Fyctia
3. Conseils (1/2)
À bout de souffle, Ali et Joline Edorien parvinrent à l’Auberge des Trois-Rois. S’ils n’avaient pas été suivis après leur discrète fuite, les deux jeunes gens n’avaient pu s’empêcher de courir. Joline avait réussi – malgré la vive allure – à maugréer contre son père durant tout le trajet. Ali l’avait notamment entendu se plaindre de manque de considération et reconnaissance, des concepts qu'il ne saisissait pas.
Ali apercevait une lueur poindre derrière les toits de chaumes et de pailles des Faubourgs. Heureusement, songea-t-il, ainsi Maîtresse Noura serait debout. Il avait besoin de ses conseils. La tavernière restait la plus instruite et la mieux informée sur les divers faits des Cinq Royaumes de tous les habitants du quartier. Bien qu’elle ne parlât jamais de son passé, Ali le pensait obscur ; elle avait dû beaucoup voyager, rencontrer de nombreuses personnes et visiter moult pays.
Le jeune homme proposa à Joline de prendre une chambre et de l’y atteindre. De son côté, il rentrerait en vitesse chez lui afin de s’enquérir de l’état de Paulandine. S’il avait toute confiance en Mani, il ne pouvait pas rester sans nouvelles, c’était trop dur. Joline protesta en arguant que c’était trop dangereux, son père savait se montrer insistant et convaincant quand il s’agissait de sa fille.
— Nous y retournerons plus tard. Père ne va pas musarder toute la journée dans ce quartier et l’état de ta sœur ne changera pas en une matinée. Prenons une chambre, mais à ton nom. Il ne faut en aucun cas que le mien soit prononcé dans cette gargote ou inscrit dans un registre, sinon Père le découvrira aussitôt.
Ali grimaça, et accepta. Cette femme allait le faire tourner en bourrique. Ne pouvait-elle pas une seule fois acquiescer sans discuter ? Joline avait besoin de lui, mais elle ne formulerait jamais de la sorte. Cependant, elle avait raison ; il pouvait bien attendre un peu.
— Jette ta veste ici, commanda le jeune homme en désignant une cagette du doigt. Elle est trop voyante pour ce bouge. Attache tes cheveux et frotte-les avec un peu de terre. Personne ne les laisse ainsi relâcher dans les Faubourgs. On te remarquera tout de suite s’ils sont propres et qu’ils sentent si bon la …
Ali s’interrompit, le feu aux joues. Pour une fois, Joline obtempéra, son visage légèrement rouge.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans la taverne, elle ne put s’empêcher de plisser le nez.
— Cesse donc de faire ta grande Dame, susurra Ali, ça ne sent pas si mauvais.
De mauvaise grâce, il dut cependant reconnaître qu’il restait une vieille odeur de bière rance et de médiocre vinasse, mais il se garda bien de la dire à Joline. Moro, le costaud de l’auberge, avait comme chaque matin délaissé sa surveillance et s’évertuait à rendre l’endroit plus convenable. Il frottait avec vigueur le sol avec une serpillière jaunie par des années de fêtes. Il salua brièvement Ali – n’oubliant pas de faire remarquer que sa présence si tôt dans la journée l’étonnait – et poursuivit sa tâche, navigant entre les trois uniques clients que comptait la salle commune. Ali ne se surprit guère de voir Fétide endormi à une table, la main fermement accrochée à une chope à moitié vide. Il décida de la laisser tranquille, les soucis viendraient bien assez vite.
La tête haute et le port altier, Joline s’avança vers le comptoir où Maîtresse Noura s’appliquait à nettoyer chopines de terre cuite et autres récipients. Ali suivit d’un pas lourd.
Ne sait-elle donc pas se conduire comme un bouseux ? bougonna Ali à sa seule attention. Elle entre ici comme si elle était en terrain conquis.
— Bonjour, ma bonne Maîtresse, déclara Joline à la tenancière. Mon ami et moi souhaiterions prendre une chambre pour la journée et la nuit. Une chambre… acceptable… dit-elle en balayant les lieux des yeux, son petit nez en trompette retroussé.
Ses épaules dépassaient péniblement du comptoir, mais Joline parvenait à regarder la tavernière de haut. Ali se précipita, connaissant la révulsion de la patronne pour l’arrogance et le mépris.
— Bonjour, jeune fille, répondit Maîtresse Noura d’une voix dure, son attention fixée sur sa vaisselle. Une chambre, n’est-ce pas ? Patientez un instant.
Sans un coup d’œil pour les deux jeunes, elle se retira dans les cuisines. Joline fulminait, les paumes à plat sur le comptoir.
— Sait-elle seulement à qui elle a à faire ? s’indigna-t-elle. Je m’en vais lui…
— Tais-toi ! Va t’asseoir à une table, attends-moi et ne te fais pas remarquer, pour changer.
Joline le foudroya du regard, les deux mains sur les hanches. Ali du rassembler tout son courage pour ne pas flancher face à ce torrent de glace et de feu. Finalement, la jeune fille baissa légèrement les épaules et partit s’installer dans un coin de la salle commune.
1 commentaire
ooorianem
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Il y a 2 ans