y a 2 ans

L'effondrement d'André est vraiment très touchant 😭

Jay H.

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Il y a 2 ans

Le roc s'effondre :(((((
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