Fyctia
Le monde des Émissaires.
…
— Je n’en peux plus de tout cela, je ne veux plus souffrir. Pourquoi ai-je dû supporter tous ces malheurs, Stella est morte et mon petit bout de chou aussi, elles n’avaient fait de mal à personne, vous me les avez prises, vous me les avez arrachées à la vie. Lorsque l’on m’a présenté le corps de ma petite fille pour que je lui fasse mes adieux, le choc exercé sur son crâne avait été si violent que sa tête avait doublée de volume, son visage avait tellement gonflé que son petit nez avait disparu, sa figure avait noirci et semblait étriquée dans son bandage. Pensez-vous que ce soit une épreuve supportable pour un père ? Pourquoi me tourmentez-vous ainsi ?
Je sanglote tout en me lamentant.
— Je suis en enfer, n’est-ce pas ? J’ai commis autrefois des actes terribles et aujourd’hui vous me punissez ?
L’une des voix chuchote alors dans cette ambiance cryptique et secrète.
— Vous voyez, il délire. Il nous a oublié, je vous l’avais dit qu’il était périlleux de transporter sa conscience chez les humains, maintenant il est persuadé qu’il est l’homme « Pierre », une personne de quarante trois ans qui vit dans l’affliction de la perte de sa prétendue femme et fille.
Je cesse de pleurer et mon désespoir fait place à ma colère.
— Pour qui vous prenez-vous pour parler de moi comme si je n’existais pas et bien détrompez-vous j’existe, je suis moi. Je m’appelle Pierre Maurel et je vous emmerde !
Une voix plus puissante, plus affirmée intervient.
— Voilà nous y sommes, la personnalité « Pierre » a pris le dessus sur celle de notre frère, tout cela ne présage rien de bon. Nous aurions dû laisser les paramètres des mondes probables comme ils l’étaient. En voulant refermer le passage, nous n’avons fait que l’élargir. Avec sa maladie de vouloir tout explorer, Kraven̂ a semé ainsi à tort et à travers de multiples fragments de sa personnalité à travers les différentes époques de l’histoire humaine.
Je me mets à hurler. Je n’en peux plus.
— Allez vous finir par me répondre à la fin ? Mais c’est un monde de fous ici. Je veux rentrer chez moi, je vous hais, je vous maudis !!
Puis le noir d’encre devient plus clair se transformant en une pénombre laissant disparaître l’opacité du lieu. L’atmosphère semble moins étouffante.
A la place de ce noir profond, les ténèbres prennent la relève, je commence à percevoir mon environnement, j’ai l’impression d’être dans un endroit sépulcral, je suis assis sur une grande stèle de pierre noire, des silhouettes qui m’entourent s’approchent lentement de moi. Il y a comme un bruissement dans l’air.
Ici, ce n’est que susurrements, chuchotements, je titube mais parviens à me poser sur mes pieds, je m’approche d’eux tout en chancelant. Il semble que je fasse parti d’une cérémonie, d’un rite. Celui de ces êtres dont leur nature dégage une forme de noblesse. Je les reconnais bien, j’ai entrevu deux d’entre-deux il y a quelques jours subrepticement sur le mur du fond de la chambre de Carole.
Je croise leur regard, d’un noir profond et inquiétant qui résume toute la noirceur du monde qu’ils ont engendré. Je ressens devant ces regards énigmatiques un malaise profond mais en même temps un grand respect, j’espère qu’ils ne me feront pas de mal. Leurs longues tuniques noires, couvrant leurs nuques et tombant sur le sol leur donne une allure cérémonieuse. Ils semblent être une allégorie, une légende, un mythe.
Leur visage de marbre car il semble être des statues taillées dans une pierre s’animent à peine, ils en imposent, ils sont dignes. Leurs voix semblent sans vie, elles s’expriment d’un ton monocorde, elles ne sont pas perturbées par le doute, la passion ou la morgue.
— Nous te saluons homme « Pierre ».
Je les observe comme ils m’observent, ils sont grands, longilignes et fluets, ils me dépassent tous au moins d’une tête. L’un d’entre-deux s’adresse à celui qui vient de me parler.
— Nomme le plutôt « Pierre » et cesse de l’appeler homme « Pierre ». L’égo de cet être a pris de la consistance, il s’identifie profondément à la personne qui s’appelle Pierre. Nous devons oublier qu’il a été le produit des pensées de nôtre frère Kraven̂.
L’être noir reprend.
— Bonjour Pierre.
— Enfin vous daignez me répondre, j’avais l’impression de ne pas exister. Je pense qu’il est temps de faire les présentations. Qui êtes-vous et où suis-je ?
***
Tout s’embrouille dans ma tête, je perds mes repères, je m’étouffe, je m’essouffle, je perds pieds, la folie me gagne. Oh Dieu, miséricordieux ayez pitié de moi !
— Vous voyez bien qu’il délire ! -Dit le médecin chef à Clara De Grangier la psychiatre de Pierre.
Elle se tourne vers le Professeur Bernard et lui demande de lui expliquer ce qu’il s’est passé pour tenter de comprendre l’état de son patient.
Pendant que le Professeur Bernard explique ce qu’il s’est passé, je tente de parler mais les mots ne sortent pas de ma bouche.
Le Professeur Bernard explique.
— Ecoutez Docteur De Grangier, je n’y comprends absolument rien, nous étions tranquillement en train de discuter alors qu’il s’est subitement effondré, ses yeux se sont révulsés, je l’ai alors placé en position de sécurité pour qu’il n’avale pas sa langue, puis j’ai appelé les secours, voilà tout.
Ma psychiatre demeure dubitative, elle m’observe, elle pose sa main sur la mienne comme pour me rassurer.
— Pierre ne vous inquiétez pas, je vais vous sortir de là. Dès demain vous serez transféré dans mon service à la Maison Blanche Hauteville. J’attends encore les résultats des analyses sanguines que j’ai demandé.
***
Puis toute la pièce disparaît, je retourne dans l’ambiance sombre où je me trouvais il y a quelques instants.
...
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Leoden
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Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
Amandine Lmbrd
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Jean-Marc-Nicolas.G
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Plume Jamais
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