Fyctia
2. Tristesse (1/2)
Tandis que Félixtide était retourné à la taverne des Trois-Rois fêter la soirée faste, Ali et Joline avaient traversé les Faubourgs jusqu’à la demeure seigneuriale du jeune homme. Durant le trajet, elle n’avait presque pas ouvert la bouche, se contentant d’observer scrupuleusement les ruelles qu’ils empruntaient. Si l’odeur des lieux rebutait l’aristocrate, elle ne s’en était pas plainte, ce qui ne manqua pas d’étonner Ali. Les rares nobles qu’il avait croisés s’étaient si révélés délicats qu’ils n’étaient restés longtemps dans le quartier.
— Voici votre suite, ma Dame, déclara Ali en désignant une paillasse sur le sol de bois brut. Si vous souhaitez vous rafraîchir, notre salle d’eau est bien entendu à votre disposition. Elle se trouve dans les jardins extérieurs.
Joline grimaça en découvrant la bassine ébréchée qui traînait dans la petite cour, devant la maisonnée.
— Deux pièces d’or pour ça, grommela-t-elle. Et tu vis seul dans ce… palace ?
— Voyons, ma Dame, répondit Ali d’un air faussement outré, pensez-vous donc ! Je dois bien loger mes gens. Vous connaissez déjà le colonel Fétide et ne tarderez pas à rencontrer ma suivante, Paulandine, ainsi que mon valet de chambre, Manixtide. Nous habitons tous là et ne manquons guère de place.
Joline balaya l’endroit des yeux et refréna une nouvelle grimace. Deux couches de pailles, une chaise et un semblant de table, voilà tout le mobilier qui occupait les lieux. Elle fixa Ali et lui demanda :
— Par Culpar, vous vivez donc à quatre ici ?
— Oui, répondit-il en détournant le regard.
Joline fit lentement le tour de la pièce en observant la pauvre décoration. Elle s’approcha du tableau qui représentait Hazel. « Qu’elle est belle ! » crut entendre Ali.
Toi aussi tu es belle, pensa-t-il en contemplant les cheveux noirs mi-longs de la jeune fille qui brillaient dans l’obscurité de la chaumière.
— Elle te ressemble beaucoup. C’est ta sœur ?
— Non, ma mère. Elle est morte il y a plusieurs années.
Joline ne répondit rien et garda les yeux rivés sur la peinture. Ali s’apprêta à lui demander si elle souhaitait manger quelque chose lorsque la porte de la maisonnée s’ouvrit. Mani entra en trombe, Paulandine endormie dans ses bras musculeux.
— Qu’est-ce qui lui est arrivé ? s’alarma Ali.
— Je ne sais pas, déclara son grand frère. Nous rentrions du quartier commerçant quand elle a commencé à se sentir chaude. Elle parlait toute seule et débitait des phrases incompréhensibles. Puis, soudainement, elle s’est effondrée.
Ali aida Mani à la coucher sur une paillasse. Sa peau était cireuse et ses mains se crispaient sur la couverture. Malgré son gabarit imposant, elle semblait si fragile. Ne sachant que faire de plus, Mani caressait le visage anguleux de sa petite sœur.
— Il lui faut un guérisseur, déclara Ali.
— Si tu en connais un qui travaille gratuitement, dis-le-moi ! répliqua Manixtide.
Ali serra les poings dans son dos et prit une profonde inspiration.
— J’ai une pièce d’or en poche, ça suffira amplement. Va t’en chercher un, je la surveille.
Joline s’approcha avec douceur et posa une main sur l’épaule d’Ali, toujours penché sur Paulandine. Malgré la situation, il ressentit une étrange sensation dans l’estomac.
— Un médecin sera inutile, déclara lentement la jeune femme.
Mani se releva d’un coup. Son gabarit dut impressionner Joline qui recula de surprise et buta dans une chaise.
— Et l’on peut savoir qui vous êtes, ma Dame ? Une guérisseuse déguisée en aristocrate venue faire la charité dans les bas-fonds, distribuer un peu d’or pour vous repentir de vivre dans la luxure ? N’est-ce pas ce que vous enseignent les préceptes de votre dieu ?
— Non… non, je voulais seulement vous signifier que…
— Laisse-la en paix, Mani ! intervint Ali en se redressant à son tour.
Il leva la tête et fixa son frère dans les yeux. Malgré sa taille moyenne, il lui arrivait tout juste aux épaules ; Ali avait toujours été le nabot de la famille.
— Elle n’est pas la cause de nos soucis ou de notre pauvreté. Si elle m’a donné une pièce d’or, c’est pour un service, pas par bonté de cœur.
— Bah tien ! Un travail honorable, comme d’habitude, n’est-ce pas, Alixtide ? Que devras-tu faire pour une somme pareille ? Assassiner un noble ? Uriner dans un temple ? Quel bel exemple tu fais pour la fratrie !
Ali se retint de se jeter sur son frère, il avait le talent pour l’exaspérer au plus haut point. Il savait toujours mieux que quiconque, faisait mieux que tout le monde.
— Rien de déshonorant, grand sage ! répliqua Ali. On doit juste la cacher quelques jours en échange de deux pièces d’or.
— Peut-être pas déshonorant, mais sûrement dangereux. Dis-moi, petit génie, as-tu seulement songé aux dangers que tu faisais courir à Félixtide ou à Paulandine en l’amenant ici ?
Joline s’avança alors d’un pas, pointant son nez en trompette vers le torse de Mani :
— Je ne suis pas la dernière des sottes, je ne vous fais courir aucun risque, sache-le. Ce que je fuis ne représente aucun péril pour toi et les tiens, je le jure sur Culpar.
— Bah tiens ! Jurer sur une chimère, voilà un bien gage de qualité ! cracha Manixtide malgré le regard outré que lui lançait Joline. Bien, j’en ai assez entendu pour la soirée. Donne-moi l’or, Ali, je vais quérir un guérisseur.
De mauvaise grâce, Ali tira de sa bourse la pièce et la lui jeta. Mani grogna et quitta la maisonnée.
1 commentaire
ooorianem
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Il y a 2 ans