Jay H. Les dragons du temps Chapitre 3

Chapitre 3

Clyde



« Si vous faites ce qu’on vous dit et que vous obéissez, tout se passera bien »


Ces mots ont le mérite d’annoncer la couleur et on sent que le chef d’orchestre est un habitué des symphonies guidées par la violence.


Je comprends à ce moment-là qu’il n’y a plus de retour en arrière possible, je vais avoir ma dose d’adrénaline, suffisante pour plusieurs mois, voire plusieurs années.


Le plan initié par Clément (le chef d’orchestre) était le suivant : se pointer derrière le camion dans la ruelle au moment de l’arrivage, Clément tient en joue l’employée et le livreur pendant que Dimitri et Clyde se faufilent dans la boutique par l’arrière, Dimitri braque l’autre employée, Clyde s’occupe du gérant et remplit le sac. Puis on se barre illico avant que la flicaille ne rapplique. Le conducteur étant un illustre inconnu contacté spécialement pour ce type de missions (comme dans le film Drive).


Simple, efficace.


Nous sommes donc quatre pour ce fameux coup. À gauche, un mur en pierre. À droite, l’arrière-boutique.


Installé sur la banquette du van, j’entends les sanglots qui émanent de l’homme. Pas très virile certes, mais le « non pitié, ne me faites pas d’mal » provient assurément du livreur.


— Qu’est-ce que vous foutez ? dit Clément alors que le canon de son fusil est toujours posé sur la vitre droite du van. On enclenche !


Ni une ni deux, j’ouvre la portière coulissante gauche et je sors en trombe, suivi par Dimitri.


Nous passons entre le camion de livraison et le van pour rejoindre la boutique et j’observe furtivement les deux protagonistes tenus en joue. Lui tremble. Elle est de marbre, impassible. Je ne perçois pas complètement son visage, elle est de profil, mais je remarque ce foulard rouge qui lui enserre le cou.


— Bouge bordel, grogne Dimitri.


Une fois dans la boutique, je tombe nez à nez avec un type en costard aux allures hautaines. Le gérant !


Je dirige mon fusil à pompe en direction de sa tête.


— Va fermer la porte d’entrée et baisse les stores !


« Oh mon Dieu ! » lâche la rouquine derrière le présentoir.


Mon cœur bat la chamade et je suinte à grosses gouttes sous cette foutue cagoule, mais bon sang, ça vaut le coup. C’est comme dans les films, sauf que c’est réel. Enfin, si ce n’est que je tiens une arme factice entre les mains (Clément ne voulait pas que l’un de nous sabote le plan avec un geste incontrôlé).


— On se met gentiment à plat ventre madame, s’exclame Dimitri.


Après s’être exécuté, le type au costard dont la peur se lit sur les rides m’interroge d’un haussement de sourcil sur la suite de la procédure.


— Maintenant, ouvrez les vitrines numéro 3, 5 et 8 ! (Graff, Patek et Chopard)


Il attrape un trousseau de clefs dans la poche intérieure de sa veste hors de prix, s’essuie le front et desserre sa cravate. Puis il obéit.


— Bien, maintenant à plat ventre, à côté de votre employée.


Dès que j’arrive au niveau de la première vitrine, tous ces diamants m’éclaboussent les yeux, et je pense aux 15 236 dollars qui ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir. J’imagine déjà la tête de Dick Harris avec sa coupe ringarde lorsque je lui annoncerai que je rembourse ma dette et que je quitte le pays.


— Bouge, me presse Dimitri. Il nous reste deux minutes.


Ce gars, je ne le connais que depuis deux jours et il me sort déjà par tous les orifices.



***



Lorsque nous sortons de la boutique, je trébuche. Probablement le poids du sac, ou plutôt le poids de l’adrénaline. Mon arme glisse sur le bitume et atterrit aux pieds de l’employée, toujours tenue en joue par Clément.


Elle baisse la tête et fixe le fusil à pompe, puis éclate de rire.


— Vous êtes pas sérieux les gars ! dit-elle distinctement. Une arme factice ? Déjà que j’vous trouvais un peu brouillon sur les bords, là c’est le pompon.

— Ta gueule ! beugle Clément tout en me fusillant du regard. Toi grimpe illico avec le sac.


Alors que le livreur, tétanisé, continue de sangloter telle une fillette qui aurait déchiré sa robe au bal de promo, l’employée, elle, se tourne vers moi d’un air narquois.


— T’as entendu ? Faut faire vite !


Je découvre son visage. De longs cheveux blonds, une bouche parfaitement dessinée et des yeux vert émeraude qu’on pourrait utiliser pour sertir les montres qui viennent d’être dérobées.


— Bouge, hurle Dimitri tout en remontant dans le van par la portière gauche.


C’est certain, je suis à un tournant de ma vie. Un moment crucial. Si j’ai dû faire une série de choix au cours de mon existence, celui-ci est assurément le plus compliqué de tous, et je n’ai que quelques secondes devant moi pour prendre la bonne décision.


J’attrape le sac, le pose par-dessus mon épaule et fonce vers la créature de rêve pour la pousser vigoureusement dans le véhicule, puis j’entre à mon tour et fais coulisser la portière droite avant de m’adresser au conducteur :


— Démarre !



***



— C’était pas prévu ça ! gronde Clément. J’avais dit à Trent que je voulais un mec sérieux, pas un branquignol !


L’adrénaline monte d’un cran et je pourrais craindre les retombées d’une telle prise de risque, parce que même si Clément a imposé des armes factices, je sais qu’il reste un homme dangereux. Seulement, je n’ai plus qu’une chose en tête…


— Tu sais pourquoi je l’ai prise avec nous ?


Tous me scrutent. Dimitri et Clément à travers leurs cagoules. Elle, avec ses émeraudes scintillantes. Je cherche une échappatoire à toute cette mascarade que j’ai créée et émets encore des doutes sur la fiabilité de mon plan de dernière minute.


— Non, mais tu vas nous le dire, s’agace le chef des opérations.

— Parce que j’ai remarqué que certaines montres étaient équipées de traceurs.


N’importe quoi ! J’espère simplement que cette histoire sans queue ni tête suffira à gagner du temps et prendre la bonne décision.


— C’est ça oui ! dit-il alors que nous nous arrêtons à un feu rouge dans une rue très passante. Donne-moi les montres !


Il me tend le bras depuis le siège passager à l’avant et je reste attentif à la couleur du feu tricolore.


J’agrippe alors la poignée du sac, puis dès qu’il passe au vert et que le conducteur redémarre, j’ouvre la portière, attrape miss émeraudes par le bras et la propulse en-dehors de l’utilitaire avant de la rejoindre.


L’espace d’un instant, je plonge mon regard dans le sien et je m’y perds. Je décide de retirer ma cagoule pour me dévoiler à elle, puis je sors la première réplique qui me traverse l’esprit :


— Je ne pouvais pas partir sans emporter le plus beau bijou de la boutique.


Elle sourit, du genre « sacré numéro de violoniste, mais ça a son petit effet ». Mon cœur s’emballe.


Du coin de l’œil, j'entrevois la camionnette qui s’est arrêtée en plein milieu de la route.


— Maintenant cours, ils sont à nos trousses !

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12 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a 3 mois

Intéressant rebondissement même s'il ne me semble pas le plus judicieux pour l'instant :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 7 mois

Clyde a l'air vachement mal à l'aise pendant le braquage, contrairement à Clément qui semble vraiment dans sont élément. La romance prend le pas sur le thriller à la toute fin du chapitre même si c'est un drôle de contexte pour jouer les jolis cœurs.
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