Fyctia

Les personnes sont apeurées, certaines hurlent de peur, d’autres gémissent de douleur et Milène qui se réjouit de tant de sang, qu’elle se presse de boire, de lécher ou de sucer sur les plaies ouvertes à vif. D’autres créatures, semblables à Milène faisant partie du convoi, viennent se joindre à elle pour le « festin ». Elles se reconnaissent, et comme le rituel de la bise à la joue chez nous, approchent leur visage et se frôlent le nez comme une caresse.

— Ce sont mes sœurs, il y en a toujours de mon espèce qui errent ici ou en bas pour se nourrir de ces gens-là.

— Mais c’est cruel Milène ces pauvres bougres sont apeurés.

— Ces pauvres bougres comme tu les appelles appartiennent à la couche la plus corrompue de l’humanité, ne t’as-t-on pas dit qu’ici c’était la poubelle de votre nature ? Il y a là les humains les plus pervers, les plus amoraux, les plus cyniques, la gangue, la pourriture de l’espèce humaine, ils ont été vicieux, malfaisants, malhonnêtes, malsains, méchants, dégénérés, satyres, dépravés. Ils ont été des êtres ignobles qui n’ont apportés à leurs congénères que de la peine, du chagrin, de la souffrance, de l’humiliation. Ils ont été indignes ! Mais, je te rassure ils ne peuvent plus mourir enfin comme tu l’entends dans ta réalité. Ici, quand tu meurs, tu renais pour souffrir, puis à nouveau pour mourir et renaître. Renaître pourquoi ? Pour souffrir à nouveau, et ainsi de suite. Le cycle de la perversion ne s’arrête jamais, ils sont condamnés à être tourmentés éternellement. Quelques fois nous parvenons à en soustraire quelques-uns de la halle des tortures, dessous au premier niveau, mais c’est pour les emmenés en captivité dans notre temple, le temple des damnés. Et là, nous leur faisons subir dans notre repaire nos propres supplices, plus raffinés. Ce sont notamment ceux qui ont été malfaisants avec les enfants. Nous avons toutes été femmes dans ton monde.

La plateforme s’est remise en marche, elle entame sa lente descente. Je regarde la multitude de bras armés de scalpels continuer à s’animer inutilement à travers la grille de l’ascenseur, mais plus loin, au fond du magasin derrière les automates, j’aperçois un homme, blafard, mal rasé, en habit noir de croque mort avec un chapeau haut de forme, un sourire hagard aux dents gâtées, il me fixe. Je comprends alors qu’il est le Maître de ses poupées tueuses. Puis de nombreux bras et avant-bras qui ne se sont pas retirés à temps, demeurent prisonniers de la herse, ils sont alors sectionnés et tombent sur le plancher de l’ascenseur. Ils continuent à se mouvoir un court instant avant de s’inanimer définitivement. Des hommes et des femmes qui étaient encore apeurés il y a un instant, se jettent sur les membres arrachés et inertes pour s’acharné à les écraser sous leurs piétinements. Ils sont pris d’un rire bête et gloussent comme des crétins. Je regarde machinalement Milène qui me sourit en ouvrant ses mains comme pour me signifier la confirmation de ce qu’elle m’affirmait il y a un instant.

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Devant le tabernacle luminescent s’activent lentement et méticuleusement les émissaires, parés de leur tenue noire, le visage impassible, parmi eux, leur confrère, Kraven̂ qui est revenu.

— Ou en est ma partie Pierre de la période deux mille treize ?

— Il ne cesse d’être tiraillé entre le monde lumineux et l’arrière monde, il nous a perçu, nous avons dû lui expliquer sa condition existentielle et la nature de la réalité.

— Il est dangereux de dévoiler la nature de la réalité à l’esprit des hommes, peu d’entre eux sont préparés pour accueillir la vérité sur les différents champs de conscience ! Ils doivent continuer à évoluer dans leur monde tridimensionnel et temporel, ils ont besoin de repères pour ne pas perdre pied, sinon nous risquons d’endommager leur psychisme. Même mes avatars n’ont pas conscience de mon existence et de la nature multidimensionnelle de la réalité. Je ne suis connecté à eux que par le canal de l’inconscient.

—Oui mais pendant ton voyage dans l’une des réalités adjacentes. des fractures entre les différents mondes temporels sont apparues, les époques se sont mélangées, des événements se sont modifiés voire inversés. Nous avons dû envoyer des missionnaires pour reconstruire les périodes historiques telles que nous les avions établies à la base. Puis nous avons refermé les failles. Tout est rentré dans l’ordre. Enfin, excepté la période de Pierre.

—Vous n’avez pas pu refermer le passage entre notre monde et le sien ? Mais comment cela est-il possible ?

—Non c’est plus grave que cela, la faille s’est bien refermée, mais ce Pierre-là bascule constamment entre nos deux réalités. Son esprit est doté d’une particularité que nous avons rarement pu constater chez cette espèce, la faculté de voyager entre les différents plans de conscience. Il a créé son propre passage. Ce que je crains, c’est qu’on le décèle et qu’il soit exploité par des forces importunes.

—Comment appréhende t’il la chose ?

—Lorsque nous lui avons dévoilé notre existence et notre rôle, son esprit a vacillé entre l’inacceptable et la folie, il a perdu pied un instant. Actuellement il arpente notre structure dans les niveaux inférieurs et il saute alternativement entre cette situation et une hospitalisation dans une clinique psychiatrique.

—Diantre, il a été interné dans un établissement psychiatrique ? Je vous l’ai dit, ce genre d’épreuves ne peut que déstabiliser l’esprit d’un humain lorsqu'il en prend connaissance.

—Que pouvons-nous faire ? Peut-être annuler son existence pour en reconstruire une autre ?

—Cela serait absolument inutile, car rien ne peut s’annuler, son cheminement aurait sa propre existence, nous n’aurions fait que créé une autre réalité probable avec un énième Pierre. Notre monde en est un exemple.

—Oui, mais nous pouvons faire en sorte de le perdre dans l’arrière monde, dans lequel il serait prisonnier à jamais.

—Non il en est hors de question, cet homme n’a rien demandé, c’est nous qui avons décidés de le créer comme nous en avons conçu des milliers d’autres. Ils nous servent parce qu’ils font office d’antenne, en quelque sorte, pour nous instruire de l’évolution de leur espèce et des différentes époques qu’ils traversent. En échange nous leur devons la liberté d’agir à leur gré, le libre arbitre. Et puis je me suis attaché à mes référents, ce sont des parties de moi, ils sont comme mes enfants.

—Je vois dans le visionneur multidimensionnel qu’il est en difficulté dans la boutique du « Maître des automates ». Il est accompagné d’une des sœurs damnées ? C’est étonnant ! Je n’aurais jamais cru que ces deux êtres puissent devenir amis ! Ils n’ont pas encore compris qu’ils vont être pris au piège dans sa réalité de conscience.

—Devons-nous intervenir ?

—Non, pas directement pour le moment. Mais mettez en branle l’ascenseur, si cette main tendue ne suffit pas, nous aviserons.

—Donnez-moi le profil de la personnalité de conscience du Maître des automates.

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