Fyctia
Chapitre 2
Adèle
Il m’étrangle.
Ce foulard m’étrangle et me donne la sensation d’étouffer. Pourtant, c’est la seule astuce que j’ai trouvée pour sauver les apparences et cacher le dragon tatoué qui me dévore le cou, témoin un peu voyant de mon impétueuse vingtaine.
Quand on travaille dans le luxe, certains critères ne sont pas négligeables lors d’un recrutement, et pour mon patron, monsieur Charon, il y avait deux indispensables à posséder pour endosser la panoplie de vendeuse de montres hors de prix : une allure impeccable et pas d’antécédents judiciaires. Comprenez un joli minois à dévisager à outrance et un casier plus vierge que Marie elle-même.
Pour le premier, il me semble que les bonnes fées de la génétique se sont penchées sur mon berceau puisque mes boucles blondes et mes yeux de biche m’ont souvent sauvé la mise par le passé. Comme la fois où le portefeuille d’une vieille dame s’était malencontreusement retrouvé dans mes affaires, à l’aéroport. Deux-trois battements de cils et un numéro de téléphone plus tard, l’agent de sécurité m’avait relâché de la pièce exiguë de son poste d’observation avec une simple remontrance et un rappel à la loi. Ce qui m’amène au second point et mes démêlés avec les forces de l’ordre. Comme on dit, pas vu pas pris. Et croyez-moi, jamais une devise n’a été si véridique dans mon cas.
Aussi, ce matin, j’ai enfilé un tailleur ajusté et des talons de huit centimètres, car je sais que nous devons être livrés d’une importante commande : celle de la collection printemps-été de la gamme Deluxe. C’est l’un des moments incontournables de la saison, celui qui permet d’installer le nouveau showroom et de convier nos clients les plus fidèles – alias les plus riches – à venir s’extasier et dépenser des fortunes pour arborer un soupçon de m’as-tu-vu au poignet.
— Adèle ! Vous tombez bien !
Le grand mamamouchi de la montre, mon patron, se tient devant moi, dans un costume impeccable qui coûte au moins deux fois et demi mon salaire.
Pas un pli ne dépasse, même si j’ai bien l’impression d’apercevoir une légère goutte de sueur sur ce front aux rides presque parfaites.
— Oui, monsieur Charon ?
— Vous n’avez pas oublié, j’espère ?
— La livraison, monsieur ?
— Tout à fait.
Il soupire, visiblement soulagé par ma réponse.
En même temps, comment aurais-je pu oublier cette fameuse livraison, alors que tout le monde est sur les dents pour réceptionner ses précieux articles ? Si la poule aux œufs d’or existait, nul doute qu’elle se serait levée aux aurores pour ne pas la manquer. Et avec la procédure de sécurité mise en place pour l'occasion, aucun risque qu’on se fasse plumer.
Il dépose sur le comptoir, le journal du jour qu’il compulse d’un œil distrait.
— Vous avez vu ? m’interpelle-t-il. Le jeune Martin DaMix aurait loué le Manoir des Cimes pour une soirée. J’ai entendu dire qu’il serait friand d’articles de luxe. Imaginez la pub que ça nous ferait si un DJ à la réputation internationale mixait avec l’un de nos modèles les plus réputés au poignet !
Je devine les euros se dessiner devant ses yeux de rapiat et me penche pour consulter l’article : « Martin DaMix, vingt-six ans, en villégiature à Monaco »
La photo d’illustration le montre derrière des platines multicolores, cheveux noirs en bataille et barbe de trois jours. Autour de son cou, un casque audio, digne de sa fonction d’amuseur des foules.
Parfait. Maintenant je sais à quoi il ressemble… Et s’il passe par ici, je ne laisserai aucune chance à mes collègues de le servir : lui et ses pourboires seront à moi.
***
La matinée est passée, et pas l’ombre d’un client DJ à l’horizon. Pourtant, je n’ai eu de cesse de surveiller les entrées, mais en vain. Dommage, je suis certaine que nous aurions pu faire plus ample connaissance…
Désormais, l’autre événement marquant de la journée ne devrait plus tarder : la livraison de la collection est annoncée pour 16h30.
Nous avons réaménagé les vitrines pour cet arrivage, et j’ai hâte de découvrir les modèles flambant neuf qui garniront notre catalogue pour les mois à venir.
Un coup de téléphone m’avertit que le transporteur est sur le point d’arriver.
Je préviens mes collègues et récupère le badge pour déverrouiller la porte arrière, celle destinée aux livraisons.
— T’as besoin d’aide ? me demande Hélène, mon binôme de travail du jour.
— Ça devrait aller… De toute manière, je fais tout déposer dans la remise, et nous verrons ensuite les consignes de monsieur Charon pour tout installer.
Il est tellement pointilleux qu’il vaut mieux l’attendre si on ne veut pas recommencer le travail plusieurs fois. Je le vois déjà s’exclamer : « Ah non, Adèle, voyez, ce modèle-ci, il a des pointes de rouge dans le bracelet qui ne se marient absolument pas avec le doré de ce modèle-là » ou encore « La lumière ici ne sied pas à l’argent, vous devriez disposer les bracelets cuivrés à cet emplacement ».
Bref, la livraison n’est que le sommet de l’iceberg… Et avec mon patron comme commandant de bord, le Titanic aurait encore eu de beaux jours devant lui.
D’un pas rapide – autant que mes talons me l’accordent – je rejoins donc le fond de la boutique et passe le précieux sésame sur le boîtier qui ouvre la porte sécurisée.
Le camion s’engage dans la ruelle qui longe l’arrière du bâtiment et se gare devant moi. Le livreur descend et actionne le pont de son camion pour le faire descendre. Armé d’un diable, il saute dessus, et charge la commande avec une dextérité sans faille. Une manœuvre plus tard, il me rejoint sur la terre ferme, prêt à me suivre dans la remise lorsqu’un van s’insère en roulant au pas dans la ruelle. C’est assez étonnant d’y voir un véhicule autre qu’un camion de livraison ou de ramassage des poubelles, car sa localisation fait d’elle un endroit peu fréquenté par les non-initiés.
Le livreur et moi échangeons un regard étonné quand le véhicule ralentit et se positionne derrière le poids lourd. Il est noir comme la nuit, des vitres jusqu’aux jantes : serait-ce le fameux DJ qui souhaite réaliser son shopping tranquille et éviter les paparazzades ?
Mon cœur palpite à cette idée, et je m’avance avec détermination vers la porte du côté passager. Hourra ! Peut-être que ma journée ne sera finalement pas aussi insipide que je l’imaginais…
Tout doucement, la vitre s’abaisse.
Je plonge dans un regard brun d’une intensité effrayante.
Pas autant que celle du canon de l’arme qu’il pointe sur moi.
17 commentaires
Le Mas de Gaïa
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Il y a 3 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 7 mois
petitemr
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Il y a 6 mois
MIMYGEIGNARDE
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Il y a 7 mois
petitemr
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Enisseo
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petitemr
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Enisseo
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Il y a 7 mois
Jay H.
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Il y a 7 mois