Fyctia
Chapitre 2
André froisse le journal local et le jette sur la table, puis il fixe son épouse :
— Dis la carcasse, t’as vérifié le courrier aujourd’hui ?
— Bien sur … que non, chiffe molle.
Madame Fenouillard ne se formalise jamais avec ces petits surnoms que lui donne son époux. Elle aime ça, au moins elle peut lui rendre la pareille.
— Pourquoi tu continues à lire tes journaux de merde, alors qu’on a une superbe télévision ? ajoute-t-elle.
Question rhétorique de Madame Fenouillard et André sait que c’est juste de la provoc. Elle lui chatouille la corde sensible en critiquant son passe-temps favori. Ça, et le bricolage. D’ailleurs, la colle doit être sèche sur l’armoire. C’est parti, on se lève d’un bond pour aller finir le travail.
— Hé Fenouillard, on graille dans pas longtemps, donc t’éternise pas dans le garage.
— OK Francine, c’est noté !
"Qu’est-ce qu’elle m’agace avec ce p’tit ton autoritaire !"
Une fois dans le garage, André admire le boulot. Il a eu du pain sur la planche, c’est le cas de le dire. Voilà qu’il pose son cul sur le tabouret et examine les jointures. Tout semble symétrique, tout est conforme à ce qu’il imaginait. Un labeur propre et soigné, comme on en voit plus de nos jours. On soulève le meuble pour examiner les finitions. OK, un peu de ponçage, une couche de vernis et on est bon.
Lorsqu’un cafard passe par là mine de rien, André s’en veut d’avoir laissé la porte du garage ouverte. "Cafard", le tendre nom qu’il donne à ses chers voisins, il n’en est pas mécontent, bien au contraire.
— Salut André, tu bricoles ?
"Non non, je suis en train de m’astiquer la nouille pauv’ con !"
— Oui, j’essaye de construire une armoire …
— Ah, c’est bien ça, répond Monsieur Delorne, le cafard de la maison d’à côté.
André le fusille du regard, "bon, tu veux quoi trouduc ?". Le nuisible finit par arrêter de tourner autour du pot :
— Tu sais, le facteur s’est trompé la dernière fois. Il a livré ton Figaro chez moi.
Armand Delorne est le genre d’homme à constamment vous juger. Et il est persuadé que son analyse est la bonne. Si vous portez des vêtements de couleur noire, c’est que vous êtes triste. Si vous ne dites pas bonjour comme il se doit, c’est que vous avez une dent contre lui. Si vous bricolez dans votre garage au lieu d’être au chaud chez vous, c’est que vous êtes sexuellement défaillant. Enfin, si vous lisez Le Figaro magazine, c’est que vous êtes un fasciste d'extrême droite. Et l’insoumis qu’il est, ne peut supporter un tel affront.
André acquiesce gentiment et poliment. Lui sait que ça peut vite monter dans les tours. Comme l’an dernier lorsque le Delorne a sous-entendu que Francine, la femme d’André, faisait du gringue à Monsieur le maire pour l’avoir dans sa poche.
— Ouais, j’ai dit au facteur de faire attention à l’avenir, répond sèchement André.
— Bien ! Sur ce, bon courage avec ton meuble et, bon dimanche !
André lui en foutrait des bons dimanches ! Mais un simple hochement de tête suffira pour cet infâme personnage au teint blafard. Pas besoin de le galonner en lui donnant de l’importance. Il espère simplement que le prochain nom qui sera couché sur le papier dans le journal local sera celui de Armand Delorne. "À la revoyure enflure !".
Bon, on a perdu assez de temps comme ça, on se focalise sur l’essentiel et on soulève le meuble avant de s’autocongratuler. Certes il manque un petit quelque chose, néanmoins ça reste un travail de pro. C’est quoi ce petit quelque chose qu’il manque ? André ouvre les portes coulissantes, tâte le fond de l’armoire, et bingo ! Il se dit que c’est ça qu’il aimerait faire. Il faudrait pouvoir ajouter un double fond, réellement invisible à l’œil nu. Il a déjà vu des menuisiers capables de réaliser un véritable boulot d’artiste, des meubles façonnés à la perfection et des acheteurs qui parfois, n’étaient même pas au courant de l’existence d’un double fond. C’est en quelque sorte la boîte secrète des travailleurs du bois.
C’est complexe mais faisable. Ça demanderait quoi, un, deux jours supplémentaires ? André ça lui va, le solitaire qui est en lui jubile.
Il regarde l’heure sur le cadran de sa montre qu’il a eue au marché d’Orléans pour pas cher. Une Casio avec un bracelet en cuir bleu nuit. C’est pas du luxe, mais il s’en moque le André, le confort avant tout. Elle affiche dix-neuf heures et trente-deux minutes, la carcasse ne va pas tarder à le rappeler à l’ordre pour le repas. Il fait alors deux pas en avant et scrute l’horizon, les mains dans les poches de son pantalon à pince. Toujours ce mauvais présage qui rumine en lui de manière obsessionnelle. Le temps n’est plus gris, il est noir, ça tonne au loin. Et André le sait, les habitants d’Artenay ont esquivé la foudre pendant plus d’une semaine. Ce soir, ils vont subir un énorme carnage. La météo dans le journal prévoyait même de la grêle.
Soudain, lorsqu’il tourne les talons pour rentrer, il entend un bruit. Il se fige, tend l’oreille … sûrement une fausse alerte. Ou pas ! Il se sent lourdement observé, et à raison. Dans la maison d’en face, à travers les carreaux d’une fenêtre, Madame Lefebvre (la plus grande commère du quartier) disparait derrière le rideau à la vitesse grand V, comme si de rien n’était.
André secoue la tête, "pathétique !", il longe les commodes et la voiture bâchée, et ouvre la porte menant à l’intérieur. Puis il hésite, il lui semble entendre de nouveau cet étrange bruit.
Finalement non, probablement une hallucination auditive.
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