Fyctia
1. Les Faubourgs (1/2)
Les cloches de la Repentance venaient de sonner, annonçant le début de la nuit. Dans toute la cité d’Arborburg, les fidèles du Dieu Culpar s’adonnèrent aux rites du Repentir. Dans toute la cité ? Certainement pas. À la taverne des Trois-Rois, au milieu des Faubourgs, les dés roulaient et la bière coulait à flots.
En cette froide soirée, les trois cheminées ronflaient bruyamment, dégageant une agréable chaleur dans toute l'auberge. Les hauts chandeliers suspendus diffusaient une lumière suffisante pour les parties de cartes, mais assez discrète pour des actes plus intimes. Sur une estrade de fortune, deux musiciens jouaient un air entraînant à l'oud et au violon, quelques filles dansaient allégrement sous les regards peu ou prou distingués des clients.
Pour une taverne située dans les Faubourgs, la réputation des Trois-Rois était bonne. Rares étaient les rixes, Maîtresse Noura y veillait. Comme disait un proverbe local : « mieux vaut une mort amère qu’une dispute avec la tenancière ».
La patronne était haute et sèche, avec une peau très parcheminée. Autant dire que son physique ne provoquait guère de craintes. Cependant, un seul de ses regards suffisait à faire rentrer un clébard dans sa niche, et la queue entre les jambes. De plus, Moro, son molosse, était doté d’un cou large comme une barrique et finissait de réduire aux silences les rares clients qui osaient passer outrepasser l’autorité de la tenancière. Ainsi allait la vie, dans la taverne des Trois-Rois, au fin fond des Faubourgs.
Non loin des deux troubadours, assis à une table ronde, un jeune homme secouait son cornet à dés.
Il me faut trois six, pensa-t-il avec ferveur, simplement trois six. Sur quatre dés, je n’en demande tout de même pas trop !
Il ferma les paupières un instant, se concentra sur le résultat et retourna le cornet sur le plateau : trois six !
— Quelle chance insolente ! beugla l’un des joueurs.
Ali explosa de rire. Il se pencha en avant, gratta d’un geste désinvolte sa tignasse noire et ramassa le tas de pièces de cuivre.
— Rien à voir avec la chance, mon ami. Le talent et la foi, voilà la douce combinaison.
— De la foi ? demanda un autre joueur en ouvrant de grands yeux, je remarque bien là ton humour douteux, Ali… Quand je t’verrais prier le Dieu Culpar, je promets de jamais remettre les pieds dans ce bouge.
— Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir, Harold, il y a plus de chance que j’implore une chimère que tu ne délaisses ton pauvre gosier.
— Arf ! T’as peut-être bien raison, petit. Va donc me payer une bière. Tu me dois bien cela, tu m’dépouilles depuis le début de la soirée.
Ali s’assura de la présence de Félixtide, son solide frère ; s’il n’était pas capable d’aligner dix mots sans se mordre la langue, il était plus qu’utile en cas de grabuge.
— Tu peux toujours rêver, cher Harold, je n’ai pas assez de sous pour être charitable.
Bien qu’il ait amassé une petite somme durant la partie de dés, il était vrai qu’Ali devait faire attention. Depuis la mort de sa mère, il avait la charge – avec Mani – du reste de la famille. Ils s’étaient plutôt bien débrouillés, ces dernières années, mais rien n’était jamais acquis.
Après avoir salué les joueurs, il se leva et se dirigea vers le comptoir où s’abreuvait Félixtide. Il dégageait une odeur rance et acide, comme à son habitude ; ses frères le surnommaient Fétide. Accroché à sa pinte, aussi solide que les poutres de l’auberge, il ne quittait pas des yeux un inconnu. L’homme portait une belle veste ocre – un vêtement rare dans les Faubourgs – sur laquelle brillait un insigne représentant un cerf d’or. Une épée recourbée finement ouvragée reposait à ses côtés, sur un tabouret.
— Suis-le discrètement jusque chez lui, Fétide. Et rejoins-moi à la maison.
— D’accord.
Ali se retourna alors vers la tavernière qu’il interpella d’une main.
— Ma bonne Noura, voici pour nos consommations de la soirée, dit-il en lançant quelques piécettes de cuivre.
La tenancière les étala sur le comptoir et les pesa rapidement. Une fois son dû en sécurité dans sa bourse, elle suivit le regard insistant de Félixtide et agrippa Ali par l'épaule ; malgré des bras secs et ridés, elle avait la main ferme.
— Pas d’esclandre chez moi, Ali !
— Que vas-tu donc t’imaginer, je respecte beaucoup ta gargote. Nous ferons affaire à l’extérieur.
— Traite encore une seule fois mon établissement de gargote et tu mangeras de la soupe durant des décades. Je te préviens, l’homme que ton frère guette autant discrètement qu’une armée en campagne a pris une chambre ici. Et ramène Félixtide avec toi, je ne veux pas te le rapporter demain dans une brouette, dit-elle tandis que l’intéressé finissait une nouvelle chopine comme si c'était la première.
Devant le regard de la patronne, Ali ravala sa réplique et hocha la tête. Il fit un signe à son frère et tous deux se levèrent.
— Une dernière chose, jeune homme, je pense qu’il serait grand temps de trouver une occupation plus convenable que piller mes clients aux dés et élaborer de sombres magouilles.
En guise de réponse, Ali grimaça et quitta les lieux, Fétide à sa suite.
2 commentaires
Kiria Parker
-
Il y a 2 ans
Krrkippaal
-
Il y a 2 ans