Jay H. Les dragons du temps Chapitre 4

Chapitre 4

Adèle


— Dépêche-toi, miss Émeraudes ! hurle-t-il en m’attrapant par le bras.


Le van braque violemment pour faire demi-tour sous un concert de klaxons. J’observe la situation en version slow-motion… Au loin, deux truands en colère foncent sur nous dans un crissement de pneus. À mes côtés, un homme brun à la barbe de trois jours me scrute avec des airs identiques à ceux d’un célèbre DJ. Quelle ironie ! On m’avait promis un tête-à-tête avec un musicien réputé et me voilà en face-à-face avec un joueur de pipeau. International, qui plus est, si j’en juge par le léger accent qui ponctue son phrasé.


— Vite ! insiste-t-il avant de raffermir sa prise autour de mon poignet.


Le « Putain Clyde, j’vais t’crever ! » qui s’échappe de l’habitacle du véhicule à mesure qu’il se rapproche agit comme un déclencheur, et mon instinct de survie prend le dessus. D’accord, je n’ai rien fait de mal. Dans l’absolu, je ne suis qu’un dommage collatéral. Mais de un, je ne sais pas qui sont ces types ni de quoi ils sont capables, et de deux, je connais désormais le visage et le prénom de l’un d’entre eux. Autant de raisons qui pourraient leur donner envie de me faire passer un sale quart d’heure s’ils m’attrapaient, donc je crois que, pour l’instant, le mieux à faire est de… courir le plus vite possible.


J’avise mes escarpins de luxe, tique en pensant au prix exorbitant qu’ils m’ont coûté avant de les envoyer valser sur le trottoir. Clyde ne perd pas une seconde pour les ramasser et les glisser dans son sac. Le cambrioleur serait-il un gentleman ? Si Cendrillon le voyait, elle ne dirait certainement pas le contraire…


Clyde. Je n’arrive pas à croire que mon braqueur s’appelle Clyde.


Il se positionne devant moi et m’ouvre la voie tandis que j’observe son dos. Ses épaules massives lui dessinent une carrure qui laisse deviner un corps musclé sous sa tenue d’escroc du dimanche. Car oui, si je ne me trompe pas, ce fameux Clyde n’a de professionnel que le prénom.


Je ne suis pas experte en la matière, néanmoins j’ai été formée à faire face à un braquage. Monaco est réputée pour sa sécurité, mais les bijouteries restent des cibles potentielles, et j’ai appris à repérer les comportements suspects pour agir, le cas échéant. Ici, ça puait l’amateurisme et la désorganisation. Et finalement, c’est peut-être ça le plus dangereux : qui sait comment l’un de ces hommes aurait pu réagir en cas d’imprévu ?


Clyde bifurque brusquement dans une ruelle étroite qui nous met à l’abri de nos poursuivants pour le moment. Il ralentit pour se placer à ma hauteur.


— Tout va bien ? m’interroge-t-il doucement.


Au fond de ses prunelles, je découvre une sincère inquiétude à mon égard et cet intérêt me déstabilise. Couplé à l’adrénaline qui retombe, je manque de trébucher.


— J’ai connu mieux, argué-je.


J’ôte ma veste et essaie, tant bien que mal, de reprendre mon souffle. Il s’approche de moi et son bras frôle mon épaule désormais découverte.


La brise soulève mon foulard et ses prunelles s’immobilisent à hauteur de mon cou.


— Sympa ton tatouage !


Il accompagne sa remarque d’un geste en direction du col de son polo pour l’abaisser.

Et ce que je découvre me stupéfie… Je n’en reviens pas ! La coïncidence est trop énorme pour qu’elle soit réelle. L’espace de quelques instants, je détaille le symbole encré à la base de son cou qui s’échappe ensuite vers son épaule, bien à l’abri sous son vêtement : il a un dragon tatoué quasiment au même emplacement que moi.


— Erreur de jeunesse, marmonné-je pour étouffer ma surprise.

— Pour moi aussi… Enfin, je le pensais jusqu’à maintenant, réplique-t-il.


Ça y est, le voilà, le retour du joueur de flûte.


S’il croit qu’il va m’avoir ainsi, alors qu’il vient de me faire traverser tout le quartier de la Condamine pieds nus avec un van furieux à notre recherche, il se fourre le doigt dans l'œil. J’ai beau parfois tenter le diable, je ne suis pas certaine de le vouloir à mes trousses pour toujours.


— Maintenant, je me demande si ce n’était pas la meilleure décision de ma vie, ajoute-t-il en ponctuant sa phrase d’une œillade qui se veut aguichante.


Je lève les yeux au ciel. Tocard. Canon, mais tocard.


— Tu t’appelles vraiment Clyde ou ça fait partie de ta panoplie de braqueur de pacotille ? le tancé-je.


Ma hargne le surprend. Juste avant que son sourire redouble.


Mamamia, ce sourire, c’est pas Dieu possible.


— Non, non, c’est bien mon prénom. Et toi ?

— Bonnie, rétorqué-je d’un air matois.


Ses yeux deviennent deux fentes, à la recherche d’une faille qu’il ne trouvera pas.


— Tu me charries.

— Peut-être.


Un éclat de rire fuse, suivi d’une fossette qui se creuse dans sa joue gauche.

Mamamia, cette fossette, c’est l’enfer sur terre.


— Va pour Bonnie, alors.


Il ne croit pas si bien dire.


J’endosse avec une facilité déconcertante le rôle que je me suis échu et lui lance :


— Maintenant que les présentations sont faites, donne-moi ton sac ou je te dénonce.


Si sa mâchoire pouvait se décrocher, je crois qu’elle serait déjà partie réserver un billet pour le purgatoire.


— Je… Euh…

— Allez, j’attends, lui dis-je en tendant la main à plat devant lui.


Ses traits se décomposent.


Ça débute par le froncement de ses sourcils et le brun de ses prunelles qui s’assombrit, accentuant son attitude déjà des plus tempétueuses. Mon coeur accélère en réponse.

Ça se poursuit par la contraction de ses commissures, et le coin de sa lèvre qui remonte, refusant de croire à l’évidence de la situation. Mon ventre papillonne.


Ça se termine par son pouce, qui vient légèrement effleurer le bas de mon visage. Cette fois, c’est un frisson délicieux qui me parcourt l’échine.


Mamamia, ce mec sera mon chemin de croix.


Il approche son visage du mien, et son souffle chatouille bientôt mon dragon. Si ça continue, lui aussi ne va pas tarder à avoir les écailles qui tremblent.


— Bonnie n’était rien sans son Clyde. Comment vas-tu écouler la marchandise sans te faire prendre ? C’est risqué.

— Ne t’inquiète pas pour moi. Miss Émeraudes a plus d’un tour dans son sac !

— Je vois ça, susurre-t-il. Bonnie est stupéfiante.


Retour de flamme dans mon estomac. Maudit sentimentalisme, il finira par me perdre…

Je redresse la tête, le menton bien haut, et plante mon regard dans le sien.


— Donne ! insisté-je.

— J’ai une proposition à te faire, tente-t-il d’un air malicieux. Si t’es d’accord, on partage le butin et… plus si affinités.


J’avoue que sa proposition pourrait me convenir. Elle me permettrait de recommencer à zéro, loin de cette vie morose à laquelle je n’aspire plus. Et avec supplément plaisir, par-dessus le marché.


— Par contre, si on fait ça, tu dois m’accorder ta confiance, reprend-il. Et donc me révéler ton prénom.

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13 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 7 mois

OH, Adèle est toute prête à disparaitre pour laisser place à Bonnie, la voleuse professionnelle aussi belle que dangereuse. Effectivement c'est une décision pour le moins radicale qu'elle prend. Mais la multiplication des Mammamia prouve qu'elle n'est pas insensible au charme de Clyde.

petitemr

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Il y a 6 mois

Voilà, rien de tel que de croquer du braqueur au petit déj'

Marie Andree

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Il y a 7 mois

Ils se sont bien trouvés 😅

petitemr

-

Il y a 6 mois

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