Fyctia
Prologue (1/2)
Assis à même le sol, Ali regardait sa mère. Hazel passait le balai sur le plancher de bois brut qui jonchait le sol de l’unique pièce de l’habitation. Elle sifflotait un air doux et propageait grâce et bonheur dans la maison et dans le cœur de son fils. Il ne pouvait s’empêcher de l’admirer, elle qui avait tout donné pour ses enfants. Quand son mari l’avait quittée, son entourage avait craint qu’elle ne se fane, mais comme les fleurs les plus belles et les plus robustes, Hazel avait su percer la neige qui recouvrait son âme. Jamais, durant les dix printemps que comptait Ali, il ne l’avait vu en colère.
Elle fredonna une nouvelle mélodie en posant son balai près d’un vieux coffre de bois qui contenait les maigres provisions de la famille. Le pas léger, elle traversa ensuite la pièce en direction de la porte.
— Je sors préparer le souper, mon chéri, chanta-t-elle en gratouillant la tête de son fils.
Ali grimaça de plaisir et aplatit d’une main sa tignasse noire et bouclée.
— Jette un œil sur ta petite sœur, je te prie.
— Je suis assez grande pour me jeter des yeux toute seule, protesta Paulandine.
Dans un rire volubile, Hazel referma la porte en bois. Ali tira vers lui une chandelle et reporta son attention sur le livre qu’il lisait pour la centième fois. C’était sans doute le bien le plus précieux que l’on pouvait trouver dans toute la maisonnée.
— Tu me lis, s’il te plaît ? demanda Paulandine.
— Approche, répondit Ali en étendant une peau de mouton sur le sol froid. Où est-ce qu’on s’était arrêté ? Tu te souviens ?
Tandis qu’elle se pelotonnait près de son frère, Ali commença à raconter.
Contrairement aux autres gosses des Faubourgs, Ali avait eu la chance d’apprendre à lire et à écrire. Hazel, qui avait grandi dans une famille aisée, avait reçu une éducation et transmettait aujourd’hui ses connaissances à ses enfants.
— Encore un chapitre, supplia Paulandine, je veux savoir ce qui arrivera à Odorf.
Ali sourit – elle connaissait déjà l’histoire par cœur – mais ne résista pas à ses petits yeux humides qui le fixaient derrière ce gros nez. Il n’osait pas se l’avouer, mais il était ravi de ne pas lui ressembler. En effet, personne ne pouvait qualifier le visage de sa sœur chérie d’harmonieux. Selon Hazel, elle lui évoquait beaucoup – comme les autres frères d’Ali – leur père. Par chance, Ali semblait tenir davantage de sa mère.
Paulandine s’était assoupie, bercée par la lecture et par les discussions entre Hazel et les femmes du quartier occupées à préparer le souper dans la cour. Ali ferma le livre et s’approcha du seul objet qui décorait la pièce. Accrochée à la cloison de bois, une peinture à l’huile représentait une jeune fille debout devant une grande cheminée. Deux épées ornementales reposaient sur le manteau de pierre dominé par une majestueuse tête de cerf. Ali avança sa chandelle vers le tableau et nota avec quelle finesse l’artiste avait su révéler ce regard rieur aux yeux marron-vert et les petites taches de rousseur, les mêmes qui marquaient ses propres pommettes. Ali sourit avec tendresse devant le beau visage.
Soudain, un son – ou plutôt une absence de son – alerta le garçon. Il s’approcha de la fenêtre et poussa le volet fatigué. Dans la cour, Hazel et les autres femmes du quartier avaient délaissé leur marmite et fixaient un endroit qu’Ali ne pouvait voir, au bout de la ruelle. Les sourcils froncés, Ali interpella sa mère.
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