Fyctia
Le Maître des automates.
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Nous restons là sur le seuil de ce hall d’exposition. Mon instinct me commande presque de reculer, je me retourne et je contemple la longue coursive sombre, sans fin qui se perd dans la nuit glauque, j’en viens presque à la regretter comme une vieille compagne familière. Tout à coup, subitement Milène s’écrit.
— Danger !!
En même temps, elle se transforme prenant sa couleur vert de gris tout en se déformant, ses membres s’allongent et ses pieds ainsi que ses mains deviennent de mortelles armes acérées, tandis que sa bouche forme un champ de plusieurs rangées de dents longues et fines comme des épines de poisson.
Le cri de Milène m’a fait sursauter, mon cœur bat désormais la chamade, après un choc électrique qui l’a subitement réveillé. Elle grimpe précipitamment par une tenture et se fixe sur le plafond. Pendant le temps que j’observe sa réaction, du coin de l’œil, je crois percevoir un mouvement, tandis que j’entends en même temps le craquement d’un disque de phonographe, et une voix déformée qui se met en marche pour chanter une vieille sérénade des années trente « J’attendrai » .
Je reconnais la chanteuse, car mes grands-parents se berçaient de ses chansons, c’est Rena Ketty. Face à moi, la multitude de mannequins semblent atteints d’un soubresaut. Ces pantins désarticulés prennent vie et leur regard qui étaient perdus dans le vide, s’animent. Je feins de reculer mais je me heurte à un mur, je me retourne et c’est à travers une glace invisible que je vois encore le long tunnel noir. Je viens de comprendre que je suis pris au piège.
J’ai beau marteler la surface invisible avec mes poings mais rien n’y fait. Je me retourne à nouveau face aux marionnettes sans fils qui avancent dans ma direction, d’un mouvement saccadé et mal assuré. Leur regard est menaçant, je plaque mon dos et mes paumes de main contre le mur transparent et je me glisse vers le côté. Je remarque tout à coup que chacun d’entre eux tient un scalpel dans sa main et commence à amorcer des mouvements dans le vide comme pour trancher dans l’air.
J’ai l’impression de regarder ces vieux films d’animation qui étaient tournés image par image, mais là je suis dans le film et c’est moi que l’on veut disséquer. Milène, telle une furie s’élance dans la « mêlée », déséquilibrant les poupées en mouvement, mais j’entends en même temps des cris de douleur car les mannequins prenant plus de dextérité, parviennent à entamer sa chair. Quelques-uns d’entre eux se liguent contre elle et subitement, Milène ne parvient plus à rebondir aussi aisément qu’elle le faisait jusqu’à présent, une main puis deux l’ont saisies à la cheville, c’est une troisième qui lui saisit le mollet, une autre encore se saisit de sa vieille robe usée, mais finalement seul un lambeau de tissu lui reste dans la main.
Elle se tourne, se retourne, se contorsionne, telle un élastique difficile à saisir et assène de terribles coups de griffes de ses longs doigts acérées. Elle entame la chair des mannequins comme s’il s’agissait d’une cire molle y creusant de profonds sillons. Leurs membres se détachent, tandis que les visages se déchirent et prennent une forme grotesque de monstres de cirque ! Mais je dois intervenir, j’arrache une des énormes tentures pour les lancer sur ces rangées malfaisantes de poupées tueuses, renversant ces folles agressives par dizaines.
J’arrive à la hauteur du groupe qui s’acharne sur Milène, c’est une scène surréaliste, elles ont été démantibulées par la violence de ses mouvements, alors que certaines n’ont plus de tête ou seulement une partie, d’autres sont privées de leurs membres ; celles qui n’ont plus de jambes, déstabilisées se retrouvent à terre, j’en profite pour écraser brutalement mon talon de pied sur leur tête, leurs membres ou leur torse.
Mon pied pénètre une matière molle, tiède et chaude comme la vie, une impression qui me trouble un instant. Après avoir dégagée Milène, nous nous saisissons par la main et nous nous précipitons vers l’ascenseur. Nous arrivons devant la herse qui reste fermée, j’appuie violemment à plusieurs reprises sur ce gros bouton rouge comme si mon insistance allait accélérer l’arrivée de celui-ci. Un bruit s’est déclenché.
— Il arrive.
—Oui mais il faut qu’il arrive très vite putain sinon dans un instant nous allons passer un sale quart heure.
Nos yeux se croisent, Milène pose un regard d’inspection sur moi m’observant de bas en haut.
— Merci pour le coup de main, tu as vu, tu saignes, tu saignes beaucoup !
Je n’avais pas remarqué que j’avais une quantité de plaies, des lésions finement découpées mais profondes. Milène était également recouverte de multiples meurtrissures mais elle ne saignait pas. Nous nous retournons pour jauger la situation, les mannequins se reforment lentement, comme si des mains invisibles les remodelaient. Leur visage, puis leur tête, leurs jambes, leurs bras se recomposent puis s’assemblent.
Comme des danseuses classiques, elles se contorsionnent dans tous les sens, leurs jambes et leurs bras se plient, se tordent, se courbent, s’arquent et s’infléchissent, elles donnent l’image d’une vulgaire caricature de l’être humain. Une pâle copie de sa physionomie. Milène s’écrie.
— L’ascenseur ! L’ascenseur ! Putain ce satané élévateur des déportés approche ! Jamais je n’aurais cru me réjouir à ce point de son arrivée !
Ce n’est pas un ascenseur qui arrive à ma hauteur mais un immense monte-charge, une vaste plateforme. Les mannequins reprennent le rythme de leur ballet fou et toujours avec un mouvement saccadé se dirigent vers nous. Milène pousse la herse et me tire à elle, puis la repousse pour entendre le clic qui déclenche la reprise de la descente. Juste à temps, car des dizaines de bras passent à travers les mailles du rideau métallique et leurs mains armées de leur scalpel tranchant cherchent à couper dans le vif gesticulant dans des va et vient mortels.
Le monte-charge est rempli de centaines de personnes crasseuses et atones, leur regard perdu. Les plus proches de la herse subissent des blessures cruelles dans leurs chairs profondément lardées en laissant jaillir des giclées de sang éclaboussant le sol et les autres détenus. Le sang se répand partout. Les poupées tueuses sont parvenues à faire plusieurs victimes.
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Leoden
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Il y a 6 ans
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Il y a 6 ans
Clair d'eau
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Clair d'eau
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ChristineS
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FleurD'or
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