Fyctia
Les créatures des profondeurs
...
Il y a tant et tant de corps que je ne peux éviter d’y marcher dessus. Ici, les gens affolés, apeurés se sont visiblement agglutinés contre les deux vantaux qui malheureusement pour eux s’ouvraient en sens inverse. Ils fuyaient probablement quelque chose qui arrivait du fond du couloir.
L’odeur est toujours insupportable et le bruit « juteux » que font dégager mes pas écrasant les boyaux et les membres déchiquetés me rendent malade. Il est clair qu’ici, un terrible drame s’est produit, tout le personnel a été massacré ainsi que les visiteurs et les malades. Dans une chambre, un lit est imbibé de sang et un patient a été transpercé par une barre à mine qui l’a comme embrochée avec le matelas. Il demeure bizarrement figé, la bouche grande ouverte, le corps gonflé et noircis.
— Intéressant ! la vision de ce que devient physiquement le corps d’un être humain et tous ces cadavres en putréfaction, entassés ou qui parsèment les pièces, les couloirs ou les rues et les boulevards, c’est saisissant. Tel un tableau qui montre la tragédie du monde humain.
Je reconnais cette voix qui vient de me faire sursauter. Il y a un moment que je ne l’entends plus. Je me retourne et je ne perçois pas tout de suite le personnage
— Professeur Bernard ? C’est vous ? Ou êtes-vous ? je ne vous vois pas.
Je scrute le fond du couloir mais je ne parviens pas à percer l’obscurité qui l’habille. Pourtant du fond des ténèbres, la voix du professeur Bernard continue sa litanie.
— Je t’ai cherché pendant plusieurs jours, mais tu ne cessais de te déplacer entre un monde et l’autre, c’est ennuyeux pour les autres quand on a le don que tu possèdes mon petit Pierre. Mais désormais tu ne m’échapperas plus, je vais pouvoir t’étudier et comprendre comment fonctionne ton esprit. Je vais te disséquer, enfin, disséquer ton âme, la couper en fines tranches, la ponctionner, la segmenter, la scinder, mais je vais trouver. Tu es désormais à ma merci.
Pendant que je l’écoute, le scientifique s’approche de moi mais il marche aux plafonds avec la tête en bas. Il ne semble absolument pas gêné de cette anomalie physique échappant aux lois de la gravitation.
A ma droite, la porte qui accède à l’escalier de service, je l’ouvre subitement et je me mets à dévaler ses marches quatre à quatre. Arrivé au rez de chaussée, je pousse la nouvelle porte qui mène au grand hall de réception. Mais ce salop est à nouveau devant moi à dix pas à peine étant toujours positionné dans la même posture, il a pris un air grave, sa peau s’est noircie, il commence à se déformer, tandis que ses yeux prennent une couleur rouge, celle d’un autre monde.
— Tu te rappelles lorsque je t’énonçais les lois de la physique quantique dans le jardin de Carole ? Eh bien, nous y voilà, nous sommes en plein dedans. Ne cherche pas à me fuir car je peux être partout en même temps. Et tu sais pourquoi ? Ah ! Ah ! Parce que je peux me déplacer dans le temps, pas encore sur des grandes distances, mais sur quelques instants j’en ai la possibilité. je peux donc anticiper tes déplacements, en contractant ou en étirant le temps.
Tout à coup des êtres noirs, de tailles et de formes différentes, sortent des murs, du sol et des plafonds, leurs yeux rouges me tétanisent, je les entends mugir, ils s‘épaississent, prennent forme dans la matière, comme s’ils s’appropriaient d’une consistance physique. Je comprends que ce sont elles, les Créatures des Profondeurs. Il en sort de partout et je ne peux plus fuir. Leur présence, désormais dégage une autre odeur qui m’est inconnue, celle-là, une émanation pestilentielle, aux relents fétides, et qui emplissent toute la halle.
Je fonce au pas de charge tel un rugbyman à travers la foule bigarrée de ces créatures sombres, mais elles s’agrippent à moi et une « forme douleur » jusque-là inconnue me saisit au plus profond de mon corps et de mon Âme. Je perds la vue, je ne perçois plus mon environnement, et une autre vision apparaît, celle d’un endroit lugubre, au fin fond d’un antre sépulcral dans laquelle s’affaire les créatures de forme grossières, de couleur noire.
Je suis saisi par une terreur inexplicable et un désespoir sans fin, je comprends que je suis au cœur même de leur tanière, je ressens des douleurs encore inconnues jusqu’à présent. C’est atroce et absolument insupportable. Je comprends ce que Milène voulait m’expliquer lorsqu’elle me parlait d’âme perdue à la lisière de la réalité connue, là où il n’y avait rien ! Je crie de douleur alors qu’en même temps ma chair se remplie de taches noires puis de pustules. Je commence à pourrir et je ne peux me défaire de l’étreinte de ces êtres noirs informes. J’ai le sentiment d’être perdu à jamais.
Je suis assailli par de fortes émotions, des vagues de regrets et de remords, puis par une multitude de formes de mélancolies, j’ai la sensation que rien de bon n’est jamais arrivé en ce monde, et jamais cela n’arrivera. Je ressens la misère mentale et une incommensurable tristesse, je me surprends à m’effondrer en pleurs, je m’étonne de ressentir tant et tant de peines comme celle qu’éprouverait un enfant blessé et abandonné par ses parents.
J’ai tellement d’amertumes « d’avoir tout raté ». Comme il y a eu, dans un temps immémorable, des êtres d’une civilisation aujourd’hui très avancée qui ont abandonné leurs « formes pensées » sans avoir eu la bienveillance ou la générosité de réconforter avec charité les êtres qu’ils avaient générés à travers l’apprentissage de leur longue évolution. Ce manque de dévouement avait créé chez ces avatars de pensées une tristesse et une colère monstre.
Je comprends tout désormais, mais cela n’améliore pas ma situation. Ici, rien ne peut me sauver de l’énorme poids psychique qui m’écrase. Je ressens une curieuse sensation comme quand on a plus de repères, ni haut, ni bas, ni nord, ni sud, ni quelque chose, ni rien, j’ai l’impression de tourbillonner dans tous les sens, j’en ai le vertige.
Mais tout à coup, je ne suis plus dans le plan de conscience mortifère des créatures noires des profondeurs. Je respire des odeurs de lilas, l’air est frais, vivifiant, une douce bise caresse mon visage, j’arrive chez moi où je vivais avec Stella et je vois Freïne, elle s’adresse à moi, un sentiment de joie m’envahit, je ne peux refréner des sanglots. Je suis étreint par une émotion incommensurable, une voix me dit, « ça, c’est l’Amour. »
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6 commentaires
Clair d'eau
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Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
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Leoden
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Jean-Marc-Nicolas.G
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Helen Mary Sands
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Il y a 6 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 6 ans