Jay H. Les faits papillons Chapitre 7

Chapitre 7

— Oh oh, Céline ! dit-il en claquant des doigts. T’es avec moi ou quoi !


Un temps d’adaptation, puis elle revient parmi les vivants. Était-elle inconsciente ? En quelque sorte. Disons simplement que son esprit a divagué un instant. Longtemps ? Une bonne minute sûrement.


— Tu fais de plus en plus flipper toi ! dit-il sur un ton sincèrement inquiet (on ne joue pas avec la santé mentale). Pense à consulter, j’te jure.

— J’y penserai oui, répond-elle d’une voix chevrotante en posant le récipient brulant sur le plan de travail. Appelle les filles s’il te plait, on va manger. Le temps de mettre la table.


Ni une ni deux, Nicolas s’exécute car les gargouillis sont omniprésents, son ventre le supplie de bien vouloir le sustenter et l’abreuver. Il arrive dans le salon, pose le pied sur la première marche en se tenant à la rampe, puis marque un arrêt. On toque à la porte. Son estomac va devoir attendre.


Ou est-ce qu’il a foutu les clefs ? Un coup d’œil sur le meuble TV, rien. Quelques pas pour arriver au panier en osier sur la commode de l’entrée, rien non plus. On sonne maintenant. "Ça va, une minute oui !". Il pivote sur lui-même, elles sont sur la table basse. Merde, il se fait peur, ce n’est pas la première fois que sa mémoire lui fait défaut ces derniers temps. Il a grandement besoin de vacances (pas des vacances normales, des vacances avec un aller sans retour).

Lorsqu’il ouvre la porte, il est heureux de voir un visage familier, une personne qu’il apprécie fortement.


— Oh, bonsoir André !



***



Céline profite de la visite inattendue de leur voisin pour filer à l’anglaise. Bon, l’Angleterre se trouve juste un niveau plus haut. Elle doit en avoir le cœur net. Ne pas rester dans cet état de léthargie ambiante. Elle tente d’être discrète, malheureusement pour elle, les marches la trahissent en craquant sous la pointe de ses pieds. Elle marque une pause, s’assure qu’elle n’est pas repérée et poursuit son périple (pour elle, c’est un périple).


Arrivée en haut, elle dissèque chaque recoin. Sur sa gauche, les deux chambres. Au milieu, les toilettes et la salle de bains commune. À droite, les marches qui mènent au grenier. Toutes les portes sont closes, l’étage est silencieux. La seule résonnance vient du bas, la discussion entre André et Nicolas. "Vous voulez entrer ? Vous êtes trempé …" demande Nicolas, "Sans façon, merci." répond André. Elle se hâte pour monter au grenier et presse délicatement la poignée. Il faut à tout prix éviter d’attirer l’attention.


La chasse d’eau, "et merde !". Céline ne bouge plus, ne respire plus. Anaïs sort des toilettes, sans même remarquer la présence de sa mère, à moitié tapie dans l’obscurité. La voilà qui descend au rez-de-chaussée. Ouf ! On peut reprendre de l’air dans les poumons.


Lorsqu’elle ouvre enfin la porte, non sans appréhension, elle ne remarque rien d’anormal. Si elle éclairait la pièce, peut-être qu'elle y verrait mieux. C’est ce qu’elle fait. Toujours aucun intrus en vue. En revanche, étouffée par son état de transe, elle n’avait pas constaté l’étendue du bordel causé par cet enfoiré. Des vases cassés, des meubles renversés, un miroir explosé. Et au centre de la pièce, le fameux objet qu’il tenait dans sa main lorsqu’il s’est fait surprendre. L’un des sacs tubes en cuir contenant les croquis de Nicolas. "Des projets qu’il a mis de côté, comme beaucoup d’autres choses", se dit-elle.


Céline observe ensuite l’encadrement vide par lequel s’est enfui l’individu à la capuche. Et voilà que ça recommence, ses doigts frétillent, des tambourinements assaillent ses tempes et maintenant, elle a en plus un spasme oculaire.

Oui ça recommence, et ça n’est pas près de se terminer.



***



— Non, nous n’avons pas entendu de bruit étrange émanant de la maison, répond Nicolas.

— OK, je voulais m’en assurer. J’étais persuadé que ça venait de chez vous.

— Merci de veiller sur nous, André. Vous êtes quelqu’un de bien.

— Ouais bon, on s’la jouera sentimental plus tard. Je veille juste à la bonne tenue de notre quartier.


Nicolas esquisse un sourire en coin. Il côtoie le septuagénaire depuis un paquet d’années et ne le connait finalement pas tant que ça. Mais de ce qu’il a pu cerner du personnage, il sait que ce ton direct et ce côté brut de décoffrage cachent une autre facette. Celle d’un homme qui a le cœur sur la main … seulement s’il vous a à la bonne.


— Oh André, attendez, j’ai quelque chose pour vous !


Nicolas fait un demi-tour express et fonce à grandes enjambées vers le placard à l’entrée de la cuisine. Il aperçoit la cintrée, qui n’a pas bougé d’un iota, les yeux dans le vague.


André, lui, reste planté à l’entrée de la maison et croise le regard d’Anaïs, qui est assise sur le canapé et caresse sa tresse des deux mains. Visiblement, elle ne daigne pas le saluer. Il ne se formalise pas plus que ça, mais note que l’éducation laisse à désirer. S’il s’agissait de sa petite-fille, il aurait remis les pendules à l’heure illico. "On dit bonsoir, et on se bouge le popotin jeune fille !".


— Voilà ! C’est pas un très grand cru, mais il est pas mal du tout. Et c’est pour vous remercier d’avoir réparé la fuite de la salle de bains.


André hoche très légèrement la tête mais ne sourit pas pour autant. Ça se saurait s’il était sensible aux cadeaux. Même avec Francine c’est ainsi, alors avec les autres …


— Je vais retourner à mes occupations. Vous saluerez votre dame de ma part.

— Sans problème André. Passez une bonne soirée.


Un nouveau hochement de tête et Nicolas observe André repartir, il marche tranquillement alors que ça tombe à verse. Selon lui, il veut vraiment donner l’image d’un homme que rien ne peut atteindre. C’est plutôt réussi.


Il ferme la porte, tourne la clef et fait volte-face. Il n’avait même pas prêté attention à la présence de la mini-Céline sur le canapé, elle qui contemple le vide en silence.


— Ah ben t’es là toi ! dit-il. Et ta sœur elle est où ? Parce que je suis mort de faim.


Sans même prendre la peine de tourner la tête vers lui, elle pointe un index vers le haut. "Qu’est-ce qu’elle est loquace cette petite ! Un vrai bonheur !".


Nicolas s’élance et monte les marches deux par deux. Il se précipite vers la chambre des filles et ouvre la porte. C’est allumé. Des jouets au sol, des lits défaits, mais personne à l’intérieur. "Sûrement aux toilettes". Il se presse d’aller cogner à la porte.


— Ma chérie, t’es là ?


Il ouvre la porte et commence à angoisser devant le silence de mort qui règne dans la maison. Elle n’est pas là non plus. La salle de bains ? Rien non plus. Après une fouille approfondie de la chambre parentale, son cœur rate un battement et son cerveau s’oxygène mal. Il vérifie de nouveau dans chacune des pièces, c’est le néant.


Il lui reste un dernier espoir … Le grenier.


"Et promis, papa ne s’énervera pas mon petit papillon jaune".

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36 commentaires

Kalehu

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Il y a 2 ans

Autant au début Nicolas était vraiment l'élément inquiétant de la famille, mais là le comportement de Céline est vraiment étrange, sans parler de la disparition de Charlotte :o

Jay H.

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Il y a 2 ans

Oui c'est vrai qu'au départ l'attention se porte beaucoup sur le personnage de Nicolas, alors que le comportement de Céline est en effet assez inquiétant... merci encore de ton retour :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Où elle est la petite ? Tu vas pas la faire souffrir quand même. Déjà que l'état de Céline m'inquiète au plus haut point. Et André ferait bien de ne pas voir Anaïs d'un mauvais œil parce que je leur trouve pas mal de similitudes de caractères. Ils pourraient même très bien s'entendre malgré l'énorme différence d'âge.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Pour la p'tite, je ne peux rien dire... Céline est inquiétante on est d'accord ;) ... En ce qui concerne les similitudes entre Anaïs et André, je me suis fais cette réflexion après coup en fait, et c'est vrai qu'on peut leur trouver une ressemblance de caractère au premier abord... mais bon, tout le monde a l'air "bien sous tout rapport" :D))

Véronique Rivat

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Il y a 2 ans

C'est flippant cette histoire de grenier

Jay H.

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Il y a 2 ans

Je pense aussi qu'il y a quelque chose d'étrange qui plane sur ce grenier :)

petitemr

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Il y a 2 ans

Mais c'est quoi tout ce mystère avec le grenier ???? Vite, je tourne la page virtuelle !

Jay H.

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Il y a 2 ans

Un grand mystère ce grenier :))

Céline Carberge

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Il y a 2 ans

Ah bah ayai, il va accusé la Céline. Je le vois, mais comme le pif au milieu de la figure.

Emmy Jolly

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Il y a 2 ans

Tu maîtrise parfaitement la notion jouer avec nos nerfs😧 on ne sait pas comment ça va se passer, les choses anodines n'en sont pas et André fait son entré
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