Fyctia

Je me réveille tôt le lendemain, mais j’entends du bruit au rez de chaussé. Je me lève et passe dans ma salle de bain. Je m’habille en mode Noël, j’ai toujours aimé plus que tout cette fête. Mais cette année, stop au pull de Noël avec un cerf. J’enfile une robe verte et dorée à manches longues. Elle dessine ma silhouette fine et son décolleté en V met ma poitrine généreuse à son avantage, tout en restant distinguée. Fini les vêtements larges sous lesquels je me cachais. J’ai grandi, et ma famille doit s’en apercevoir. Je me maquille légèrement, lisse mes cheveux qui tombent en bas de mon dos, et descend.

Dans la cuisine, je trouve mon père buvant son café, le journal de la bourse sous les yeux.

_ Bonjour papa.

_ Sami ! Bonjour ma chérie.

Il s’apprête à m’enlacer mais stoppe son geste en me dévisageant. Je lui souris et le prend dans mes bras, puis je me sers un café, l’air de rien.

_ Quoi de neuf à la bourse ?

_ Euh c’est plutôt calme, me répond-il, toujours déstabilisé.

_ Un problème papa ?

_ J’ai failli ne pas te reconnaître.

_ J’ai vingt ans papa, je grandi.

_ C’est obligé ?

_ Oui. Tu vas t’y faire.

Je lui sourit et il se rassoit.

_ Quand est-ce que tu es arrivée ma puce ?

_ Hier soir.

_ Pourquoi tu ne nous as pas rejoint ? Ta mère t’avait laissé une robe sur ton lit.

Et quelle robe ! Rouge et bleue avec un col claudine et un père Noël sur la poitrine. La robe n’avait pas de forme. Autant porté un sac à patate. Tous les ans, depuis dix ans, ma mère me faisait porter le même style de robe. Avant je ne disais rien. Mais c’était avant.

_ Les invités commençaient à partir quand je suis arrivée, et j’étais fatiguée. Je suis allée me coucher tout de suite, ne m’en veux pas s’il te plait.

Je sais que c’est mal de mentir. Mais je ne peux pas lui raconter la vérité. Son regard changerait, et je ne le supporterai pas. Nous avons toujours eu une relation privilégié lui et moi. Comme ma mère avec Léo. C’est comme si notre famille était divisée en deux. Je ne sais pas ce qui a créé cette situation, mais c’est ainsi.

_ Je ne t’en veux pas. J’aurais juste aimé danser avec toi sur notre musique, comme chaque année.

_ Moi aussi papa, je t’assure.

Mais j’étais occupée à réaliser un de mes rêves.

_ Est-ce que tout va bien ? Je te sens songeuse.

_ Tout va bien papa. Promis.

J’ai surtout peur du repas à venir. De sa réaction et de celle de maman. Il faut que je leur parle avant.

_ Maman dort encore ?

_ Non. Elle est partie avec Adriana faire quelques courses pour ce midi.

Adriana, la maman de Travis. Elle est plus une mère pour moi que ma propre mère. On parle ensuite du travail, des études, de la photographie. Il est le seul, avec Adriana et Emma, la sœur de Travis et ma meilleure amie, à connaître cette passion qui m’anime depuis toute petite. Je ne sais pas combien de temps nous restons dans la cuisine, comme si nous étions seuls au monde. J’aime ses moments avec lui, ça me manque.

_ Bonjour !

Je me retourne pour faire face au nouveau venu, ou plutôt devrais-je dire aux nouveaux venus. Léo, Travis, et son petit frère Marc, entrent dans la cuisine, et à leur tour me dévisagent comme si mon nez n’était pas à sa place. Travis est aussi beau que la veille, même si sa tenue est un peu moins formelle. Il porte un pantalon noir droit qui met ses fesses en valeur, et un pull beige qui souligne ses épaules et son torse puissant. Maintenant je sais ce qui se cache sous ses vêtements. Et j’ai une furieuse envie de faire l’amour avec lui à nouveau. Ils finissent par s’avancer, serrent la main de mon père, puis prennent une tasse de café. Mon père reprend le fil de notre conversation, et je l’imite, bien décidée à ne pas reproduire le schéma habituel. Quel schéma habituel me direz-vous ? Celui de me morfondre d’amour pour Travis, de n’avoir d’yeux que pour lui, alors qu’il ne me remarque même pas. Et d’être la plus invisible possible. Je ne veux plus passer à côté de ma vie. Je veux vivre, pleinement et totalement.

_ Le bal était bien ?

_ Travis a passé une partie de la soirée avec une belle inconnue, alors j’ai dû me débrouiller seul. Mais tu le saurais si tu étais venue.

_ J’étais fatiguée Léo, et le bal était fini quand je suis arrivée.

_ Tu n’as pas vu une femme quitter ma chambre.

_ Non Travis, je n’ai vu personne, désolée.

Marc s’assoit près de moi, et se mêle à notre conversation.

_ Tu n’es pas du genre à courir après une fille

Travis ne répond pas et nous dévisagent. Je sens son regard fixé sur moi. Est-ce qu’il sait ? Non, c’est impossible. J’ai fait attention à garder mon masque tout du long. Marc et moi sommes proches. Mais pas intimement. Personne ne le sait à part moi et sa sœur, mais il est homosexuel. Nous sommes au vingtième siècle je sais. Mais le milieu social dans lequel nous évoluons est basé sur les apparences. Et ces gens si bien-pensant sont au final très moralisateurs. Marc ne veut pas blesser ses parents en les mettant dans une situation délicate, alors il garde le secret. Mais jusqu’à quand ?

Marc me demande de jouer un morceau avec lui et je le suis. Nous nous installons au piano, dans la salle de réception. Elle est magnifiquement décorée, avec son sapin haut de trois mètres, et ses décorations or et beige. Quelques guirlandes pailletées l’habillent mais sans le surcharger. L’étoile sera placée ce midi, quand nous ouvrirons nos cadeaux. C’est la tradition dans notre famille. Je commence à jouer « Let it snow » et Marc me suit en chantant. Quand le refrain arrive, je chante avec lui, et il s’arrête, surpris. D’habitude je ne chante pas, parce que personne ne me l’a jamais demandé. Mais je sais que j’ai une jolie voix, et j’aime chanter. La surprise passée, il chante avec moi, tout sourire. A la fin de notre chanson, nous entendons des applaudissements derrière nous. Quand je me retourne, nos deux familles sont là. Mon père, les parents de Travis, et Emma nous applaudissent. Léo et Travis ont l’air songeur, et ma mère a l’air très en colère. Ca va barder pour mon matricule, je le sais. Mais ma mère est trop bien élevée pour faire une scène devant tout le monde. Je prends mon temps pour dire bonjour à Emma et aux Mitchell, et quand je m’approche de ma mère, elle me prend par le bras et m’entraîne dans la bibliothèque. Elle ferme la porte derrière moi et prend une grande respiration. Elle est vraiment furax !