Fyctia
Chapitre 1 - Salomé
Il continue de me fixer, sa paume de main couvrant sa bouche dans un geste d’effroi, oubliant que ses doigts sont couverts d’une pâte marron qui sent délicieusement la vanille. Les grosses traces de chocolat qu’il laisse dans sa barbe blanche auraient pu me faire sourire, mais pas aujourd’hui. Pas quand je viens de commettre la plus grosse bourde de ma vie.
D’une voix minuscule, encore plus douce qu’à l’accoutumée, je dois lui expliquer à nouveau que oui, j’ai confondu l’arôme de caramel avec la bouteille de somnifères. Et que malheureusement, le contenu de cette bouteille a fini dans les chocolats vendus pour le réveillon. Et que, en toute probabilité, c’est à cause de moi que le village a passé la nuit de Noël...à ronfler.
- Salomé, est-ce que tu vas bien ? Tu avais la tête ailleurs ?
D’abord décontenancée par cette bienveillante politesse, je comprends rapidement qu’il lui reste une dernière partie de l’histoire à apprendre. La fin de ma courte carrière de chocolatière approche.
- Tu te souviens, quand ma grand-mère a dit que je cherchais un stage… je pense qu’elle n’a pas dit qu’il s’agissait d’un stage d’observation. Quand tu m’as laissée toute seule hier, j’ai paniqué, et puis tu es parti trop vite pour que je t’en parle et…j’ai voulu me débrouiller toute seule. Voilà.
- Tu veux dire que j’ai laissé la responsabilité de préparer les chocolats de Noël à une personne qui ne l’a jamais fait de sa vie ?
A grand-peine, je détache mon regard du sol, pour ne rencontrer que deux pupilles marron, presque noires, qui disparaissent derrière des sourcils froncés. Andrea, le chocolatier, a désormais les deux mains plaquées son visage, ce qui rend compte d’une situation véritablement désespérée. Il prend une grande inspiration puis reprend :
- C’est en partie de ma faute. Mais tu comprends Salomé, la chocolaterie célèbre dans toute la région, qui a contribué à construire une tradition autour du chocolat de Noël, que mon père s’est battu pour ouvrir... qui vend des chocolats aux somnifères. On n’a plus qu’à mettre la clef sous la porte.
Ce qu'il vient de faire, clairement, ça s’appelle tirer sur l’ambulance. J’ai envie de disparaitre. Je sens mes joues pâles brulantes de honte, et la frange qui me mange le visage peine à couvrir mon regard fuyant. Andrea doit remarquer mon malaise, et dans un soupir, lâche une phrase qui me fait reprendre espoir.
- Ecoute, j’ai peut-être un moyen d’arranger ça. Le village est à cran, ils ont été privés de leur fête de Noël à cause de nous et crois moi ils auront bientôt fait d’envoyer une belle lettre à ton Ecole de pâtisserie pour raconter tes aventures. S’ils l’apprennent, ils seront intransigeants et tu pourras dire adieu à ton rêve de devenir chocolatière. - Il laisse une pause insupportable- Bon, j’ai une idée, mais je ne sais pas si ça va marcher. Attends-moi là, je dois passer un coup de fil.
Dès qu'il sort de la pièce, je respire enfin. Il y a deux jours, je me sentais encore comme la fille la plus chanceuse du monde, qui venait d’arriver dans un petit village d’Alsace pour y faire un stage dans une chocolaterie la semaine de Noël. Et puis, au début de l’année prochaine, j’aurais dû rejoindre la prestigieuse école de pâtisserie Kalksa, en Suisse. Après deux années d’études, j’aurais pu vivre de ma passion du chocolat. Mais aujourd'hui, cette cuisine est la dernière dans laquelle je vais mettre les pieds (et plus pour très longtemps encore). Interrompant mon monologue intérieur de tragédienne, Andrea pousse la porte avec fracas, le téléphone encore dans une main.
- C’est bon, je nous ai arrangé ça. Les villageois sont d’accord pour nous laisser une dernière chance. Ils demandent simplement à ce qu’on ne les prive pas de leur cérémonie de Noël et ils tiennent à respecter le traditionnel partage de chocolats. Nous allons devoir refaire une fournée Salomé. Une qui ne les fera pas dormir cette fois. Ils te laissent un mois, pas un jour de plus, pour leur donner leurs chocolats. - Tout en commençant à s'activer, il marmonne frénétiquement dans sa barbe - OK. On va commencer par refaire nos stocks d’ingrédients. Moi je suis trop vieux mais j'ai une personne de confiance qui pourra s'en charger. Je pense qu’il devrait arriver d’une minute à l’autre.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, ce nouvel invité fait irruption dans la cuisine. Visiblement, il vient de se changer parce que sa chemise est mal rentrée dans son pantalon, et que le col dépasse de partout. Sa ressemblance avec Andrea est frappante : ils ont ces mêmes sourcils froncés, cette même allure élancée et nerveuse, ces mêmes cheveux drus et foncés qui semblent n'en faire qu'à leur tête. Il doit être son fils, ou alors son petit-fils, voire son neveu... En plongeant mon regard dans le sien, je sais que je n'aurai qu’une seule certitude aujourd'hui : cet homme me déteste.
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Et voilà pour ce premier chapitre :) Qu'en pensez-vous ?
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