Krrkippaal Les Cinq Visions - Héritier 1. Les Faubourgs (2/2)

1. Les Faubourgs (2/2)

Dans la ruelle, un vent à décorner les bœufs accueillir les deux frères. Ali releva sa capuche et prit la direction de la maison.


— On va rien faire à l’aristo ? demanda Félixtide. L’a rien à faire dans notre quartier.


— Tu as entendu Noura, il dort à l’auberge. Et tu connais la règle non ?


— Jamais la famille et les amis… récita-t-il. Mais l’es pas notre ami.


— Noura oui, expliqua patiemment Ali.


Les deux frères franchirent l’unique pont de bois des Faubourgs qui traversait l’Erinas. Les eaux du fleuve, plongées dans le noir, s’écoulaient en direction de la ville. De nombreuses lumières éclairaient les habitations de pierre des quartiers riches nichés au sommet des falaises qui entouraient Arborburg, la cité de l’Arbre. Ali jeta un coup d’œil par-dessus les toits. Il aperçut les fines et blanches tours du château qui – illuminées par la lune – tutoyaient les étoiles. Puis, il reporta son regard sur le chemin de terre battue afin d’éviter de se vautrer dans la gadoue.

Fétide lui balança alors un puissant coup de coude. L’avertissement se voulait discret, mais faillit flanquer Ali dans une pile de cageots accolée à une étale.


— Là, un autre riche, s’exclama-t-il en désignant un petit homme de son gros doigt. Bien d’la chance, ce soir !


Ali plissa les yeux pour le distinguer plus en détail. Il portait un habit semblable à la veste de l’individu qui logeait aux Trois-Rois.


— Allons-y ! chuchota Ali.


Il sortit un coutelas de l’intérieur de sa chemise et – à pas feutrés – se précipita à la suite de sa proie. Fétide, d’un naturel moins discret, resta à distance, conformément au plan ; les frères avaient eu des années pour mettre au point leurs stratégies d’approches. Ali volait entre les trous du chemin, évitant les flaques de boue et d’urine. Il fallait à tout prix que le moindre bruit alerte sa future victime. Il filait à pas de loup, longeant les murs des taudis de torchis et de bois, esquivant aisément cagettes, détritus ou autres débris.


La cible s’engagea dans une petite ruelle. Ali devait se presser, car elle ne tarderait pas à arriver sur l’artère principale de Faubourgs, une rue très fréquentée, même à cette heure avancée.

Faites qu’il se vautre, pensa-t-il avec ardeur ! Faites qu’il s’encouble dans une caisse !

Alors qu’il imaginait sa proie avec les deux pieds dans une cagette, le miracle se produisit. Elle trébucha et s’écrasa piteusement sur le sol boueux. Ali pressa le pas et se lança avec souplesse sur sa victime. À califourchon sur son dos, il plaqua une main sur les longs cheveux noirs et maintint la tête dans la fange. L’homme remuait avec fougue tandis qu’Ali apposait son coutelas entre ses omoplates.


— Tiens-toi tranquille et je te libérerai. Chance pour une malchance, je n’en veux qu’à ta bourse.

L’homme gargouilla dans la boue, tentant de dégager son visage. Ali ne souhaitait pas sa mort, mais il devait attendre Fétide. Si sa victime se montrait récalcitrante, il aurait besoin de la force de son frère. Une puanteur différente – plus acide et âcre que celle qui infestait habituellement

les Faubourgs – lui parvint alors aux narines.


Enfin !


Ali leva la tête et aperçut son frère à l’autre bout de la ruelle. Il soufflait comme un bœuf, une main sur ses côtes.


— Tu en as mis du temps, lui reprocha Ali.


— J’devais faire le tour pour couper la retraite, expliqua Fétide entre deux râles, comme tu dis toujours d’faire.


— Oui, mais tu pouvais tout de même …


Tel un cheval enragé, l’homme se cabra soudain et parvint à désarçonner son agresseur. Ali décolla et atterrit dans la gadoue, sur le dos. Le souffle coupé, il redressa la tête tant bien que mal et resta sans voix. Une femme – ou plutôt une jeune fille – le toisait avec des yeux bleus à faire geler un flambeau. Malgré sa petite taille, elle semblait dominer le trio ; une aura de grâce – aucunement entachée par la crasse qui maculait son vêtement – émanait d’elle.


— Pour qui te prends-tu, vaurien ?


Ali se releva prestement et évalua la situation. Personne en vue hormis Fétide et sa victime. Le jeune homme se secoua et avança d’un bon pas vers la fille.


— Désolé, l’aristo, mais on ne quitte jamais les Faubourgs si bien aguichée. Donne-moi ton argent et…


— Tu crois m’intimider ? coupa-t-elle en agrémentant son impolitesse d’un haussement de sourcil. Je suis Joline Edorien, Héritière-Gardienne de la Maison Edorien. Mon Père est Jalbert Edorien, membre influent des Repentis et Général des Censeurs !


Si cette déferlante de titre et de rang était censée faire grand effet sur ses agresseurs, Joline dut vite déchanter. Félixtide la fixait bêtement en haussant les épaules alors qu'Ali ricanait en annonçant d’une voix pompeuse :


— Alixtide, Seigneur des Bas-Fonds et héritier de la Maison Pièce-de-Bronze, à votre service, ma Dame. Et voici Félixtide, Grand Colonel des armées de boues et d’urines, mon fidèle second.

Le regard vide, Fétide les dévisageait tour à tour en grattant son menton anguleux.


— Vous n’êtes pas dénué d’humour, Seigneur des Bas-Fonds, déclara la Dame avec un sourire. Si vous cherchez de l’argent, je peux peut-être vous aider. Je dois avoir une pièce d’or dans ma bourse, cachez-moi pendant quelques jours et je vous promets le double.


Ne jamais faire confiance aux nobles, se dit Ali. Mais deux pièces d’or ! Voilà qui valait la peine de prendre quelques risques.


— Suivez-moi, ma Dame, je vais vous présenter mon palace.


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2 commentaires

Sarah B

-

Il y a 2 ans

Coup de pouce

Krrkippaal

-

Il y a 2 ans

Merci beaucoup :)
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