Fyctia
3. Conseils (2/2)
Plutôt fier de lui, Ali se retourna vers le comptoir. Maîtresse Noura était revenue des cuisines et le dévisageait d’un étrange mélange d’amusement et de compassion.
— Te voilà dans de sales draps, mon cher Ali. Ahhh, beauté et sauvagerie ! Une combinaison certes agréable, mais synonyme de bien des soucis.
Ali fixait la tenancière en grattant sa tignasse. Avait-elle profité de son détour dans les cuisines pour vider un tonneau de vin ?
— Mais tu as toujours eu un goût prononcé pour les ennuis, poursuivit-elle, ce choix ne m’étonne donc guère.
Le jeune homme ne comprenait pas un traître mot à son propos. Il se secoua, passa sur les divagations de la tavernière et aborda un sujet plus urgent.
— Maîtresse Noura, Paulandine est très malade. Je ne sais pas ce qu’elle a, mais Jol… (Ali se reprit rapidement) mon amie dit que beaucoup de monde est touché dans les quartiers des Aigles et…
— La Tristesse ? demanda la tenancière avec vigueur. Quel drame, ta famille n’avait pas besoin de ça…
— Oui, J… mon amie affirme que ça s’appelle ainsi. Elle m’a aussi dit que c’est un mal incurable, mais je n’en crois pas un mot. Tu ne saurais pas quelque chose ?
Maîtresse Noura jeta un bref coup d’œil à Joline puis reporta son attention sur Ali. Elle le regarda avec douceur.
— Comme beaucoup, je reste malheureusement ignorante. Je sais que seule la ville d’Arborburg est frappée et que ce mal touche en grande majorité les nobles, mais il semble se répandre dans les autres couches de la population. Pourquoi ? Personne ne peut l’expliquer. Les guérisseurs les plus habiles se penchent sur ce problème depuis des lunes, mais ils sont pour l'heure sans réponse. Leur unique solution consiste à éloigner les malades des personnes saines. Cela fonctionne, mais l’effet est limité. Chaque décade, un important nombre de nouveaux cas est constaté. Dans les Faubourgs, cela a commencé il y a quelques jours, mais les habitants ne connaissant pas ce mal et pensent qu’il s’agit d’une autre maladie.
Ali tapait du pied, il n’avait pas réclamé tout l’historique.
— Mais est-ce curable ? demanda-t-il vivement.
— Pour l’instant, je ne peux que te dire que tout le monde n’en meurt pas, mais à ma connaissance personne n’en a guéri.
Ali sentit une petite main lui presser l’épaule avec douceur. Sans un bruit, Joline s’était approchée. Maîtresse Noura approuva d’un léger geste de la tête et poursuivit d’un ton posé.
— D’autres peuvent avoir des réponses. Des gens qu’en ville l’on méprise, mais qui ont un grand pouvoir.
Joline – sa main toujours sur Ali – fronça imperceptiblement les sourcils.
— Les Protecteurs ? Vous songez à ces charlatans, n’est-ce pas, Maîtresse ? demanda-t-elle.
Pour toute réaction, la tenancière hocha la tête. La voix de Joline se fit de plus en plus forte.
— Vous n’y pensez pas ? Ces sorciers hérétiques ne détiennent aucun savoir. Ils ne corrompent que l’âme de jeunes gens égarés. Seul Culpar peut nous sauver !
— Il faut que j’aille les trouver, déclara Ali d'un ton ferme.
Il se retourna vers Joline et la fixa, sans ciller.
— Tu comprends, n’est-ce pas ? Même si ces fous ne pourront certainement pas m’aider, je dois tenter ma chance.
— Mais…
— Tu m’as dit toi-même que ta famille, une des plus pieuses de la ville, est impuissante. Je dois courir le risque, Joline.
Un silence de plomb tomba. Joline lança son fameux regard de glace à Ali qui mit un moment à saisir la raison de sa colère.
— Joline ? déclara lentement Noura en se tournant vers la jeune noble. Je ne sais pas si je devrais te le dire – car vos histoires ne me concernent pas – mais si tu ne veux pas qu’on te retrouve, je te conseille de gentiment déguerpir d’ici. Je connais un homme qui s’intéresse de près à ton cas. Et il ne va pas tarder à sortir de sa chambre…
— L’homme à la veste rouge, s’écria Ali !
Joline, dont la respiration s’était accélérée, jeta un œil rapide sur l’escalier qui menait à l’étage.
— Oublie la chambre, déclara promptement Ali à la tavernière. Donne quelque chose à manger à Fétide quand il émergera et dis-lui de rentrer au plus vite à la maison.
Le jeune homme lança cinq pièces de bronze sur le comptoir.
— Explique-lui que je reviendrai le plus vite possible. Et que … que je n’oublie pas Didine.
Ali prit la main de Joline et se précipita vers la porte d’entrée.
— Fais attention à toi, Ali, crut-il entendre.
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