Krrkippaal Les Cinq Visions - Héritier 4. Avertissement (2/2)

4. Avertissement (2/2)

Le pont traversé, Joline et Ali s’engagèrent sur un chemin de terre battue. Il restait peu emprunté, car il ne menait qu’à quelques fermes isolées. Sitôt de l'autre côté du fleuve, les Faubourgs laissèrent rapidement la place aux champs et aux forêts.


Ali s’arrêta soudain et plongea ses doigts dans ses cheveux décoiffés. Quel chemin fallait-il emprunter pour trouver les Protecteurs ? Il connaissait à peu près la direction, mais aucun panneau n’indiquait la route à suivre. Si on parlait souvent de ces fous en ville, personne ne s’en approchait jamais. Et eux-mêmes le rendaient bien aux citadins. La dernière fois où ils étaient venus en ville devait remonter à l’Empire, ou avant.


— Tu ne sais pas où c’est, n’est-ce pas ? Le Seigneur des Bas-fonds patauge une fois le fleuve franchi. Il connaît les Faubourgs comme sa poche trouée, mais ne maîtrise rien du grand monde.


— Le grand monde ? Ses trois tas de bois qui se courent après ? fit Ali, narquois, en balayant les fermettes de la main. Pour une grande Dame, je te trouve bien peu exigeante.


— Très bien, puisque tu es si malin, où devons-nous aller ? Je te rappelle que nous nous rendons dans la grande Demeure des Protecteurs, ironisa Joline. N’importe quel clampin digne d’avoir reçu un minimum d’éducation devrait connaître le chemin.


Ali ferma les yeux et prit une profonde inspiration.


Ne rentre pas dans son jeu ! Ne rentre pas dans son jeu ! Ne lui demande pas où c’est, elle n’en serait que trop ravie !


— Je connais parfaitement la route, expliqua-t-il le plus posément possible. Je veux juste m’assurer que ce n’est pas trop loin pour tes précieux pieds.


Ali s’approcha des fermes, bien décidé à trouver le chemin par ses propres moyens. Joline suivit le mouvement à quelques pas. Il s’avança vers un paysan occupé à couper du bois. À ses côtés, sa femme lavait du linge dans une profonde bassine. Le couple interrompit ses besognes en voyant Joline et Ali arriver.


— Bonjour, dit le jeune homme. Sauriez-vous combien de temps il faut pour se rendre chez les Protecteurs ?


Le paysan, un homme taillé comme une bûche, lança un regard imperceptible vers sa ferme.


— Vous v’nez d’la ville ? Pas le chemin le plus court. Pour bien, l’aurait fallu prendre la route est. Maint’nant, faudrait mieux couper par l’bois.


Ali entendit un ricanement derrière lui.


— Y’a un sentier dans une d’mie-lieue qui prend sur la droite. Pouvez pas vous tromper.

Le paysan jeta un nouveau regard sur sa maison. Ali suivit son regard et crut apercevoir un rideau que l’on tira rapidement sur une tête rousse. La femme – aussi robuste que son mari – fit un pas en avant.


— C’est notre fils, il est malade et ne doit pas sortir.


— Très bien, déclara Ali qui n’avait rien demandé. Merci pour votre aide.


En guise de réponse, l’homme grogna et la femme s’inclina légèrement. Un sourcil levé, Ali reprit la route, suivi par Joline. Une demi-lieue avant de bifurquer sur le chantier, le chemin risquait d’être encore long. Mais Dandine tiendrait le coup, il serait bientôt de retour avec un remède, il le fallait.


— Étrange, la réaction de la fermière, dit soudain Joline.


Ali la regarda sans comprendre.


— Tu ne lui as rien demandé et elle se justifie, c’est toujours louche.


Le jeune voleur haussa les épaules ; les éventuels problèmes de ces pécores ne le concernaient pas, il avait bien d’autres chats à fouetter.


— Tu es toujours bien sûr de toi, Ali ? Je ne peux que te mettre en garde une nouvelle fois, les Protecteurs sont dangereux. Ils ne croient en rien et corrompent l’âme des gens. On dit qu’ils viennent recruter des jeunes dans les villages aux alentours d’Arborburg et les emmènent ensuite dans leur Demeure. Quand les parents revoient leurs enfants, ils ne sont plus les mêmes. C’est des sorciers qui ne croient en rien sauf à une magie maléfique. Je t’en conjure, réfléchis bien.


À bout de nerf, Ali s’arrêta sec. S’il appréciait la compagnie de Joline – qui savait parfois se montrer douce et agréable – ses palabres lui courraient sur le haricot. Ne pouvait-elle comprendre qu’il n’avait aucun autre choix ? Que les Protecteurs – qu’ils soient de grands manitous ou des vieux séniles – représentaient son dernier espoir, aussi mince fût-il ?


— Si tu ne veux pas m’accompagner, rien ne t’empêche de rentrer chez toi ! Je ne t’ai jamais forcée à me suivre. Tu peux même te cacher chez moi si leur cœur t’en dit, mais épargne-moi tes inepties ! J’ai bien compris que les Abjurateurs ne portent pas les Protecteurs dans leur cœur et que ces derniers le leur rendent bien. Personnellement, je n’aime aucun des deux. Mais si quelqu’un - tout timbré qu’il soit – peut m’aider, je ne vais pas me gêner pour le lui demander. Maintenant, soit tu te tais, soit tu pars.


Pour la troisième fois de la journée, Joline resta sans voix. C’était probablement un jour à marquer d’une pierre blanche.


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