Fyctia
4. Avertissements (1/2)
Les deux jeunes gens traversaient le dernier pont qui menait des Faubourgs vers l’extérieur de la ville. Si le quartier était protégé par le fleuve, le reste de la cité était ceint de remparts puissants, vestiges de l’ère impériale. Personne parmi les puissants ne jugeait en effet nécessaire de garnir ces pauvres quartiers d’une protection qui restaient à la merci d'éventuelles guerres ou pillages. Même la garde n’y venait que trop rarement.
Derrière les murailles, Ali distinguait les toits pointus de tuiles bariolés du quartier commerçant. Il y était déjà allé pour voler ou revendre l’une ou l’autre babiole. Il se souvint que lors de sa première visite, il avait été surpris par les hautes maisons de molasse. Les pierres renvoyaient une lueur verdâtre qui donnait l’impression à tous les habitants d’avoir continuellement la nausée. Le jeune voleur était bien plus à l’aise dans les Faubourgs, car il ne devait pas sans cesse faire attention aux gardes tandis qu’il commettait un larcin.
Derrière les toits pointus, on pouvait distinguer le riche et somptueux quartier des Aigles, où vivait la noblesse. Il n’était atteignable que par un seul accès : un long escalier taillé dans la paroi rocheuse. Ali n’était jamais parvenu à l’emprunter, se faisant rapidement rembarrer par la garde qui veillait à ne pas laisser des vauriens de son genre troubler les incessantes siestes des aristocrates. Dpuis les Faubourgs, on n’y voyait qu’un très grand dôme qui – selon les dires populaires – recouvrait le grand temple du Dieu Culpar.
Un tas de sottise, pensa Ali. Dépenser une fortune pour loger une chimère !
Si le quartier des Aigles n’attirait pas le jeune homme – outre les potentielles affaires qu’il représentait – le monument qui s’élevait au-dessus d’une nouvelle rangée de falaises le laissait coi ; le château des Rois et ses multiples tours qui, telles des flèches caressant les nuages, trônaient au sommet de la cité. Bâti grâce à des pierres de calcaire blanc, le travail des tailleurs avait été si précis qu’on ne distinguait guère les joints, comme si l’ouvrage provenait d’une unique roche. Vestiges de l’Empire, ce joyau dominait la ville et faisait sa fierté. Si hauteur rimait avec pouvoir, le château d’Arborburg l’exprimait à merveille.
Bah ! On est tout aussi bien les pieds dans la gadoue, grogna intérieurement Ali.
Il jeta un coup d’œil sur sa compagne qui devait connaître par cœur chaque avenue des riches quartiers et chaque garde du château. Elle avait tout de même moins l’allure d’une grande dame affublée des loques qu’Ali lui avait dégotté. Cependant – et il ne l’avouerait jamais à Joline – ses yeux bleus et sa chevelure soyeuse restaient majestueux ; les guenilles ne la rendaient pas plus vilaine, aussi sûr qu’ils ne la rendaient pas plus modeste.
Là où nous nous rendons, je pense qu’être une adepte de Culpar n’est pas un privilège. Les Protecteurs ne les portent certainement pas dans leurs cœurs.
Comme si Joline avait le pouvoir de lire dans ses pensées, elle avertit Ali pour la énième fois depuis leur départ de l’auberge des Trois-Rois :
— Ces sorciers ne pourront rien pour nous, nous perdons notre temps. Les uniques personnes au monde capable de don de guérison, ou d’autres dons par ailleurs, sont les croyants. Je te le répète, seule la foi en Culpar peut nous aider. D’accord, les meilleurs mèdes n’ont pas encore trouvé la solution, mais il faut rester patient, garder espoir. Foncer tête baissée chez ces charlatans ne mènera à rien.
Ali continua son chemin, las d’avoir à répondre encore et encore que ça ne mangeait pas de pain de tenter une autre voie. Il préférait ne plus exprimer frontalement ce qu’il pensait de ces fameux croyants, car alors Joline s’arrêtait net, posait ses deux mains sur les hanches – tel un pot à deux anses – et le morigénait longuement.
Comme si elle ne peut pas me tancer tout en marchant !
Lorsqu’ils étaient encore dans les Faubourgs – à la recherche de guenilles pour ma Dame – Ali avait osé dire qu’il ne croyait pas un traître mot des supposés dons, que la magie n’existait simplement pas, que ce n’était qu'une fable pour les enfants et les crédules. Il avait alors subi un déluge sous forme d’une tirade longue comme un jour sans pain. Le visage aussi rouge que ces yeux étaient bleus, Joline avait déclaré d’une voix indignée :
— Comment peux-tu affirmer une telle absurdité à haute voix ? Rien que le penser représente déjà un blasphème. Culpar a permis aux Hommes de se repentir pour expier leurs fautes et leurs manquements. Ne pas croire est une aberration et te mènera à ta perte. Seule la dévotion peut te sauver, Culpar le prouve tous les jours. Pourquoi crois-tu donc que les plus pieux d’entre nous sont élus par Dieu pour veiller sur le reste du monde, sur les gens du commun ?
Ali avait alors acquiescé dans le seul but de la faire taire. Les manants leur lançaient en effet des regards méfiants ou, au mieux, intrigués. Dans les Faubourgs, de tels discours n’étaient pas monnaie courante. Joline n’en avait cependant cure, optant pour éduquer le jeune sot qu’elle voyait en Ali.
— Ma famille fait partie des plus anciennes de la ville. Depuis toujours, Culpar nous a accordé ses dons d’Abjuration. Oncle est Mède, et l’un des plus puissants, capable de guérir presque tous les maux. (Joline avait poursuivi sa tirade, insensible aux regards noirs que lui avait jetés Ali). Mon Père est un dur, comme moi. Nous sommes dotés d’une force impressionnante et d’une résistance physique hors du commun.
— Humf…
— Tu ne me crois pas, n’est-ce pas ? Par Culpar, souviens-toi la nuit précédente comme je t’ai projeté de mon dos quand tu as eu l’outrecuidance de me menacer.
— Rien du tout, avait alors aboyé Ali, j’étais en déséquilibre, car je regardais Fétide qui arrivait !
La mâchoire serrée, il s’était alors approché de Joline et lui avait alors susurré :
— Tout Abjuratrice ou élu ou autre que tu sois, tais-toi ! Les gens d’ici ne crachent jamais sur une bourse bien rebondie et ton discours pue l’argent ! J’ai l’impression d’entendre les pièces de ta bourse hurler qu’on vienne s’en emparer.
Joline était restée coite, le feu aux joues. De colère ou de honte ? Ali était bien incapable de le dire, mais il penchait sérieusement pour la seconde option. Le jeune voleur était satisfait de lui ; depuis le début de la journée, il avait réussi par deux fois à la faire taire.
2 commentaires
ooorianem
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Il y a 2 ans
Rose Foxx
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Il y a 2 ans