Jay H. Les faits papillons Chapitre 11

Chapitre 11

Ah, ce tonnerre assourdissant, ça lui cogne les tempes !


Il voudrait grogner, se plaindre, mais il en est incapable. Aucun éclair n’accompagne la détonation, l’opacité lui embrume le cerveau et la vision. Voilà maintenant qu’il entend des sifflements aigus, accompagnés d’autres bruits irréguliers. Comme des boules qui tombent au-dessus de sa tête. Au loin, une voix rauque mais familière. André ! Chiffe molle !


— Oh Fenouillard !


Un sursaut, et André ouvre les yeux, un brin désorienté.


— Dis la carcasse, souffle-t-il en décollant sa joue du dossier de 1988. Pourquoi tu me réveilles à coup de hurlements ? T’es givrée ?


Un rictus moqueur, comme si elle aimait le maltraiter, puis Francine répond :


— Les gendarmes sont à la porte, ils ont demandé à te parler !


André écarquille les yeux, pas trop quand même, on tient le rôle du dur à cuire.


— Ils me veulent quoi les bougres ?

— Et j’en sais quelque chose moi peut-être ! Décolle ton cul de ce siège et va voir !


Voilà qu’il se lève prestement, piqué par la curiosité, sort de son bureau, emprunte le long couloir inutile et aperçoit au bout les hommes en bleu, raides comme des pilots. Il les distingue mal, non pas à cause du réveil brutal, mais parce que sa fierté l’emporte sur une vue en déclin évident. "Non André, pas besoin de lunettes !". À mesure qu’il progresse vers eux, les formes deviennent nettes sous le porche de l’entrée. Au temps pour lui, ce sont deux gendarmes et une gendarmette à moitié masquée par l’ossature de l’un des deux autres.


— Madame … Messieurs … Si c’est pour l’amende que je refuse de payer depuis 95, vous perdez votre temps.


Le gendarme frêle avec trois poils aux mentons, qui a l’air tout droit sorti de l’école, retient un rictus naturel. Quant au costaud, un ouragan ne le ferait pas sourciller, il fait un pas de côté pour laisser le champ libre à la jolie gendarmette d’une quarantaine d’années. Un salut militaire, habituellement réservé aux contrôles routiers, André comprend le sérieux de la situation.


— Adjudante Pascale, gendarmerie d’Artenay ! dit-elle d’une voix ferme en renvoyant sa main droite dans le rang. Vous êtes André Fenouillard ?


C’est dingue, il pourrait jurer que c’est l’actrice de la série là. Ah, comment elle s’appelle déjà ? Karine Tozel, un truc comme ça. Il n’a jamais été trop doué avec les noms d’acteurs. Excepté le regretté Gabin, un bon viril à l’ancienne, comme lui.


— Lui-même …

— Bonsoir Monsieur Fenouillard. Nous revenons de la maison de vos voisins et d’après les dires de Monsieur Marnier, vous auriez entendu un bruit un peu plus tôt dans la soirée, vous confirmez ?


Pour l’instant, c’est le bruit des grêlons qui claquent sur la toiture qu’il entend, et ça lui casse les oreilles.


— Vous voulez entrer ?

— Si ça ne vous dérange pas, répond l’adjudante sur le même ton.


Une fois les gendarmes côte à côte, adossés au mur du couloir, André tente d’observer furtivement le voisinage avant de refermer la porte. Il croit percevoir des gyrophares près de la maison des Marnier, mais avec ce déluge, difficile de confirmer.


— Oui, et j’en n’ai pas entendu qu’un de bruit hein ! dit-il en se postant sur le pan de mur en face.


Voilà que le jeune imberbe sort un calepin et un stylo de sa parka bleue et noire.


— Ah bon ? Combien de bruits avez-vous entendu ? Pouvez-vous les décrire s’il vous plait ?


"Voilà qu’elle me fait travailler la mémoire ! D’la chance que j’me perde dans ses yeux celle-ci !". C’est vrai, l’exercice n’est pas simple pour André, qui vient littéralement d’être réveillé au saut du bureau.


— OK. Il y avait le premier, ça ressemblait à un bruit cristallin, mais lointain. Comme une vitre qu’on casse.

—Et ce bruit venait d’où ?

— Je ne peux rien affirmer adjudante, mais je crois bien que ça venait de chez les Marnier.

— Tu notes tout ça, n’est-ce pas ? se rassure l’adjudante auprès du jeunot qui acquiesce. Il était quelle heure ? ajoute-t-elle à l’attention d’André.

— 19h32.

— C’est très précis ça … Ensuite, le second bruit ?

— Ensuite, quelques secondes plus tard, le même bruit.

— Le même vous dites ?

— Oui, mais la seconde fois, ça me semblait encore plus lointain. J’ai eu l’impression que mon imagination me jouait des tours… Excusez, mais il se passe quoi au juste ?

— Un autre bruit Monsieur Fenouillard ? demande la gendarmette en balayant sa question comme on éjecterait un rat des champs.


André prend sur lui, il voue le plus grand respect aux forces de l’ordre, à contrario il déteste l’autorité. Raison pour laquelle il avait abandonné l’idée de faire partie de la cavalerie. Quelle tangente on prend ? On lui rentre dans le lard ?


— Peut-être trente minutes plus tard, je suis sorti chercher le courrier dans la boîte aux lettres…

— Un dimanche ?


Il n’apprécie guère ce ton suspicieux, mais encore une fois, il prend sur lui.


— Oui, je suis un pantouflard que voulez-vous ! Si ma femme ne le récupère pas, je pourrais le laisser trainer une semaine entière.


L’adjudante Pascale opine du chef, visiblement en attente de la suite.


— OK, reprend André avec une pointe d’agacement, j’ai entendu un dernier bruit … plusieurs derniers bruits, au moment où j’ai récupéré le courrier. Et là, je pouvais presque affirmer que ça venait de la maison des Marnier. Mais c’était différent, c’était pas des bruits ambiants comme les deux autres. Non, ça ressemblait plus à quelqu’un en train de faire un sacré remue-ménage. Comme si on renversait des meubles sur des planches de bois.

— Selon vous, ça pouvait venir du grenier de la maison ?

— Difficile à dire, mais oui ça se peut bien.


André remarque des espèces de flaques qui se sont formées sur le carrelage. Ouais, il n’aurait jamais dû les inviter à entrer.


— Quand vous avez entendu les derniers bruits, vous êtes allé directement chez Monsieur Marnier ?

— Non pas directement. Je dirais, une heure plus tard.


Le jeunot lève les yeux de son calepin, le costaud tique légèrement, la femme d’honneur, elle, bombe le torse et prend un air grave.


— Et vous avez fait quoi pendant une heure Monsieur Fenouillard ?

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40

40 commentaires

petitemr

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Il y a 2 ans

C’est un régal ce chapitre ! Top top top

Jay H.

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Il y a 2 ans

Ohhhh :o merci mille fois !! :)

Kalehu

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Il y a 2 ans

Oh non, il ne peut pas être suspect :o

Jay H.

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Il y a 2 ans

A voir ... ^^

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Malgré son caractère, André est bien obligé de filer droit devant les gendarmes venus l'interroger. Il pourrait bien passer de témoin à suspect selon l'évolution de l'enquête.

Jay H.

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Il y a 2 ans

C'est exactement ça ! On défie l'autorité, mais pas trop quand même ^^

Emmy Jolly

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Il y a 2 ans

la question qui tue! qu'est-ce qu'il a fait pendant une heure...J'adore ta manière d'écrire la vie d'André

estie

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Il y a 2 ans

Idem,la psychologie des personnages, et notamment celle d’André est très bien travaillée!

Jay H.

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Il y a 2 ans

Merci encore Emmy !! :) ... Merci mille fois estie <3

MélineDarsck

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Il y a 2 ans

Bonne question. Qu-a-t-il fait, lui?
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