Fyctia
Prologue (2/2)
— Reste à l’intérieur, Ali. Ne fais pas un bruit et surveille ta sœur, siffla-t-elle.
Ce ton brusque ne lui ressemblait pas. La respiration haletante, Ali ferma le battant et glissa un œil dans l’un des nombreux interstices.
Quatre hommes avançaient d’un pas lent, mais énergique. Hormis le plus vieux, vêtu d’une longue toge rouge et le visage encagoulé, les autres portaient des épées au ceinturon et de solides plastrons de cuir. Les hommes d’armes s’arrêtèrent à quelques toises des marmites. L’aîné s’approcha des femmes qui ne purent réfréner un léger mouvement de recul. Hazel ne bougea pas.
— Bonsoir, Hazel, dit le vieillard chaudement.
— Votre présence ici m’étonne, répondit Hazel.
Sa voix ne tremblait pas, mais sa main étreignait sa grande cuiller.
— Que fais-tu donc dans ce quartier minable, Hazel ? demanda l’aîné en embrassant les lieux des yeux. Il m’a fallu déployer des moyens importants pour te retrouver, même ta propre famille n’a pu me renseigner. Pourtant, j’ai usé de procédés… comment dire… malséants.
Hazel ne bougeait pas d’un pouce, le regard fixé dans la capuche.
— Mais te voilà devant moi, fière comme toujours, belle pour l’éternité. Ton fils te ressemble, j’espère. Où est-il ? Dans cet immonde taudis ?
Hazel fit un léger et involontaire pas sur le côté, en direction de la porte de la maison.
— Mani n’est pas là, répondit-elle d’une voix blanche.
— Je me moque de ton aîné et tu le sais !
— Je n’ai pas eu d’autres enfants. Mon mari est mort bien trop jeune.
— Tu es bien trop honnête pour mentir convenablement, Hazel.
Sans quitter la femme du regard, le vieillard fit un mouvement de tête et deux gardes se détachèrent du groupe en direction de la maison. Ali, les jambes en coton, agit d’instinct. Il agrippa Paulandine et la tira vers la seule cache de la pièce. Il souleva une porte dissimulée dans le plancher et leur aménagea en hâte un espace suffisant entre une cagette recouvrant les maigres possessions de la famille. Ils s’y infiltrèrent et Ali ferma la trappe.
Le battant de l’entrée s’ouvrit à la volée. Le jeune garçon plaqua sa main sur la bouche de sa petite sœur. Il percevait leur cœur tambouriner à l’unisson. Les hommes d’armes remuèrent les rares meubles avec violence. Ali sentit la caisse à provision s’écraser au-dessus de leur cachette. Par chance, le bruit étouffa le cri de surprise qui échappa à Paulandine. Ali resserra son emprise sur la bouche de la fillette, priant pour qu’elle puisse encore respirer. La poussière s’effondra sur les deux enfants.
— Il n’y a personne, Monseigneur, lança un soldat.
— Bien, répondit le vieillard, amenez-la à l’intérieur.
Ali entendit Hazel hurler tandis qu’on la traînait dans la maison. Les autres femmes protestèrent et appelèrent à l’aide. En vain, la garde de la cité ne patrouillait jamais dans les Faubourgs.
— Nous avons l’éternité devant nous, Hazel, déclara d’une voix douce le patriarche. Sache que tu parleras.
Un bruit sourd parvint aux oreilles du jeune homme, suivi d’un hurlement étouffé. Plusieurs coups déferlèrent sur la Hazel qui commença à pleurer. Dans ses bras, Ali sentait ses propres larmes creuser de profonds sillons sur ses joues.
Durant un temps qui parut infini, gifles et coups de poing se succédèrent, interrompus par une simple question : « où se cache l’enfant ? ».
Les réponses d’Hazel étaient de plus en plus faibles. Sa voix se brisait, mais pas sa volonté. Inlassablement, elle répétait les mêmes mots : « Vous connaissez mon seul fils, je n’en ai pas d’autres ». Pétrifié, Ali entendait les coups pleuvoir sur sa mère. Une odeur âcre s’infiltra dans la cachette, se mêlant à la poussière et aux larmes.
Quelqu’un viendrait tôt ou tard ; d’autres hommes du quartier, des amis de la famille. Mais que pourraient-ils face à ces brutes armées jusqu’aux dents ?
Soudain, Ali reconnut une voix familière ; son grand frère arrivait. Les yeux clos, il supplia tout bas pour que Mani n’entre pas, pour qu’il se sauve. Mais les dieux semblaient se moquer de ses prières. Mani déboula dans la maison, suivi de près par Félixtide, son cadet. À la vue de leur mère, ils sautèrent sur les soldats. Un bref combat s’engagea et les deux assaillants furent rapidement maîtrisés.
— Voici donc l’enfant, lança-t-il au corps inerte d’Hazel.
Par un interstice, Ali l'aperçut se pencher vers Félixtide et lui agripper le menton.
— Regarde-moi, petit !
Félixtide se débattit contre le garde qui le ceinturait. Ne pouvant se défaire de son geôlier, il cracha au visage du vieillard. Ce dernier essuya calmement sa joue avec la manche de sa toge et plongea son regard dans les yeux du jeune homme.
— Ça n’a pas fonctionné, déclara-t-il en s’abandonnant sur une chaise. Partons.
Il se leva et – sans égard pour le corps d’Hazel – prit la direction de la sortie. Sur le pas de la porte, il se retourna vers Mani :
— Je n’ai pas voulu ça, fils. Ta maman ne m'a pas laissé le choix. Il fallait que je sache. Pour le plus grand bien de tous.
Il lança une bourse au gamin et quitta la maison délabrée. Dans sa cachette, Ali comprit que la douce quiétude de son enfance était morte avec sa mère.
4 commentaires
Kiria Parker
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Il y a 2 ans
Krrkippaal
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Il y a 2 ans
ooorianem
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Il y a 2 ans
Krrkippaal
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Il y a 2 ans