Fyctia

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Je me retrouve, à nouveau, dans cette grande salle noire et lugubre.

— Tu peux, nous considérer comme des ambassadeurs, on nous surnomme également « les Émissaires.

— Si vous êtes des ambassadeurs, qui représentez-vous ?

— Les Anachorètes, nos maîtres, mais que l’on nomme également « les moines Noirs ».

— Depuis un temps immémorable, que vous ne pouvez quantifier, nous remplissons nôtre mission, selon les ordonnances de nos souverains. Nous communiquons leurs messages vers les différents niveaux de réalités multidimensionnelles d’existences. Et, par nos observations et nos actions, nous rapportons à notre tour, toutes les informations comportant la multitude d’actes générés par cette disparité de mondes.

— C’est fou ! C’est incroyable ! - Remarqué-je à voix haute. -

En fait, c’est effrayant, même terrifiant ! La vision de ma réalité s’effrite, elle se met à partir en miettes, tout se désagrège autour de moi. Je comprends enfin, que ce n’est pas le monde Noir, le fruit de mes rêves, la parenthèse de ma vie, mais celui des humains ! Le rideau du théâtre de ma vie se déchire, et laisse apparaître la scène de la terrible vérité ! Ma vie à Paris, mon confortable appartement Haussmannien, ma femme Stella, ma petite fille chérie, mon histoire d’amour avec Carole, l’agence de Monsieur Henri, tout cela n’est qu’une vision, un rêve, une chimère ! Je me surprends même à regretter Monsieur Henri et ses sarcasmes ! Je ressens une affreuse sensation, un malaise, je titube, je vacille, puis je me sens tomber en arrière, c’est comme une chute vertigineuse dans un gouffre sans fond d’une pénible folie pesante ! Je tombe ! Je tombe ! Je perds pied dans toutes mes convictions, toutes mes croyances, toutes me certitudes ! Je continue à m’enfoncer dans ce gouffre abyssal. J’ai enfin l’impression que mon corps s’étire démesurément ou peut-être, est-ce l’espace dans lequel je chute, qui s’étire avec moi ! Je me retrouve instantanément debout, sur mes deux jambes, à deux pas du tabernacle noir dans la grande salle des Émissaires. Ils m’entourent toujours.

L’un d’entre eux reprend.

— Tu viens de ressentir physiquement ton angoisse. Ici, c’est normal quand tu ne sais pas te maîtriser.

Je me frotte les tempes, restant un moment silencieux. Pendant ce laps de temps, je perçois à nouveau les chuchotements de ces êtres vénérables.

Puis, je reprends la parole en balbutiant quelque peu...

— Et, où nous trouvons nous exactement ?

— Il est difficile de satisfaire à tes questions avec des réponses claires. De ton point de vue et de celui du monde des humains, dans lequel tu évolues, le lieu où nous nous trouvons à cet instant se situe nulle part dans votre univers, il n’a aucun repaire historique. Autrement dit, notre monde n’a jamais existé et il n’existera jamais. Mais perçu sous un autre angle, le panorama se modifie et l’optique change, alors nous pouvons considérer que nous existons à partir du moment, où vous nous percevez. Nous faisons partie d’un monde qui échappe à votre compréhension. Si je te dis que le temps chez nous n’existe pas, car notre réalité fonctionne sur un schéma de probabilité, si tu préfères. Imagine-toi qu’à chaque instant, tu puisses explorer une multitude de possibilités à la fois. Tu pourrais aussi, comme le font certains d’entre-nous, revivre à souhait des instants, des moments ou toute une période étendue sur des années, des décennies ou des siècles. Le temps sur nous n’a aucune prise. Ainsi, nous pouvons vivre l’existence d’un empire et de sa civilisation, qui aurait duré cinq cents ans, en une micro millième de vos secondes, tout en ayant le plaisir de vivre en détail les milliers d’actes qui l’ont composé, en profondeur, de chaque minute, de chaque heure, de chaque journée de ces cinq cent ans. Tu me suis ?

— Oui, je perçois à peu près ce que vous m’expliquez, mais tout cela pour quelle raison, je veux dire quelle en est l’utilité ?

— Le but essentiel est d‘améliorer le moment, l’instant, les actes, les paroles mal convenues, les mauvaises idées. Dans une de nos probabilités ou monde probable, la seconde guerre mondiale n’a jamais eu lieu. Hitler a été destitué en 1938 lors de l’affaire des Sudètes, car la France et la Grande Bretagne ne se sont pas pliés aux exigences de l’Allemagne, et avec la Tchécoslovaquie ont fait front commun. Les militaires allemands ont pris peur et ont déposé Hitler. Et, cette réalité est tout aussi valable que les autres.

— Je dois vous avouer qu’une fois passée la surprise, c’est passionnant.

— L’un de nos frères, qui apprécie tout particulièrement ces voyages, a lancé plusieurs expéditions dans votre réalité physique. Il a parcouru à plusieurs reprises les périodes de votre histoire. Il a étudié votre espèce, il était passionné par sa mission. Ainsi à travers ces époques, il a semé des avatars de lui-même, des formes de personnalités. Elles pouvaient lui rapporter par les propres expériences de leur vécu, les témoignages de chaque moment de leur existence. Toi, c’est les vingtième et vingt et unième siècle des humains, mais d’autres « Toi » se sont réalisées en d’autres temps. Vous êtes d’une certaine manière, tous connectés entre vous, Kraven̂ étant l’épicentre. Seulement vous n’en avez pas conscience. Malheureusement, un accident s’est produit, une fracture dans l’espace-temps. Nous sommes parvenus à éviter qu’un jour d’été au bord d’une plage de sable à votre époque, en 2013, vous assistiez accidentellement à l’arrivée inopinée de trois cents Drakkar, chargé de vikings affamés de vos richesses et assoiffés de sang, ou encore que l’un de vos paquebots d’aujourd’hui soit accidentellement torpillé par un U Boot allemand de votre deuxième guerre mondiale ! Et, on peut multiplier les exemples. Par conséquent, afin d’éviter qu’un jour, en faisant de la voile au large des côtes anglaises vous croisiez brusquement l’invincible armada espagnole du XVIe siècle, nous avons en quelque sorte dirigés tous les flux énergétiques temporels vers un seul passage, ce qui nous a permis de contenir ce dérèglement sur une seule faille. Nous avons donc pu épargner tes autres « Toi » et protéger les différentes époques, coupant net toutes liaisons entre eux, vos époques et nous. Mais nous n’avons malheureusement pas pu le faire avec toi. Voilà Pierre, en quelques mots tu sais à peu près tout. Tu comprends à présent pour quelle raison, tu bascules constamment et alternativement entre tes deux mondes.

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