Jean-Marc-Nicolas.G Les Anachorètes Le magasin.

Le magasin.


Pierre ça fait quoi cinq ans ? Je veux dire comment vous savez quand ça fait cinq ans ? Vous le ressentez ? Ça se palpe ?


— C’est difficile à t’expliquer, en même temps c’est subjectif, c’est aussi le passage des jours et des nuits qui marquent les semaines, les mois puis les années. Mais ce sont aussi ces années qui graduent le temps pendant lequel nous vieillissons puis nous périssons.


— C’est quoi vieillir ? Tu veux dire que ces années qui passent sont les responsables du temps qui en découle ? Et de ce fait, vous vieillissez puis vous périssez ? Il n’y a aucun moyen de le cacher au temps ? Je veux dire que si le temps ne s’en rend pas compte, vous échapperez au vieillissement. Et le vieillissement, pourquoi ? C’est comment ?


Ma partenaire et ses questions candides m'attendrissent. Je ressens là, la jeune-fille ingénue du dix-neuvième siècle.


Mais toi Milène, tu as vécu dans notre monde lumineux, tu as croisé des personnes âgées ?


— Je ne m’en souviens plus très bien et comme ici le temps ne se déroule pas comme chez toi.


— Tu as vécu à quelle période dans le monde physique ?


— Je suis née en mille huit cent quarante cinq en Alabama dans les Etats d’Amérique…Quoi ? Pour quelle raison tu souris ?


— C’est ta manière de nommer les Etats Unis, aujourd’hui on dit même les USA.


— Les zu essa ? C’est le nom que l’on donne désormais à ce magnifique pays ?


Je ris de bon cœur pendant que nous nous enfonçons toujours plus profondément dans ces galerie humides, toutes dégoulinantes des écoulements d’eau qui suintent de toute part sur les murs. J’ai l’impression de m’introduire dans un sanctuaire comme dans un tombeau impénétrable.


Et puis quoi, que s’est-il passé ensuite ?


— Eh bien, il y a eu la guerre civile, mes parents qui avaient une grande propriété en Alabama ont beaucoup perdu. Les esclaves ont dû être affranchis, le prix du coton a dégringolé, enfin ça a été très difficile de remonter la pente. Mon père est devenu aigri et maussade empreint de plus en plus de crises de colère, puis il est devenu franchement tyrannique. Il me battait, il fouettait le personnel, mais il était étrangement conciliant avec ma petite sœur. Ce qui a réveillé mes soupçons. J’ai alors découvert l’insupportable, l’inacceptable, l’intolérable, lorsque j’ai surpris cette pourriture en train d’abuser de ma jeune sœur, une colère folle s’est alors saisie de moi. Et le pire, car il y a eu pire, c’est au moment où j’ai compris que ma mère résignée, tolérait les saloperies de ce monstre. Elle lui était tellement soumise ! Mais bon sang, une mère doit protéger ses enfants, bordel !!


Je vois Milène se transformer comme lorsqu’elle s’apprête à mettre à mort. La colère lui donne la physionomie d’une créature féline, dentée et difforme. Son cri déchirant de douleur, retentit dans l’infinie galerie qui nous renvoie son puissant écho. Je tente de la consoler à nouveau. Elle s’apaise puis devient calme, sanglotant contre mon épaule comme un petit animal sauvage.


Nous devons reprendre notre marche ma petite Milène.


Nous continuons notre excursion à travers les méandres de cette gigantesque construction, je ne tiens pas à me laisser gagner par ce sentiment de claustrophobie car nous ne cessons de parcourir des galeries successives dans une pénombre pesante et des émanations persistantes et nauséabondes.


Ta colère a interrompu ton histoire, que s’est-il passé ensuite ? Tu l’as dénoncé aux autorités ?


Tu veux rire, mon père bénéficiait d’une très importante réputation, de plus, il était d’origine française comme le juge du comté. Ils avaient tous deux soufferts de cette guerre et avaient combattus ensemble les yankees. C’étaient des notables. Ça créé des liens, Non ! J’ai mis un somnifère dans la tisane du soir puis une fois sans connaissance, je l’ai attaché à une corde, je l’ai pendu par les poignées et les chevilles puis je l’ai tout simplement émasculé. J’ai regardé ce porc se vider lentement de son sang, et mourir. Il a eu le temps de voir que je donnais à manger ses parties génitales à Sally.


— Sally ? C’est qui ?


— Ma chienne, enfin c’était ma chienne. J’adorais cette bête. Il la maltraitait à coups de pieds et lui assénait parfois de cuisants coups de fouet ! Il n’avait aucun respect pour cet animal pas plus que pour les humains d’ailleurs.


Je suis horrifié de m’entendre conter une pareille histoire, Milène, une main de fer dans un gant de velours. Une jeune-fille si jolie, aux traits de visage si doux et au corps frêle. Elle avait commis un parricide, me le relate avec un calme, sans aucun repentir, mais avec beaucoup de haine.


Et que s’est-il passé ensuite ?


— Rachelle, la servante, la maitresse de mon père depuis l’âge de douze ans, m’avait surprise en train de le saigner, elle s’est enfuie précipitamment voir le prévôt pour me dénoncer. J’ai été rapidement arrêtée, jugée et pendue ! Mais j’avais eu ce porc, c’était l’essentiel ! Les membres du jury, le juge, ma mère et toute la communauté s’étaient ligués contre moi. Il est en bas dans la grande salle des tortures subissant les supplices de l’écorchage. Mes sœurs et moi hantons les autres, dans le temple des damnés.


Nous arrivons face à une galerie éclairée ressemblant à un vieux magasin des années Folles ! Ses murs sont habillés de tentures pourpre et de miroirs bronze qui se succèdent jusqu’au fond, là, où se trouve la herse d’un vieil ascenseur. C’est une curieuse scène qui s’offre à nous, celle de la présence de cette multitude de mannequins en plastique moulés comme il y en a tant dans les grandes boutiques.

Devant nous, un milieu accueillant, coloré, éclairé par des lumières tamisées jaune et verte. Les poupées figées sont habillés d’accoutrements de différentes époques.


Il y a là, comme une ambiance inquiétante, décalée par rapport à ce que dégageait jusqu’à présent l’ensemble de l’édifice dans lequel nous nous déplaçons. Bien sûr, cette halle chamarrée d’une multitude de couleurs contraste avec le décor lugubre et ténébreux de ce que nous avons traversé, mais tout semble avoir été fait ici pour attirer l’œil, et capter l’attention du passant. Ces pantins inanimés prenant la pose de différentes façons, comme s’ils avaient été figés, interrompant leurs mouvements d’épouvantails désarticulés, parsemant cette galerie, ne me rassurent pas. Je marque un moment l’arrêt, Milène également.

...

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7 commentaires

FleurD'or

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Il y a 6 ans

Autant le chapitre tenaille mais le titre et la fin sur le magasin et les mannequins intrigue ! Où vais je aller en poursuivant ma lecture ?

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 6 ans

Je dirais en fait que cette histoire va nous mener dans les catacombes de la folie,au confit de la folie!

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

Voilà un chapitre qui resserre tous les liens de ton histoire pour moi avec les explications de Milène et Guerda, incluant les super bestioles affamées. Même s'ils ne sont pas nommés. Je fais la synthèse sur tes trois derniers chapitres forts de précisions. Et pour finir ces pantins qui m'interrogent je l'avoue ;) mais je sais bien que vu le climat il va y avoir carnage...et j'aime ça car au-delà du bain de sang il y a une histoire construite et des références très crédibles (bizarrement c'est vrai mais il faut prendre de la hauteur pour voir cela). Je souhaite une bonne continuation de ton écrit et le souhait pour toi de nouveaux lecteurs car ton histoire c'est un grand bain d'imaginaires pas si loin de nos peurs et d'une réalité que l'on ignore et cela c'est prouvé. Merci ;)
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