Jay H. Les faits papillons Chapitre 3

Chapitre 3

C’était un bruit ambiant et plus il y pense, plus il est convaincu que ça ressemblait à un son plutôt cristallin. Vu le silence de cathédrale qui règne dans cette rue, chaque infime retentissement est à analyser avec précaution.


L’odeur qui se dégage de la marmite émerveille les papilles d’André. Il s’en doutait un peu quand il l’a vue revenir avec les sachets de légumes. D’ailleurs, il a ce petit sourire en coin à peine dissimulé, sa femme lui a fait plaisir, un couscous à la marocaine, son plat préféré. Oui, car ça lui rappelle toujours les bons souvenirs de son enfance. Mieux vaut se rappeler de la bonne cuisine de sa défunte mère que de la main lourde de son géniteur. D’ailleurs, mieux valait prendre son nom de jeune fille (Fenouillard) que de supporter le fardeau imposé par un homme qui a disparu de sa vie à l’adolescence.


— Ça sent drôlement bon ma Francine !

— Ma Francine ? Toi, du moment que je te remplie la panse, t’es prêt à m’offrir la lune.


André ricane, mais au fond sa femme n’a pas tort, il le sait. "Et merde ! Le courrier bordel !". Entre le cafard d’à côté et la mégère d’en face, il a oublié. Évidemment que le facteur n’est pas passé un dimanche, mais hier déjà il avait oublié … OK, d’abord on s’assoit et on déguste le repas, ensuite on sort à la boîte aux lettres.


— Qui ne dit mot consent mon cher mari.

— Consent quoi Francinette ?

— La lune, tu m’l’offres quand ?

— Juste avant mon dernier râle, ça te va ?


Francine rit sous cape, elle a comme l’impression que l’humour noir de son mari est un brin trop réaliste. Quand on a autant côtoyé l’ange de la mort, cette dérision ne peut être qu’une façade, elle le sait. Oui, il s’éteint à petit feu, même s’il tente de la convaincre du contraire.


— J’ai ajouté des épices cette fois. La dernière fois tu te plaignais qu’il n’était pas assez relevé.


Elle est aux aguets, les yeux écarquillés, à l’affut du moindre compliment. Manque de pot, il se crame la langue, elle va devoir prendre son mal en patience.


— Au fait André, les Marnier ont tenu à t’offrir une bonne bouteille de vin pour te remercier de ce que tu avais fait pour eux. Ils voulaient te la remettre en mains propres, mais j’ai répondu que tu étais souffrant.

— Et ?

— Et ça serait bien que je puisse arrêter de mentir pour couvrir ton caractère taciturne.


André souffle, grimace, ce n’est pas la première fois que la carcasse lui reproche son absence évidente d’interactions sociales. Lui s’en cogne le coquillard, il se porte très bien comme ça.


— Ils avaient une fuite d’eau, je passais dans l’coin, j’ai juste bricolé deux trois trucs. Pas d’quoi en faire une montagne.

— C’est la seule famille du quartier pour qui tu as fait quelque chose de ce genre.

— Ouais, ben disons que ce sont les seuls dans ce bled pourri sur lesquels je ne ressens pas l’envie de vider une cartouche de chevrotine ! répond-il sur un ton qui se voulait achever cette discussion interminable et malaisante.


André remplit une bonne cuillère de couscous. Un léger rictus, une autre cuillère, Francine attend, un autre rictus et il se décide enfin à le dire.


— Il est vraiment pas mal du tout cette fois-ci.


Elle s’en contente, ça lui fait plaisir. Qu’est-ce qu’elle peut espérer d’autre ? Un "parfait" ? Sûrement pas ! Ou peut-être avant son dernier râle, qui sait !


Le voilà qui engloutit son repas avec détermination, l’appétit est là mais sa préoccupation pour le courrier, à la limite de la psychose, l’empêche de déguster convenablement chaque bouchée.

Il se lève de table, étend son mètre quatre-vingt-sept et file en douce comme s’il faisait l’école buissonnière et qu’il ne voulait pas rendre de compte à sa maîtresse. Une maîtresse au regard bleu transperçant. On sort de la cuisine, on se faufile dans le long couloir, inutile et synonyme de perte d’espace, puis on arrive à la porte d’entrée comme si on venait de gagner le semi-marathon des foulées de Bourges.


Une fois dehors, André tourne la clef de la boîte à lettres et y découvre deux enveloppes. L’une, fine et parfaitement superflue. L’autre, plus épaisse et d’une importance capitale. Il ne peut contenir sa joie, l’enfant qui est en lui prend le dessus et il ne voudrait pas qu’il en soit autrement.


Après des mois de négociations, et de menaces récurrentes, André a obtenu gain de cause avec son beau-fils, un flic ripou du département de la Seine-et-Marne. À coup de "tu m’as pris ma fille unique, à cause de toi je ne vois plus mes petits-enfants", de "je sais que tu te ramasses de l’oseille chez les commerçants pour fermer les yeux sur des infractions" et de "je te pourrirai la vie tant que je n’aurai pas ce que je veux", il est parvenu à lui soutirer le dossier sur la tuerie du 31 octobre 1988. Un vieux dossier classé, archivé. Presque enterré.


Alors que l’orage gronde et que des crachats commencent à lui fouetter le visage, André sourit, il aimerait rien qu’une fois donner du sens à sa misérable existence. La reconnaissance et la gloire, lui s’en moque. Non ce qu’il désire, c’est ressentir ce grand frisson, cette adrénaline, lorsqu’on plonge son nez dans les bas-fonds de cette société et qu’on y découvre la noirceur de l’âme humaine. C’est tordu, il en est conscient, mais c’est ainsi. Et cette envie d’élucider à lui-seul une affaire ne le quitte pas.


De nouveau, il entend des bruits. Mais cette fois, il pourrait le jurer sur tous les dieux auxquels il ne croit pas, ça vient de la maison voisine à celle de Madame Lefebvre (la commère en chef) …


La maison des Marnier.

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37 commentaires

John Doe

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Il y a 2 ans

Les enquêteurs amateurs, source infinie d'inspiration !

Jay H.

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Il y a 2 ans

C'est clair !

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Tout sympathique qu'il soit pour les lecteurs, je peux imaginer qu'André ne doit pas être le père/beau père/grand père idéal. Je l'imagine volontier taciturne. Par contre ça fait de la peine que l'incident vienne de chez les sympathiques Marnier. J'espère qu'il n'est rien arrivé de terrible mais, comme on est dans un thriller, j'ai comme un doute.

Jay H.

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Il y a 2 ans

André est un être taciturne, en effet, mais pas forcément avec tout le monde, tout le temps. On verra ça par la suite :) ... En revanche, attends un peu avant de dire "sympathiques" concernant les Marnier XD

Merixel

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Il y a 2 ans

Ça va être intéressant cette enquête.

Jay H.

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Il y a 2 ans

Je l'espère !

Andrée Martin

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Il y a 2 ans

Je suis décidément fan de André 😍

Jay H.

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Il y a 2 ans

<3 je suis trop content !! :D

Kalehu

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Il y a 2 ans

André a tout l'air d'être prêt à partir enquêter, j'ai hâte de voir comment il va gérer tout ça

Emmy Jolly

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Il y a 2 ans

On en sait un peu plus sur André, sa vie n'a pas l'air si pépère que ça 😧
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